Jean-Luc Delarue fait, sur la France 2, une sévère concurrence à Mireille Dumas sur France 3. Ses émissions sont régulièrement l’occasion de grands déballages « intimes ». Mercredi 24 novembre 2004 son émission « Ca se dis-cute » portait sur le thème « Les filles des cités doivent-elles se rebeller ? ». Elle n’a pas failli à la règle du pathos, mais a touché au moins un point important : celui des libertés individuelles des femmes et des « traditions » dont les multi-culturalistes officiels ou honteux sont si friands.
« Lovers »
et « filles des cités »
Jean-Luc Delarue fait, sur la France 2, une sévère concurrence à Mireille Dumas sur France 3. Ses émissions sont régulièrement l’occasion de grands déballages « intimes ». Mercredi 24 novembre 2004 son émission « Ca se dis-cute » portait sur le thème « Les filles des cités doivent-elles se rebeller ? ». Elle n’a pas failli à la règle du pathos, mais a touché au moins un point important : celui des libertés individuelles des femmes et des « traditions » dont les multi-culturalistes officiels ou honteux sont si friands.
Sur le plateau dix personnes originaires de cités aux quatre coins de la France ont témoigné :
- Abdul, jeune homme trentenaire (un « lover », traduisez un mec cool qui « s’intéresse aux problèmes des femmes », « essaie de les comprendre » et n’a pas peur de prendre sa copine par la main dans la cité devant tous ses potes),
- une comédienne d’origine marocaine (23 ans) qui avait fui sa cité et ses parents à 18 ans car elle « étouffait » dans sa famille et dans sa cité,
- une esthéticienne (30 ans, mariée, un enfant) qui avait développé une véri-table phobie de sa cité et n’y était retournée que 6 fois en 12 ans pour rendre visite à sa mère qui y habite toujours,
– une jeune femme de 25 ans, avec deux petits garçons, et qui a quitté sa famille à 18 ans parce que ses deux frères la battaient et contrôlaient ses fré-quentations,
– une mère célibataire américaine (2 garçons, 12 et 14 ans) installée dans un quartier populaire de Montpellier depuis quelques années,
– une rappeuse (Princesse Agnès),
- une jeune femme vivant en cité depuis seulement deux ans avec une colo-cataire et qui, après s’être fait « tester » par ses voisins, a réussi à régler les conflits par le dialogue,
- une « guerrière », 27 ans, mère célibataire d’une petite fille, qui après avoir arrêté ses études et vécu une situation familiale chaotique pendant plusieurs années a passé une maîtrise de psycho,
– Samira (21 ans) étudiante au discours très ambigu sur les « provocations » des jeunes femmes qui portaient des strings ou des minijupes. Forte de son décolleté ce jour-là, Samira tenait un double discours sur la pudeur, en digne émule (inconsciente ?) de Tariq Ramadan ;
– et Faïza Guène, jeune écrivaine de 19 ans, auteur de Kiffe, Kiffe, demain, après avoir suivi pendant six ans des ateliers d’écriture organisés par une as-sociation de son quartier, et qui avait une vision idyllique de la liberté des femmes dans les cités.
Fidèle à sa tradition, l’émission n’a pas évité les clichés et les discours en boucle de certaines intervenantes qui mélangeaient ce qu’elles appelaient les « pressions de la cité » avec leurs difficultés personnelles à élever leurs enfants ou simplement à affronter le regard des hommes. L’« animateur » s’interdisant (ou étant incapable) d’aider les jeunes femmes à faire le tri entre leurs senti-ments et leurs impressions et idées contradictoires, le débat était assez brouil-lon mais semblait spontané.
Un point fort intéressant est apparu en filigrane, la question de la pudeur (mot jamais prononcé mais au centre du débat), des tenues « correctes » et du regard inquisiteur des jeunes garçons et des jeunes hommes sur leurs mères (célibataires), leurs sœurs et leurs copines.
