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Compil’ n° 5 : Religion et politique (2010)
Article mis en ligne le 16 juillet 2020
dernière modification le 23 avril 2024

Cette cinquième compilation thématique reproduit pour l’essentiel des textes déjà publiés dans la revue Ni patrie ni frontières en 2007, 2008 et 2009 (1). Ce livre se divise en trois parties :

La première rappelle « pourquoi l’athéisme est important » ou en tout cas pourquoi il le fut aux débuts du mouvement ouvrier pour les marxistes et les anarchistes. Elle permet de souligner quelques principes élémentaires, souvent oubliés par nombre de militants gauchistes ou libertaires actuels. Écrits par des non-spécialistes de l’histoire des religions, ces textes ne sont pas démentis par les récentes découvertes archéologiques qui confirment la fausseté historique de l’Ancien Testament, texte à la base des trois grands monothéismes – islam compris !

La deuxième partie montre que, chez les marxistes comme les anar-chistes, il s’est toujours trouvé des militants – et non des moindres – qui critiquaient les limites de la laïcité, voire qui avaient une attitude ambiguë face à la religion et l’athéisme.

La troisième partie aborde des questions plus actuelles, en tout cas liées à des débats plus récents, qu’il s’agisse de l’attitude des religions face au Sida, de la Droite chrétienne américaine, de l’Eglise anglicane, de « l’islamophobie », de l’attitude de Sarkozy face aux religions ou du rôle réactionnaire et belliciste du bouddhisme japonais.

Ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur les rapports entre la religion musulmane et la politique pourront consulter la compilation n°2 : Islam, islamisme, « islamophobie ». Et ceux qui ne connaissent pas encore L’Encyclopédie anarchiste liront certainement avec plaisir l’anthologie de textes intitulée La Raison contre Dieu que nous publions en même temps que ce livre.

Avril 2010)

1. Nous y avons ajouté des textes de Jules Guesde, Nelly Roussel et Madeleine Pelletier ; une critique (inédite) de L’impasse islamique de Ha-mid Zanaz, et un article de Lutte ouvrière à propos de la polémique qui a entouré la présentation, aux élections régionales, d’une candidate portant le hijab, et surtout des principes politiques qui devraient guider des « révolu-tionnaires ».
2.
Contre les idéologies rances !

« On ne se trompe jamais en obéissant. »

(Un séminariste espagnol interviewé dans « Entre Dieu et le monde : hommes et femmes d’Eglise », documentaire, Arte, 8 avril 2007)

Rance : qui sent le renfermé. Synonymes : pas frais, pourri.

Pour qualifier les religions d’« idéologies rances » (1). Parce qu’elles semblaient avoir été jetées dans les poubelles de l’Histoire où elles se dé-composaient lentement. Néanmoins, elles paraissent connaître un regain de popularité aussi bien dans les métropoles impérialistes que dans les pays de l’ex-« tiers monde ».

Mais, nous objectera-t-on, ce prétendu réveil religieux n’est-il pas un ul-time sursaut devant une sécularisation inéluctable ? En effet, dans un pays comme la France par exemple, le dernier sondage réalisé sur les convic-tions religieuses des Français donne un résultat assez étonnant : non seule-ment il n’y aurait plus que 50 % de « catholiques », mais en plus, parmi ces derniers, 31% ne croiraient pas en Dieu mais seulement en une vague « force supérieure » !

D’autre part, dans les pays dits « arabo-musulmans », de nombreux au-teurs affirment que le renouveau religieux ne serait qu’une façon de reven-diquer une identité nationale (celle de l’introuvable « nation arabe ») cons-tamment humiliée par les différents impérialismes européens et américain. Et il en serait de même pour la petite minorité de musulmans qui, en Eu-rope, se tournent vers les différentes formes de salafisme et ne feraient ainsi que répondre au racisme des sociétés majoritairement « blanches » et à une crise d’identité liée à leur impossibilité de devenir des « citoyens » comme les autres.

