La Pensée anarchiste est un texte écrit par Victor Serge. Cet article a été publié en janvier 1938 dans la revue Crapouillot et se trouve curieusement, en français, sur un site d’extrême gauche britannique What Next ?
Les origines : La révolution industrielle du XIXe siecle
La plus profonde révolution des temps modernes, accomplie en Europe dans la première moitié du XIXe siècle, passe à peu près inaperçue des historiens. La révolution française lui a déblayé les voies, les bouleversements politiques qui s’échelonnent dans le monde entre 1800 et 1850 contribuent, pour la plupart, à la hâter. Le sens du développement historique de cette époque est nettement discernable : un nouveau mode de production s’établit, pourvu d’une nouvelle technique. La révolution industrielle débute à vrai dire sous le Premier Empire, avec les premières machines à vapeur. La locomotive est de 1830. Déjà les métiers à tisser, apparus tout au début du siècle, ont formé, dans des centres comme Lyon, un prolétariat industriel. En quelques dizaines d’années, la bourgeoisie, armée du machinisme, transforme, souvent au sens littéral du mot, la surface du globe. Les usines s’ajoutent aux fabriques et aux manufactures, changeant la physionomie des villes, leur procurant parfois une croissance sans précédent. Les chemins de fer et les bateaux à vapeur modifient les notions mêmes de temps et d’étendue demeurées stables depuis l’Antiquité. On voit se dégager, avec une brutale netteté, les contours des nouvelles classes sociales et d’âpres luttes s’engager entre elles. Le « vivre en travaillant ou mourir en combattant » des canuts lyonnais signifie au monde l’apparition du Quatrième État, né dans le désespoir. Moins de vingt ans plus tard, deux jeunes penseurs, à peine connus de quelques cercles de révolutionnaires, affirmeront, comme naguère Sieyès pour la bourgeoisie, que, n’étant rien, le prolétariat doit être tout : car tel est bien le sens du Manifeste communiste que Karl Marx et Engels mettent au point, en 1847, à Paris et Bruxelles, dans de misérables chambres d’hôtels...