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Ni patrie ni frontières
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De la nouvelle vague de désinformation sur l’islam politique (2011).
Article mis en ligne le 4 décembre 2023

Sous le titre « Révolution arabe, « péril islamiste » en la demeure ? » (http://www.npa76.org/spip.php7article391) un blog du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste, ex-Ligue communiste révolutionnaire reconvertie en parti attrape-tout) nous rend service en reproduisant trois articles récents : « Révolution post-islamiste », d’Olivier Roy paru dans Le Monde du 12 février 2011 ; « Les islamistes et la révolution égyptienne » de Hossam Tamman, traduit de l’anglais paru le 8 février 2011 ; et « Les Frères musulmans égyptiens face à la question sociale » de Hossam Tamman et Patrick Haenni, paru en mai 2009.

Autant cette offre d’une information pluraliste puisée dans des contributions universitaires de qualité est la bienvenue et tranche avec les discours creux et incantatoires sur la « révolution arabe » que nous sert le NPA, autant l’analyse politique qui la motive est douteuse voire, disons-le carrément, réactionnaire.

En effet, on peut lire sur ce blog « Si, pour la gauche, ces partis [islamistes] sont clairement des adversaires politiques sur les questions des droits des femmes, sociales ou économiques, cette même gauche doit absolument plaider pour qu’ils puissent pleinement participer aux confrontations démocratiques et jouir des mêmes droits politiques. Au-delà des oppositions programmatiques fondamentales entre la gauche et ces courants, il faut surtout comprendre leur réalité afin de les replacer à leurs justes dimensions et démystifier les stéréotypes intéressés que l’on tente actuellement d’imposer vis-à-vis de la révolution arabe. »

Il est assez curieux qu’un parti « anticapitaliste » dont les dirigeants se prétendent « révolutionnaires » et ont été formés par le marxisme-léninisme-trotskysme orthodoxe considère qu’il soit important de lutter pour les libertés démocratiques en faveur, non pas des prolétaires égyptiens (qui souffrent, entre autres, de leur absence de droits depuis des décennies), mais... des partisans de l’islam politique.

Comme si les Frères musulmans égyptiens (que l’on crédite de 15 à 30% des voix en cas d’élections libres) avaient besoin du NPA ou des groupuscules trotskystes égyptiens pour cela !

C’est d’autant plus absurde que, dans un des articles reproduits par le site du NPA, les auteurs, Hamman et Haeni, montrent, à l’aide de multiples citations que les Frères musulmans égyptiens sont de chauds partisans du « libéralisme », de la propriété privée, qu’ils comptent nombre de patrons dans leur direction, qu’ils dénoncent souvent les grèves, même s’ils infiltrent les syndicats, qu’ils ont approuvé une réforme agraire favorable aux intérêts des grands propriétaires fonciers, et sont de farouches « anticommunistes ».

On aimerait que plutôt que de se préoccuper des libertés démocratiques... des Frères musulmans, les militants du NPA se préoccupent d’abord des libertés et des droits démocratiques des travailleurs égyptiens (quelles que soient leurs opinions religieuses ou pas). Qu’ils laissent donc ce parti se débrouiller pour présenter ces lettres de créances démocratiques à l’État bourgeois, sa volonté de respecter toutes les opinions, à commencer par l’athéisme, le féminisme, la révolution sociale, le communisme, l’abolition du salariat et la suppression de la propriété privée. Chiche !

On remarquera d’ailleurs que l’offensive des universitaires spécialistes de l’islam politique dans les médias (Le Monde, Libération, Radio France Internationale, France Culture, etc.) rejoint tout à fait celle du NPA qui n’a pas hésité pas à sortir une affiche (rouge comme le drapeau tunisien) avec le croissant islamique... Surtout ne fâchons pas les réactionnaires religieux, mettons notre faucille et notre marteau dans notre poche.... Battons-nous pour qu’ils soient plus écoutés et respectés. Traitons-les comme de chauds partisans des libertés démocratiques et débattons avec ces gentils « adversaires » ...

Du point de vue des intellectuels spécialistes de l’islam politique, on comprend leur volonté d’occuper le champ médiatique pour promouvoir leurs livres, leurs travaux universitaires, leurs chaires, leurs personnes, et aussi, soyons honnêtes, pour partager souvent un savoir dont ceux qui ne lisent pas l’arabe et ne connaissent pas les réalités sociales et politiques de ces pays ont bien besoin.