Certes ces explications rendent compte d’une partie de la réalité, mais elles ont le redoutable inconvénient de déplacer la discussion sur le terrain de l’ « islamophobie » et d’un « racisme antimusulmans » – ce qui crée une confusion entre la critique nécessaire des religions (dont l’islam) et la lutte contre toutes les formes de racisme et de discrimination. Remarquons que ceux qui pratiquent ce sport de l’esquive ne se gênent pas en même temps pour dénoncer (avec raison) les méfaits du fondamentalisme protestant aux Etats-Unis ou du fondamentalisme juif en Israël.

Si l’on veut déblayer un peu ce terrain miné, il faut donc prendre le tau-reau par les cornes et affronter la question religieuse, le rôle néfaste de TOUTES les religions, sur le terrain intellectuel, éthique, économique, so-cial et politique, en soulignant notamment le lien, hier comme aujourd’hui, entre religions, racismes et nationalismes.

Qu’ont de commun ces trois fléaux idéologiques ? L’apparition des Etats nations, la séparation progressive entre les pouvoirs religieux et éta-tiques à travers la dissolution des empires et des royaumes supra ou anatio-naux en Europe, sont inséparables de l’invention puis de la diffusion de la théorie des races. Il ne faut donc pas s’étonner que les nationalismes du XXe et du XXIe siècle charrient derrière eux d’innombrables scories racistes anti-arabes (2) (sionisme d’extrême droite) ou antisémites (panarabisme, islam politique, nationalisme palestinien, voire chavisme).

Pour être plus clairs, nous donnerons quelques exemples des liens entre religion, politique et géopolitique en Afrique, où les propagandes nationa-liste, religieuse et raciste s’entremêlent aujourd’hui pour le plus grand mal-heur des populations locales (3).

C’est ainsi que les partisans de Laurent Gbagbo, élu président de la Côte d’ivoire en 2000, lancèrent une campagne sur le thème de l’ « ivoirité » contre leurs opposants. Cette campagne à la fois xénophobe et antimusul-mane (le rival le plus crédible de Gbagbo, Ouattara, combinait le double « handicap » d’être à la fois musulman et né au Burundi) associait en partie l’ivoirité au christianisme.

On ne s’étonnera donc pas que les Eglises pentecôtistes implantées dans le sud du pays aient soutenu le parti de ce président « socialiste ».

On pourrait aussi citer le cas du Soudan où Sadiq al Mahdi, dirigeant d’un des principaux partis politiques soudanais (mais aussi descendant du dirigeant de la première insurrection islamiste, anticoloniale à la fin du XIXe siècle) et Hassan el-Tourabi, son beau-frère, fondateur de la Société soudanaise des Frères musulmans, ont cherché à islamiser par le bas la so-ciété en menant un long travail préparatoire (comme les Frères musulmans en Egypte) et en participant aux élections ; ils ont accepté de participer à des gouvernements « non islamiques » tout en soutenant les fondamenta-listes d’autres pays, notamment les talibans, avec l’approbation des Etats-Unis ; pour finir ils ont cherché à islamiser par la force les populations chrétiennes et animistes du sud du pays, ce qui leur a fait perdre alors le soutien américain. Cette politique religieuse sectaire a conduit à de nom-breux conflits depuis 1958, conflits aggravés par les rivalités régionales avec l’Ethiopie et l’Egypte, puis par la découverte récente de pétrole, qui a aiguisé les appétits des ex-puissances coloniales, mais aussi de la Chine qui a construit un oléoduc pour le régime soudanais.

