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Cinq étapes importantes dans l’histoire des Juifs de France depuis 1791
Article mis en ligne le 26 septembre 2023
dernière modification le 8 octobre 2023

Si l’on veut comprendre l’évolution de la « minorité juive » (ou du « collectif juif ») en France, il faut avoir en tête au moins cinq dates ou moments essentiels :

1. Le 27 septembre 1791, qui marque l’émancipation des 40 000 Juifs de France.

2. La perte de l’Alsace-Lorraine en 1870, événement qui menace la survie du collectif juif en France, puisque 40 000 d’entre eux vivaient dans cette région. Néanmoins l’émigration de 30 000 Juifs venant d’Europe centrale et de l’empire ottoman, et le retour en France de 12 000 Juifs alsaciens ; et, de l’autre, les conséquences du décret Crémieux en 1871, font que les effectifs du groupe juif atteignent 180 000 personnes (1) à la veille de 1914, si l’on compte les Juifs d’Algérie dont le nombre double, entre 1881 et 1914, passant de 35 000 à plus de 70 000.

3. Les années 1930, notamment l’année 1933, et les années 1938-1939, qui se caractérisent par l’arrivée en France d’environ 100 000 Juifs d’Europe de l’Est. La population juive passe d’environ 200 000 à 300 000 voire 340 000 personnes, dont deux tiers d’immigrés. La France abrite la plus grande communauté juive d’Europe occidentale en 1939.

4. Les années 1940 et 1941, avec les deux Statuts des Juifs, qui marquent un formidable retour en arrière et provoquent la déportation de 76.000 Juifs à partir de 1942 (2) puis l’assassinat de la majorité d’entre eux (73 021).

5. Les années 1961-1963 qui marquent la cinquième grande mutation de la minorité juive de France avec l’arrivée des Juifs de Tunisie (3), du Maroc et d’Algérie ; les trois quarts des Juifs marocains et la moitié des Juifs tunisiens émigreront en Israël mais seulement 10% des Juifs algériens (4) ). Soulignons que les Juifs d’Afrique du Nord n’ont pas le même statut : ceux d’Algérie sont français, ceux de Tunisie et du Maroc sont étrangers, même si l’administration française les considère souvent comme « Européens » (quasiment français) donc. D’autre part, les Juifs tunisiens et marocains maîtrisent beaucoup mieux le français que les Tunisiens ou les Marocains, et ont un niveau d’éducation supérieur, grâce notamment au travail de l’Alliance israélite universelle dans ces colonies de l’empire français.

Il est intéressant de noter que cette dernière immigration juive massive, contrairement à celles d’avant 1914 et de l’entre-deux guerres, ne suscite apparemment aucune manifestation massive d’antisémitisme (B. Philippe, 1997).

Cela conduit Annie Kriegel (1984) à conclure : « Il se trouve en effet que la communauté juive de France n’a cessé au XXe siècle d’être remuée, secouée, réveillée et rénovée en profondeur, grâce à l’arrivée successive et quasi continue de membres d’autres communautés en péril. Ils ne furent pas seulement nombreux, ils étaient aussi porteurs d’autres mœurs, d’autres convictions et d’autres projets, formés au contact intime et familier d’autres projets, formés au contact intime et familier d’autres sociétés et cultures que celles de l’Europe occidentale. » A. Kriegel distingue trois groupes élémentaires qui ont exercé une influence à long terme sur l’évolution de la minorité juive :
– « le petit groupe des juifs originaires d’Alsace qui ont reçu en héritage le sentiment impérissable du bonheur qu’ils avaient d’être français et la claire vision des rigoureux devoirs personnels qui en résultaient pour eux : ceux-là [...] sont demeurés marqués par le système de valeurs [...] de la première Émancipation (5) » (survenue en 1791) ;
– « le groupe des juifs originaires de l’Europe de l’Est pour qui le yiddish, le shtetl, les “métiers juifs”, le hassidisme*, le Bund* et le Poale Sion constituent les notes d’une mélodie douce-amère » ;
– « le groupe enfin originaire des pays de tout le pourtour de la Méditerranée, et d’abord d’Afrique du Nord, pour qui le monde, la société et la culture arabo-berbère de la période coloniale sont sources de référence et objets de sentiments violents ».
Fondamentalement, l’histoire des Juifs de France est inséparable des diverses vagues migratoires qui ont marqué l’histoire de l’Europe et même du monde au XIXe et au XXe siècles : de la Russie, de l’Europe centrale et orientale, du Moyen-Orient et du Maghreb vers l’Hexagone.

A gauche : une brochure sur l’émancipation des Juifs.
A droite : la loi relative aux Juifs du 13 novembre 1791.

NOTES

1.« Minorité insignifiante au regard du judaïsme mondial qui totalise 13 millions de personnes et dont les effectifs les plus nombreux se trouvent dans l’Empire tsariste et aux États-Unis, cette communauté est pourtant la troisième en Europe occidentale derrière l’Allemagne (480 000 Juifs pour 65 millions d’habitants) et le Royaume-Uni (270 000 Juifs sur une population de 46 millions). » (PE. Landau, 2002.)
2.Le premier convoi pour Auschwitz part le 27 mars 1942.
3. « En juillet 1961, la crise de Bizerte [...] constitue le premier bouleversement dans le rythme des rapatriements. Les Juifs, considérés comme responsables du conflit du fait de leur proximité avec les Européens, sont victimes de mouvements antisémites. » (C. Siney-Lange, 2001.)
4.. « [...] le départ des 110 000 Juifs n’est [absolument pas] échelonné : on voit disparaître en trois mois une communauté séculaire » (C. Siney-Lange, 2001).
5. Ce que décrit concrètement Yvette Bernard-Farnoux, résistante déportée à Auschwitz-Birkenau : avant la seconde guerre mondiale, « [...] à chaque fête nationale nous mettions des drapeaux bleu-blanc-rouge à toutes les fenêtres de l’appartement. Ce nationalisme familial était tel qu’enfant, je considérais presque comme une tare le fait de ne pas être français. Il me semblait qu’un enfant anglais, ou suisse, par exemple, ne pouvait pas vraiment être heureux. [...] nous n’avions absolument aucun contact avec les Juifs immigrés d’Europe de l’Est, c’était un autre univers. » Et ce nationalisme eut des conséquences funestes sous l’Occupation allemande : « [...] En tant qu’ancien combattant, mon père éprouvait – comme tant d’autres – une véritable vénération pour le maréchal Pétain et il lui a conservé sa confiance après l’armistice [...]. Il demeurait persuadé que tant qu’il se montrerait discipliné et respectueux de la légalité, il ne courrait aucun risque » (in RHICOJ, 1985).


Ouvrages cités
Annie Kriegel (1984) Réflexion sur les questions juives, Pluriel
P.E, Landau (2002) « La communauté juive de France et la Grande Guerre », Annales de démographie historique, 2002/1, n° 103
B. Philippe (1997), Les Juifs et l’identité française, Odile Jacob
RHICOJ (1985)(dir.), Les Juifs dans la Résistance et la Libération, Editions du Scribe
C. Siney Lange (2001) « Grandes et petites misères du grand exode des Juifs nord-africains vers la France. L’exemple parisien », Le Mouvement Social n° 197, 2001/4