Mais n’oublions pas en même temps que le point de vue de ces universitaires spécialistes de l’islam est un point de vue démocratique bourgeois : ils veulent que les choses rentrent dans l’ordre le plus vite possible, que les partis islamistes deviennent gentils comme l’AKP (les Kurdes apprécient certainement la « modération » du gouvernement islamiste turc à leur égard...) et que finalement les idées conservatrices sur le plan religieux et politique puissent pouvoir continuer à s’exprimer dans un dialogue serein avec toutes les autres idées, puisque finalement toutes les idées se valent au sein du meilleur des mondes démocratiques...

Ces intellectuels qui font le pari d’une transformation et d’une adaptation de l’islam politique à la « modernité » ont sans doute raison, du point de vue démocratique bourgeois qui est le leur. A long terme on peut pronostiquer que les partis islamistes, s’ils veulent continuer à exister et prospérer, deviendront de loyaux gérants des États et qu’ils apprendront à faire des compromis tout comme l’Église catholique a appris à en faire pour ne pas crever...

Mais il est quand même amusant que ces intellectuels brandissent, pour se faire comprendre du grand public, l’exemple de la Démocratie chrétienne italienne, censée incarner les capacités des religions à se transformer en objets politiques inoffensifs. Ils semblent « oublier » ce qu’est devenu la DC en Italie : un solide partisan de l’ordre, un bon ami de la mafia, l’organisatrice de tous les coups bas contre l’extrême gauche et le mouvement ouvrier dans les années 1960 et 1970, puis après l’opération Mains propres, le plus fidèle soutien du parti de Berlusconi où ses politiciens ont trouvé refuge... Et ne parlons pas de la Démocratie chrétienne chilienne, qui soutint Pinochet, pour ensuite s’en différencier, une fois le sale boulot fait par ce dictateur sanguinaire.

De la Démocratie chrétienne à l’AKP, nous ne voyons nulle raison de nous préoccuper des libertés démocratiques de ces partis bourgeois-là, de la transformation de partis religieux intolérants en partis religieux plus souples, un peu moins totalitaires. Les classes dirigeantes s’en chargent ou s’en chargeront, sans les conseils ou l’appui du NPA, ni même des spécialistes universitaires de l’islam.

Yves Coleman, 22/02/2011

1. A côté d’une critique juste des diplomaties occidentales et notamment de la diplomatie française on trouvera dans l’article de Mediapart cité ci-dessous d’Omar Bendera la même thèse que celle du NPA ou de François Burgat qu’il cite : intégrons les islamistes dans le jeu démocratique bourgeois et tout ira bien. On aimerait les croire... A notre connaissance, aucun parti religieux catholique, protestant, juif ou bouddhiste n’est jamais devenu autre chose qu’un fidèle serviteur de l’ordre. On ne voit pas pourquoi les partis musulmans feraient exception à la règle. Ils ont été, sont et seront des ennemis des travailleurs, aussi démocratiques, qu’ils se prétendent. http://blogs.mediapart.fr/blog/omar-bendeiTa/220111/tunisie-ce-que-les- experts-civilises-n-ont-pas-vu-venir-par-omar-bend#comments

On remarquera que même Sadri Khiari, qui fut un dirigeant trotskyste tunisien jusqu’au milieu des années 1990 avant de devenir un des fondateurs des Indigènes de la République n’avait, du moins dans son livre « Tunisie, coercition, consentement résistance, Le délitement de la cité » (Éditions Karthala, 2003) aucune illusion sur les islamistes de Nhadda (ou Ennahda). Se refusant à caractériser de façon trop « dogmatique » la nature de sa base sociale (essentiellement « petite- bourgeoise », si on en croit les données qu’il fournit, même s’il répugne à utiliser ce terme), il montrait quand même clairement que l’islamisme tunisien (en tout cas sa principale tendance à l’époque) s’était construit avant tout contre la « gauche » étudiante et syndicale. Que Ghannouchi avait dénoncé les grèves, était un fervent « anticommuniste », et craignait que la gauche parvienne au pouvoir en Tunisie pour installer un régime socialiste. Son parti voulait et veut toujours « islamiser » le capitalisme et l’État « occidentaux », et n’a aucune intention d’inventer une troisième voie islamique qui ne serait ni le capitalisme ni le socialisme. Khiari critique dans son livre tous ceux qui pensent que les islamistes seraient incapables de s’adapter à la démocratie bourgeoise, voire d’en devenir des défenseurs prudents (en clair, il ridiculise les partisans de la thèse de l’islamofascisme), mais il les présente bien comme des adversaires de classe, des ennemis du socialisme. Ses ex-camarades du NPA feraient bien de lire cet ouvrage...