Rivalités américano-russes et usages divers de la religion dans les con-flits entre superpuissances

Mais on pourrait aussi remonter aux débuts du XXe siècle. On s’apercevrait alors que les religions ont toujours constitué un enjeu géopoli-tique notamment dans le cadre de l’affrontement entre l’URSS et les Etats-Unis (4). C’est ainsi que plusieurs présidents américains ont assimilé le communisme au Diable, à commencer par Thomas W. Wilson durant les premières années de l’Etat soviétique ; si Franklin D. Roosevelt choisit de mettre au contraire l’accent sur la séparation entre les Eglises et l’Etat pour montrer qu’il y avait des points communs entre l’URSS et les Etats-Unis, plusieurs de ses successeurs eurent recours à l’arme religieuse. Truman, no-tamment, chercha à construire un front religieux international contre le « communisme » stalinien ; il se servit aussi de la religion à l’intérieur du pays pour renforcer le consensus politique et décourager toute critique, exactement comme Bush l’a fait durant son mandat présidentiel. Truman présenta le christianisme comme synonyme de l’« américanité » (tout athée était donc suspecté d’être anti-américain et pro-totalitaire), et l’URSS comme un Etat « sans Dieu ». Les totalitarismes nazi, fasciste et stalinien furent présentés comme antireligieux, même si Hitler avait cherché lui aus-si à mobiliser la religion contre l’URSS.

Du côté de la Russie et de la Chine, comme des démocraties populaires, les régimes staliniens, tout en réprimant à certains moments les Eglises, ont aussi essayé de les instrumentaliser à leur service. A commencer par Staline durant la Seconde Guerre mondiale qui permit à l’Eglise orthodoxe de bé-nir les combattants qui partaient au front. Encore aujourd’hui il existe une Eglise officielle en Chine, à côté de celle soutenue par le Vatican.

Quant aux partis communistes des pays occidentaux, ils essayèrent de « tendre la main » aux catholiques, dans le cadre du Mouvement de la paix à l’échelle internationale, mais aussi, au niveau français par exemple, dans la CGT ou le MRAP.

Et lorsque la théologie de la libération se développa en Amérique latine (chasse gardée de l’impérialisme américain), l’URSS rangea ce courant dans les forces « progressistes » puisque les catholiques radicaux ne se li-vraient pas à une critique frontale du stalinisme. Cela poussa les gouverne-ments américains à dénoncer les prêtres qui s’opposaient aux dictatures la-tino-américaines. Reagan s’appuya sur les militants extrémistes de la droite religieuse à la fois pour mener sa campagne idéologique contre les sandi-nistes, mais aussi pour soutenir financièrement la Contra nicaraguayenne.

Si l’on garde en mémoire ces quelques exemples historiques, parmi des centaines d’autres, on comprend beaucoup mieux les liens qui perdurent entre une certaine gauche chrétienne altermondialiste et les néostaliniens actuels.

En ce qui concerne les pays du Moyen-Orient, les Etats-Unis ne se sont pas servis du christianisme mais du fondamentalisme islamique : ils se sont appuyés sur l’Arabie saoudite et sa Ligue islamique mondiale pour contrer les régimes nationalistes arabes d’un côté et l’influence soviétique de l’autre. Et ils ont soutenu un moment les Frères musulmans contre Nasser en Egypte, le Hamas contre l’OLP en Palestine, les talibans contre les So-viétiques en Afghanistan, Hassan Tourabi au Soudan, etc.

L’intrication entre politique et religion est telle en ce monde profane qu’il est difficile de démêler ce qui est de l’ordre du religieux et ce qui re-lève des intérêts des grandes puissances « démocratiques », des révoltes na-tionalistes et/ou des calculs des potentats locaux. D’autant plus que les mé-dias font l’impasse sur les interprétations matérialistes et athées des phé-nomènes sociaux et des questions éthiques (5). Et que, à droite comme à gauche, on nous vante les mérites du dialogue interreligieux (6), ou du dia-logue « islamochrétien », comme si tous les êtres humains croyaient en Dieu, Allah, Yahweh, Vishnou ou Bouddha.

Quant à l’extrême gauche, elle est tellement empêtrée dans ses tenta-tives de ménager (ou de séduire) les chrétiens altermondialistes (de José Bové à Frei Beto, conseiller de Lula) et musulmans pseudo-« progressistes » (Tariq Ramadan), qu’elle oublie ses quelques principes, prolongeant ainsi une vieille ambiguïté du marxisme face aux religions.

