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La gauche laïque réactionnaire, une vieille tradition française...dont Riposte laïque n’est que l’ultime avatar (2011)
Article mis en ligne le 7 octobre 2023
dernière modification le 8 octobre 2023

..Il existait, au XIXe siècle, un « socialisme national » qui s’inscrivait dans le sillage « d’un certain héritage refoulé des Lumières et de la Révolution française » (M. Crapez, « Le socialisme moins la gauche... », Mots, juin 1998, n° 55). Refoulé par le récit officiel de l’histoire du mouvement ouvrier, concocté par les partis socialiste et communiste, avec l’aide des historiens (en général de gauche) qui se sont intéressés à l’histoire du mouvement ouvrier. A part les quelques brèves années qui suivirent la révolution russe, années pendant lesquelles un véritable internationalisme fut prôné comme stratégie officielle d’une fraction significative du mouvement ouvrier (d’où la propagande antimilitariste et anticolonialiste du jeune Parti communiste français, par exemple), les partis socialiste et communiste tentèrent toujours d’établir une différence entre un nationalisme de gauche (progressiste, patriote) et un nationalisme de droite (chauvin, dictatorial, fascisant), un « nationalisme des Lumières, cosmopolite et ouvert » et un « nationalisme du romantisme, chauvin et clos » (Crapez, idem).

Le nationalisme « de gauche » prétendait être un nationalisme citoyen, fondé sur l’adhésion à des valeurs républicaines et aux idéaux de la Révolution de 1789 (liberté, égalité, fraternité) ; le nationalisme « de droite » revendiquait la supériorité, ou au moins la spécificité, du « génie » national, du sang, de la « race » française, c’était et c’est donc toujours un nationalisme quasiment génétique.

En réalité, ces deux formes de nationalisme, le nationalisme républicain- démocratique et le nationalisme réactionnaire-chauvin, ont toujours eu des points communs transcendant leurs différences supposées : c’est pourquoi des courants de droite et de gauche ont soutenu successivement le bonapartisme, le boulangisme, la Résistance gaulliste, la politique extérieure du général De Gaulle après 1958, toujours au nom d’un héritage politique et civilisationnel commun à tous les « Français », au-delà des frontières politiques

Il n’est pas du tout indifférent de savoir que Benoît Malon, communard, animateur de La Revue socialiste entre 1885 et 1893 qui joua un rôle fondamental dans l’éducation de milliers de militants socialistes, était un antisémite acharné, admirateur de Drumont. Il est important de souligner que les trois quarts du groupe parlementaire socialiste, c’est-à-dire les « socialistes indépendants » en 1893 (Jaurès, Millerand, Viviani, etc.), se proclamaient patriotes et adversaires de l’internationalisme. Il ne faut pas oublier qu’à la fin du XIXe siècle anticléricalisme, athéisme, antisémitisme et nationalisme faisaient très bon ménage dans les publications des libres penseurs. À la fin du XIXe siècle, ni l’antisémitisme ni le nationalisme ne constituaient une ligne de démarcation idéologique infranchissable entre monarchistes, républicains de gauche et socialistes. Aujourd’hui, Riposte laïque prône l’arrêt de l’immigration, et ne fait en cela qu’imiter ses prédécesseurs républicains de gauche. Citons ici Marc Crapez et son livre La gauche réactionnaire :

« L’agitation contre les étrangers se développe en 1883-1889, dans la rue avec diverses rixes et manifestations, mais aussi à la Chambre. Pally [député radical-socialiste] fait une proposition pour de loi » pour que, dans les marchés de travaux publics les employeurs soient obligés d’employer uniquement des ouvriers français. « Malon [membre de l’AIT et communard] soutient cette initiative. Peu après, Vaillant [blanquiste] et le [socialiste] possibiliste Chabert déposent au Conseil municipal une proposition pour que, dans les services de la ville, la “proportion des étrangers ne puisse être que d’un dixième des ouvriers employés”. L’initiative n’est pas désapprouvée par Guesde [dirigeant “marxiste” du Parti ouvrier français]. »

« Ce type de mesures restrictives est préconisé par tous les blanquistes-rochefortistes. Granger [communard et boulangiste] refuse “sous prétexte d’internationalisme” de permettre aux Italiens et aux Allemands de “chasser des chantiers français les ouvriers français”. Gaston Da Costa [communard et boulangiste] “estime que l’on doit donner du travail aux ouvriers français avant d’occuper les étrangers”. »

