Face à l’offensive idéologique et politique multiforme des religions et des Églises, les rares militants anarchistes ou d’extrême gauche qui défendent encore l’athéisme et le matérialisme scientifique au XXIe siècle ont souvent une vision fausse, ou caricaturale, des positions politiques de la droite et de l’extrême droite vis-à-vis des religions ainsi qu’une vision erronée des positions des religions face à la science et à la séparation des Églises et de l’État. Les rapports entre les Églises instituées et l’État se sont distendus et modifiés ; notre critique de la religion doit donc savoir estimer correctement les changements intervenus si nous souhaitons être compris.
Ce qui frappe, quand on lit les textes des anarchistes et des marxistes du XIXe et du XXe siècles sur la religion, c’est à quel point les sociétés occidentales ont changé en un siècle, et spécialement après la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui, en Europe, la plupart des sociétés sont en voie de sécularisation et d’individualisation accélérées, même si ces processus prennent des formes différentes suivant les réalités nationales. Dans un tel contexte, considérer les Églises ou les courants religieux en bloc, comme le faisaient par exemple les auteurs de L’Encyclopédie anarchiste ou les marxistes des XIXe et XXe siècles ne permet pas de comprendre ce que signifie être croyant aujourd’hui, pour les croyants eux-mêmes, et donc aussi, par ricochet, pour les athées qui souhaitent critiquer leurs convictions religieuses, ou en tout cas le poids de ces idées réactionnaires dans la vie sociale ou politique. Désormais, dans un monde capitaliste occidental totalement dominé par les valeurs de la réussite et de l’épanouissement individuels, les croyants ont un rapport de plus en plus distant avec les textes fondateurs, qu’il s’agisse de l’Ancien Testament, du Nouveau Testament ou même du Coran.
La formation religieuse est de plus en plus légère parce que les cours dispensés par les institutions religieuses sont de moins en moins fréquentés, même si la situation n’est pas la même en Italie et en France, par exemple. De plus, les croyants picorent de plus en plus dans des idéologies ou des disciplines connexes à leur religion, que ce soit la psychologie, la chiromancie, les médecines douces ou l’écologie profonde à dominante mystique. Les courants New Age illustrent jusqu’à la caricature cette confusion et ces assemblages d’idées hétéroclites, mais il serait trompeur de croire que ce bricolage religieux n’est réservé qu’aux adeptes de certaines sectes plus ou moins loufoques.
Dans les Églises catholique ou protestantes, de plus en plus de fidèles bricolent les principes de leur foi. Parmi les musulmans qui vivent dans les sociétés occidentales, de plus en plus de fidèles inventent des accommodements avec leurs principes religieux les plus stricts, soit sous l’influence de superstitions très anciennes (l’excision étant, par exemple, préislamique et pas du tout « musulmane »), soit au contraire par souci de composer avec les mœurs et obligations légales modernes dans les pays occidentaux.
Il ne s’agit pas simplement de la duplicité, de l’hypocrisie, de la double vie qui ont toujours caractérisé les croyants, particulièrement ceux de sexe masculin. Par exemple, on sait depuis toujours que le respect de la virginité avant le mariage, de la fidélité pendant le mariage, ou l’interdiction de l’homosexualité ou de l’avortement par toutes les religions n’ont jamais été mis en pratique par tous les croyants. Mais désormais, dans les sociétés capitalistes occidentales, les fidèles ont beaucoup moins honte de faire des choix moraux ou éthiques en opposition avec le credo de leur Église.
Dans une enquête sur la religiosité en Italie, 45% des sondés se déclarent favorables au célibat des prêtres, plus de la moitié considèrent qu’il y a « quelque chose de vrai dans toutes les religions et que l’une vaut l’autre ». Les enquêtes donnent le même pourcentage dans les pays nordiques. Si presque la moitié des habitants de la Scandinavie « pensent que les Eglises nationales répondent à leurs besoins spirituels, seule une minorité considère qu’elles sont en mesure de répondre à ses préoccupations morales. Même au sein du noyau dur des fidèles, rares sont ceux qui affirment que les Églises peuvent apporter une réponse à des problèmes sociaux ou familiaux » (Religions et identités en Europe, p. 78).
C’est pourquoi il est souvent vain de polémiquer contre une lecture littérale des écrits sacrés, de démontrer leur caractère fantaisiste sur le plan historique ou scientifique. Comme l’explique le directeur des Éditions La Vie, Jean-Pierre Denis, auteur d’un livre au titre involontairement comique – Pourquoi le christianisme fait scandale : « Désormais, on sait distinguer dans les livres bibliques ce qui relève du mythe de la légende, du conte, ce qui ressortit à la narration historique, comment fonctionnent les effets proprement littéraires. Mais cette distinction des genres, cette analyse du texte comme texte, ces apports de la psychanalyse, de l’archéologie, de la linguistique, de l’histoire, ont permis de rouvrir la porte du sens, débarrassant la Bible des couches de superstition qui la recouvraient. »
Diable, si même les catholiques savent reconnaître la superstition dans les textes sacrés, on se demande ce qui reste à faire aux athées...et ce qu’il reste des Écritures saintes !
Mais, aussi ridicules que puissent nous paraître cette posture pseudo-scientifique et ce système de défense malhonnête, il faut que les marxistes et les anarchistes se rendent compte que nous ne vivons plus à l’époque de Galilée.
Yves Coleman, article paru dans « Les pièges mortels de l’identité nationale », numéro 33/34/35 de la revue Ni patrie ni frontières, en juin 2011
Cette série d’articles contient les textes suivants :
• Sur les convergences politiques entre la gauche laïco-xénophobe et l’extrême droite
• Des Ligues à la « Nouvelle Droite »
• L’apéro saucisson-pinard du 18 juin 2010 et sa signification
• La gauche laïque réactionnaire : une vieille tradition française dont Riposte laïque n’est que l’ultime avatar
• Les religions évoluent, ce qui ne les rend pas moins néfastes
• La droite et l’extrême droite évoluent - ce qui ne les rend pas moins dangereuses
• Riposte laïque : un groupe charnière entre la gauche et l’extrême droite
• Encore et à nouveau sur la gauche laïco-xénophobe
• Riposte laïque = Riposte xénophobe
• Abécédaire de la xénophobie de gauche
• Les 22 salopards de « l’apéro saucisson pinard »,