(mai 2007)

Notes

1. Ce texte reprend l’essentiel de l’introduction du numéro 18/19/20 de Ni patrie ni frontières , paru en mai 2007.

2. Voilà ce qu’a écrit l’ex-ministre de la Justice, Yossif Lapid (pas vraiment un gauchiste antisioniste), dans un article paru dans le Jerusalem Post, le 17 janvier 2007 « Arrêtez les barbares juifs de Hebron » Yossef Lapid, suite à des injures et des crachats lancés par une habitante juive d’Hebron contre sa voisine arabe et retransmis à la télévision : « il n’existe aucune raison, aucune justification, pour la brutalité dont font preuve, jour après jour, les colons de Hebron à l’égard de leurs voisins arabes. L’installa-tion de Juifs à l’intérieur de Hebron est le péché originel. Aujourd’hui, ils ajoutent l’insulte au mal. Et nous, les citoyens juifs de l’Etat d’Israël, nous nous contentons de faire : "tss tss tss." Nous oublions que ce harcèlement des voisins palestiniens à Hebron ne se produit pas seulement quand nous le voyons à la télévision, mais jour après jour, tous les jours de l’année (sauf le jour de Kippour) ».

3. Cf. Yves Lacoste, Géopolitique, Larousse 2006, pp. 208-223

4. On lira à ce sujet l’article en anglais de Dianne Kirby et Michael Ma-hadeo « Superpowers and periphery : a religious perspective » sur le site History in Focus, n° 10 concernant la guerre froide.

5. Lors d’un débat télévisé en 2006, on a pu voir le psychanalyste Malek Chebel déclarer que ce n’était pas « l’islam qui posait problème, mais seu-lement l’islamisme », comme si tout le monde devait avoir une religion et croire en un dieu ! Un seul journaliste présent sur le plateau (Michel Polac) osa – timidement – lui faire remarquer que toutes les religions lui « po-saient problème », du judaïsme à l’islam, en passant par le catholicisme et le protestantisme.

6. Un livre collectif paru aux éditions La Découverte sous la direction d’E. Benbassa et J.C. Attias prône ainsi un dialogue judéo-musulman (Juifs et musulmans. Une histoire partagée, un dialogue à contruire) dont la di-mension religieuse n’échappera à personne..

Contre les idéologies rances 3

Pourquoi l’athéisme est important 9

Ce que Marx a vraiment écrit 11

Marx, Engels et la religion (Paul Hampton, 2006), 13

Contributions à l’histoire du christianisme primitif (Friedrich Engels, 1894), 27

