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Théorie critique et impérialisme, un article de Marcel Stoetzler
Article mis en ligne le 23 août 2021

[Cet article a été publié en 2019 dans The Sage Handbook of Frankfurt School Critical Theory, volume 3, ouvrage dirigé Beverley Best, Werner Bonefeld et Chris O’Kane.]

Le rejet de « l’anti-impérialisme » marque l’une des différences les plus visibles et les plus significatives entre la théorie critique de l’« école de Francfort » et la plupart des autres tendances de la gauche marxiste. Le conflit sur la signification et la pertinence de concepts comme l’« impérialisme » et l’« anti-impérialisme » est étroitement lié à des discussions connexes sur la critique de la nation et de l’État, le colonialisme et la post-colonialité, le racisme et la race, et l’antisémitisme. La théorie critique de l’école de Francfort cherche délibérément à formuler une critique du mode de production capitaliste qui inclut les phénomènes généralement traités comme relevant de l’« impérialisme » sans recourir au concept d’« anti-impérialisme ». Selon cette théorie, l’« impérialisme » est un aspect intrinsèque du mode de production capitaliste plutôt qu’un objet à part entière qui devrait être distingué de ce dernier et combattu « en tant que tel » : le concept d’« anti-impérialisme » présuppose la réification et la fétichisation de l’« impérialisme ».

Le présent article vise tout d’abord à préciser la manière dont le concept d’« impérialisme » a été employé dans les écrits de Marx ainsi que dans les textes de certains des auteurs canoniques de la théorie critique de l’école de Francfort. L’utilisation marxienne de ce terme par les « théoriciens critiques » a empêché l’émergence d’un concept d’« anti-impérialisme » dans leurs écrits : l’« impérialisme » était pour eux simplement un aspect du concept plus général de capitalisme. Le reste de ce texte s’intéressera à certaines positions formulées dans la tradition, ou sous l’influence, au sens large, de la théorie critique depuis les années 1960, positions qui concernent directement l’« anti-impérialisme » : ce dernier était devenu entre-temps une question-clé dans certains des mouvements contestataires de l’époque en raison du rôle joué dans la décolonisation de l’après-guerre par le léninisme/stalinisme ainsi que par l’idéologie anti-impérialiste bourgeoise et libérale (Hobson) qui avait déjà été l’une des sources de la critique de l’impérialisme.