« Paulin-Méry [boulangiste et fondateur de la Ligue des patriotes], pour sa part, lance en avril 1894 une feuille exclusivement xénophobe, L’Idée Nationale, afin d’offrir une tribune à sa Ligue pour la défense du travail national. (...) il se déclare “partisan de l’égalité sociale la plus absolue”. Dès lors, il est “contre les étrangers et contre l’esprit internationaliste”, mais n’incrimine aucunement les ouvriers : “Les seuls coupables en toutes ces affaires sont les patrons qui emploient des étrangers parce qu’ils se contentent d’un salaire moindre que celui de nos nationaux. “ » Où l’on voit que le Front national [et, en 2023, le Rassemblement national], avec sa « préférence nationale », n’a rien inventé puisqu’il a piqué l’idée aux républicains de gauche du XIXe siècle. Quant à plaindre hypocritement le sort des travailleurs immigrés exploités par les patrons, on trouve ce type de discours sur tous les sites d’extrême droite actuels un peu « subtils »...La ficelle est grosse mais cela permet de se dire « anti-bourgeois », anti-« ploutocrates », anti-« mondialistes », à peu de frais.

Quant au racisme (hier, antijuif, aujourd’hui anti-Maghrébins ou anti-Turcs), il a lui aussi de lourds antécédents à gauche. Comme l’écrit Marc Crapez (« Le socialisme moins la gauche », idem) : « Au début des années 1890, l’anticapitalisme de Drumont est tellement accentué qu’il passe parfois pour un socialisme virtuel ou potentiel. (...) Le député socialiste Clovis Hugues [communard, guesdiste, puis boulangiste], qui a collaboré à La Délivrance du Peuple de Morès (19) et à La Libre Parole, assure que les partisans de Drumont ont rendu un grand service à la cause de la Révolution sociale, parce qu’en créant des antisémites, ils ont créé des socialistes dans un milieu religieux. »

Quant au communard Benoît Malon « il protège [Auguste] Chirac (20) et lui laisse toute latitude pour développer son antisémitisme économique. En 1886, dans un article intitulé « La question juive », Malon fait même vœu d’allégeance à l’antisémitisme antichrétien, avant de permettre à Albert Regnard de publier sept articles dans ce sens. » En 1890, Gustave Rouanet intervient timidement dans les colonnes de La Revue socialiste : il doute qu’une campagne antisémite puisse engendrer du socialisme, mais sa protestation limitée reste isolée. De toute façon, il considère que l’anti-antisémitisme est d’origine bourgeoise, position qui ne contribue pas à clarifier les choses.

Où l’on voit que certains antisionistes actuels, qui refusent de condamner clairement l’antisémitisme sous prétexte que l’État d’Israël ou des organisations bourgeoises (juives ou pas) le condamnent aussi et l’instrumentalisent, ne font, eux aussi, que perpétuer une vieille tradition prudente, et couarde, « de gauche ».

Yves Coleman, article paru dans « Les pièges mortels de l’identité nationale », numéro 33/34/35 de la revue Ni patrie ni frontières, en juin 2011

Notes

1. Le marquis de Morès a un parcours politique intéressant puisque, après avoir fondé la Ligue antisémitique de France avec Drumont et mené de nombreuses campagnes contre les Juifs, il fut compromis dans le scandale financier de Panama, et s’installa en Algérie en 1894 pour créer le Parti antisémite algérien dans l’espoir de recruter des... musulmans, notamment parmi les confréries des Senoussis et des Tidjane, ainsi que des Touaregs pour combattre les Anglais. On a là un exemple parfait d’anti-impérialisme réactionnaire à sens unique (ici antibritannique et pro-français) accommodé à la sauce antisémite et de surcroît philo-musulman. Toute ressemblance avec des personnages ou des mouvements politiques actuels est tout sauf fortuite...

2. Auguste Chirac, socialiste proudhonien, grand dénonciateur des « féodalités financières », et disciple d’Alphonse Toussenel, socialiste utopique, disciple de Fourrier et antisémite.

Cette série d’articles contient les textes suivants :

• Sur les convergences politiques entre la gauche laïco-xénophobe et l’extrême droite
• Des Ligues à la « Nouvelle Droite »
• L’apéro saucisson-pinard du 18 juin 2010 et sa signification
• La gauche laïque réactionnaire : une vieille tradition française dont Riposte laïque n’est que l’ultime avatar
• Les religions évoluent, ce qui ne les rend pas moins néfastes
• La droite et l’extrême droite évoluent - ce qui ne les rend pas moins dangereuses
• Riposte laïque : un groupe charnière entre la gauche et l’extrême droite
• Encore et à nouveau sur la gauche laïco-xénophobe
• Riposte laïque = Riposte xénophobe
• Abécédaire de la xénophobie de gauche
• Les 22 salopards de « l’apéro saucisson pinard »,