La formation des religions (Elie Reclus), 53

L’anarchie et l’Eglise (Elisée Reclus, 1900), 63

Birgraphie, 74

La peste religieuse (Johann Most, 1892), 75

Biographie, 87

Laïcisation à faire (Jules Guesde, 1887), 88

Le mythe de l’immaculée conception (Paul Lafargue, 1896), 91

Socialisme et religion (Lénine, 1905) ; 99

De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion (Lénine, 1909), 105

Discours (1905, Nelly Roussel), 117

Biographie, 120

Discours (1903, Nelly Roussel ), 121

Les femmes voteront-elles pour les prêtres ? (1919, Madeleine Pelle-tier), 127

Communisme et religion (1924, Madeleine Pelletier), 131

Pour en finir avec le spectre de Dieu (Groupe surréaliste de Paris, 2006), 134

Limites de la laïcité et de l’anticléricalisme ? 139

Anticléricalisme et socialisme (Amadeo Bordiga, 1949), 140

Laïcité et marxisme (Amadeo Bordiga, 1949), 149

Le marxisme face à l’Eglise et à l’Etat (Amadeo Bordiga, 1949), 157

Les prolétariat ne se nourrit pas de curés (Camillo Berneri, 1936), 161

Devons-nous baisser la garde ? (Ni patrie ni frontières ), 167

Sur la religion (Anton Pannekoek), 170

Quelques commentaires (Ni patrie ni frontières ), 188

Du rôle politique réactionnaire des religions aujourd’hui, 191

« Jésus socialiste » vu par Chavez et par… Engels, 192

L’ère des fondamentalismes, 197

Fondamentalisme religieux et déclin capitaliste (Communist League, 2006), 200

Religion, révolution et fondamentalisme aux Etats Unis (Wil Barnes, 2006), 235

Quelques précisions (Wil Barnes, 2007), 258

Le mythe de la persécution des chrétiens aux Etats-unis (Communist League), 262

Église anglicane en Grande-Bretagne (Revolutions per Minute), 272

Le rôle de la religion dans la propagation du Sida (Arash Sorx), 275

Bouddhisme japonais et « guerres compassionnelles », 279

Sur le christianisme de gauche, 282

Communisme, religions et intégrisme (Lutte ouvrière), 295

« L’impasse islamique » de Hamid Zanaz nous conduit dans une (autre) impasse : l’impossibilité d’une lutte commune avec les exploités croyants, 304

Les dix commandements de la gauche théocompatible, 319

Les superstitions, les lois et les coutumes religieuses sont la honte du XXIe siècle, Houzan Mahmoud,

Sarko, le pape et Carla, Le Militant,

Sarkozy, Dieu et nous, Patsy

****

Cette cinquième compilation thématique reproduit pour l’essentiel des textes déjà publiés dans la revue Ni patrie ni frontières en 2007, 2008 et 2009 (1). Ce livre se divise en trois parties :

La première rappelle « pourquoi l’athéisme est important » ou en tout cas pourquoi il le fut aux débuts du mouvement ouvrier pour les marxistes et les anarchistes. Elle permet de souligner quelques principes élémentaires, souvent oubliés par nombre de militants gauchistes ou libertaires actuels. Écrits par des non-spécialistes de l’histoire des religions, ces textes ne sont pas démentis par les récentes découvertes archéologiques qui confirment la fausseté historique de l’Ancien Testament, texte à la base des trois grands monothéismes – islam compris !

La deuxième partie montre que, chez les marxistes comme les anar-chistes, il s’est toujours trouvé des militants – et non des moindres – qui critiquaient les limites de la laïcité, voire qui avaient une attitude ambiguë face à la religion et l’athéisme.

La troisième partie aborde des questions plus actuelles, en tout cas liées à des débats plus récents, qu’il s’agisse de l’attitude des religions face au Sida, de la Droite chrétienne américaine, de l’Eglise anglicane, de « l’islamophobie », de l’attitude de Sarkozy face aux religions ou du rôle réactionnaire et belliciste du bouddhisme japonais.

Ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur les rapports entre la religion musulmane et la politique pourront consulter la compilation n°2 : Islam, islamisme, « islamophobie ». Et ceux qui ne connaissent pas encore L’Encyclopédie anarchiste liront certainement avec plaisir l’anthologie de textes intitulée La Raison contre Dieu que nous publions en même temps que ce livre.

Avril 2010)

1. Nous y avons ajouté des textes de Jules Guesde, Nelly Roussel et Madeleine Pelletier ; une critique (inédite) de L’impasse islamique de Ha-mid Zanaz, et un article de Lutte ouvrière à propos de la polémique qui a entouré la présentation, aux élections régionales, d’une candidate portant le hijab, et surtout des principes politiques qui devraient guider des « révolu-tionnaires ».
2.
Contre les idéologies rances !

« On ne se trompe jamais en obéissant. »

(Un séminariste espagnol interviewé dans « Entre Dieu et le monde : hommes et femmes d’Eglise », documentaire, Arte, 8 avril 2007)

Rance : qui sent le renfermé. Synonymes : pas frais, pourri.

Pour qualifier les religions d’« idéologies rances » (1). Parce qu’elles semblaient avoir été jetées dans les poubelles de l’Histoire où elles se dé-composaient lentement. Néanmoins, elles paraissent connaître un regain de popularité aussi bien dans les métropoles impérialistes que dans les pays de l’ex-« tiers monde ».