La majorité des jeunes filles ou des jeunes femmes présentes sur le plateau étaient en fait résignées : elles trouvaient normal de se soumettre au contrôle d’une minorité (non identifiée clairement sinon par des termes comme « caïds », « petits cons », « branleurs », désignant un petit groupe d’adolescents ou d’adultes) des habitants de la cité sur leur tenue vestimentaire et leur com-portement amoureux.
Samira et Abdul considéraient qu’il fallait s’y soumettre par « respect » ex-plicite de la « tradition musulmane » ; la rappeuse Princesse Agnès par « respect des autres cultures » (sans plus préciser lesquelles ni nous informer des limites de ce fameux « respect ») ; l’Américaine parce que, de tempérament conciliateur et prête à sacrifier sa vie de femme à sa vie de mère, elle n’avait pas en-vie de se battre à la fois contre ses fils qui flippaient et contre les jeunes qui l’insultaient quand elle osait mettre des tenues sexy ; la comédienne fugueuse parce qu’elle avait enfin compris la raison de l’éducation très stricte de ses pa-rents ; la nouvelle habitante des cités pour ne pas choquer les « coutumes » de ses voisins, etc.
La question du voile n’a pas été abordée une seule fois (le débat avait été soigneusement verrouillé), ni les prescriptions vestimentaires réelles ou sup-posées de l’islam, ni le racisme. Il est difficile de savoir si c’est parce que tous les intervenants avaient été briefés avant l’émission pour éviter tout dérapage raciste ou antimusulman mais en tout cas il en est ressorti une constatation as-sez claire : aujourd’hui, dans un certain nombre de cités, les femmes et les jeunes filles, quelles que soient leurs origines et leurs convictions, doivent ra-ser les murs, revêtir des tenues passe-partout et avoir des petits copains clan-destins et extérieurs à la cité. A la question « Les filles des cités doivent-elles se rebeller ? » la réponse était clairement : NON.
Le seul consensus entre toutes ces femmes (à l’exception de celle qui ne vi-vait en cité que depuis deux ans et détestait toute forme d’agressivité verbale) semblait être la nécessité de savoir répondre du tac au tac à toutes les calomnies et insultes, de façon à protéger sa "réputation" - mot clé, mot magique qui semblait au centre de toutes les préoccupations.
A part la « guerrière » et l’esthéticienne phobique, personne n’a trouvé inad-missible qu’au XXIe siècle des jeunes filles et des femmes soient forcées d’obéir aux diktats d’une poignée d’ados et d’adultes des cavernes. Et personne, ni Jean-Claude Delarue ni l’invitée censée résumer l’essence du débat (une journaliste du magazine Elle) n’a su ou voulu formuler clairement qu’on se trouvait face à une véritable privation de liberté, à une violation des droits des femmes au nom d’un prétendu « respect » des traditions, des lois de la cité, des règles de bon voisinage et autres prétextes fallacieux.
Dans la mesure où aucun des intervenants n’appartenait à une formation po-litique ou une association estampillée « politiquement correcte », cette émission a eu au moins le mérite (involontaire) de nous épargner la langue de bois et les leçons creuses de morale citoyenne, mais aussi de montrer l’accentuation de la coupure entre des quartiers où les jeunes filles et les femmes s’habillent et se comportent comme elles le veulent dans l’espace pu-blic, et d’autres quartiers où de petites minorités de jeunes mâles font régner la « loi du village » : celle du contrôle de tous les êtres de sexe féminin de 7 à 77 ans.
Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi la droite ose se revendi-quer aujourd’hui du féminisme, pourquoi le PS a fait une OPA sur Ni putes ni soumises et pourquoi la lutte contre le port du hijab brouille les frontières entre la droite et la gauche, comme l’a fait la présence de Le Pen au second tour en avril 2003.
Il est à craindre que, grâce au multiculturalisme de gauche et d’extrême gauche qui introduit une confusion supplémentaire, une question démocratique élémentaire comme celle de la liberté des femmes soit encore confisquée par les politiciens professionnels et des féministes carriéristes de tout poil qui se garderont bien d’inciter les « filles » des cités, ou d’ailleurs, à se révolter.
Y.C., 25/11/2004