En mai-juin 2005, pendant la campagne électorale sur le Traité constitutionnel européen, les médias français ont souvent évoqué le fantôme du « plombier polonais », que les partis souverainistes de droite et d’extrême droite ont présenté comme une prétendue menace pour les travailleurs français.
Curieusement, personne n’a essayé de se demander sérieusement quelle était, de l’autre côté du Rhin, l’attitude des entreprises françaises en Europe centrale et orientale. Peu de journalistes ont osé dire que les supermarchés français comme Carrefour, Auchan ou Leclerc en Pologne versent les salaires de leurs employés en retard, ouvrent le dimanche sans les payer en heures supplémentaires, modifient leurs horaires d’un jour sur l’autre, etc. Ou, pour être plus précis, quelques journalistes ont fait leur boulot, mais sur une radio marginale (RFI) et sur une seule chaîne publique – après minuit ! Néanmoins, en écoutant ces médias, on pouvait quand même obtenir quelques informations utiles.
Sur RFI, par exemple, on a pu entendre un long reportage sur les investisseurs français en Roumanie. Les capitalistes français interviewés sur cette radio n’ont pas hésité à utiliser la rhétorique altermondialiste pour justifier le bas montant des salaires qu’ils versent à « leurs » ouvriers roumains : après tout, ils contribuent au « développement durable » de ce pays ! Et un ouvrier, qui avait probablement cumulé des centaines d’heures supplémentaires, expliqua qu’il avait réussi à s’acheter une maison en l’espace de cinq ans, et ce en gagnant 150 € par mois ! Mais les journalistes ont également interviewé un syndicaliste roumain sur le groupe de distribution multinational Carrefour, qui a lourdement investi dans plusieurs pays de l’Est, et qui licencie tout employé qui veut organiser un syndicat dans ses supermarchés. Si les ouvriers roumains ont encore la moindre illusion sur la « patrie des droits de l’homme », ils les ont probablement perdues désormais.
Et sur une chaîne nationale (après minuit) on a pu entendre un reportage sur certaines entreprises françaises qui ont acheté des centaines d’hectares en Pologne et exploitent nuit et jour des ouvriers agricoles polonais (« ils ne sont pas aussi feignants et exigeants que les ouvriers français », nous a expliqué un des directeurs). Le cynisme des cadres français interviewés pendant ce programme était fort intéressant et contrastait avec l’écœurante propagande quotidienne contre le mythique « plombier polonais ».
Malheureusement, même si les médias français ont partiellement fait leur travail d’information, la plupart d’entre eux ont concentré leur attention sur la menace fantaisiste qu’étaient censés représenter les… 150 ou 180 plombiers polonais (le nombre exact n’a été rendu public qu’après la campagne électorale) contre les Français.
L’article ci-dessous essaie de fournir quelques informations sur les investissements français en Europe centrale et orientale, c’est-à-dire dans les anciens Etats bourgeois-staliniens qui faisaient partie ou non de l’URSS (comme les Etats baltes) et qui sont désormais intégrés dans l’Union européenne ou en feront partie un jour.
Le pillage des Pays de l’Est « à la française »
Article mis en ligne le 5 mai 2017
dernière modification le 23 mai 2017