Mais, nous objectera-t-on, ce prétendu réveil religieux n’est-il pas un ul-time sursaut devant une sécularisation inéluctable ? En effet, dans un pays comme la France par exemple, le dernier sondage réalisé sur les convic-tions religieuses des Français donne un résultat assez étonnant : non seule-ment il n’y aurait plus que 50 % de « catholiques », mais en plus, parmi ces derniers, 31% ne croiraient pas en Dieu mais seulement en une vague « force supérieure » !

D’autre part, dans les pays dits « arabo-musulmans », de nombreux au-teurs affirment que le renouveau religieux ne serait qu’une façon de reven-diquer une identité nationale (celle de l’introuvable « nation arabe ») cons-tamment humiliée par les différents impérialismes européens et américain. Et il en serait de même pour la petite minorité de musulmans qui, en Eu-rope, se tournent vers les différentes formes de salafisme et ne feraient ainsi que répondre au racisme des sociétés majoritairement « blanches » et à une crise d’identité liée à leur impossibilité de devenir des « citoyens » comme les autres.

Certes ces explications rendent compte d’une partie de la réalité, mais elles ont le redoutable inconvénient de déplacer la discussion sur le terrain de l’ « islamophobie » et d’un « racisme antimusulmans » – ce qui crée une confusion entre la critique nécessaire des religions (dont l’islam) et la lutte contre toutes les formes de racisme et de discrimination. Remarquons que ceux qui pratiquent ce sport de l’esquive ne se gênent pas en même temps pour dénoncer (avec raison) les méfaits du fondamentalisme protestant aux Etats-Unis ou du fondamentalisme juif en Israël.

Si l’on veut déblayer un peu ce terrain miné, il faut donc prendre le tau-reau par les cornes et affronter la question religieuse, le rôle néfaste de TOUTES les religions, sur le terrain intellectuel, éthique, économique, so-cial et politique, en soulignant notamment le lien, hier comme aujourd’hui, entre religions, racismes et nationalismes.

Qu’ont de commun ces trois fléaux idéologiques ? L’apparition des Etats nations, la séparation progressive entre les pouvoirs religieux et éta-tiques à travers la dissolution des empires et des royaumes supra ou anatio-naux en Europe, sont inséparables de l’invention puis de la diffusion de la théorie des races. Il ne faut donc pas s’étonner que les nationalismes du XXe et du XXIe siècle charrient derrière eux d’innombrables scories racistes anti-arabes (2) (sionisme d’extrême droite) ou antisémites (panarabisme, islam politique, nationalisme palestinien, voire chavisme).

Pour être plus clairs, nous donnerons quelques exemples des liens entre religion, politique et géopolitique en Afrique, où les propagandes nationa-liste, religieuse et raciste s’entremêlent aujourd’hui pour le plus grand mal-heur des populations locales (3).

C’est ainsi que les partisans de Laurent Gbagbo, élu président de la Côte d’ivoire en 2000, lancèrent une campagne sur le thème de l’ « ivoirité » contre leurs opposants. Cette campagne à la fois xénophobe et antimusul-mane (le rival le plus crédible de Gbagbo, Ouattara, combinait le double « handicap » d’être à la fois musulman et né au Burundi) associait en partie l’ivoirité au christianisme.

On ne s’étonnera donc pas que les Eglises pentecôtistes implantées dans le sud du pays aient soutenu le parti de ce président « socialiste ».

On pourrait aussi citer le cas du Soudan où Sadiq al Mahdi, dirigeant d’un des principaux partis politiques soudanais (mais aussi descendant du dirigeant de la première insurrection islamiste, anticoloniale à la fin du XIXe siècle) et Hassan el-Tourabi, son beau-frère, fondateur de la Société soudanaise des Frères musulmans, ont cherché à islamiser par le bas la so-ciété en menant un long travail préparatoire (comme les Frères musulmans en Egypte) et en participant aux élections ; ils ont accepté de participer à des gouvernements « non islamiques » tout en soutenant les fondamenta-listes d’autres pays, notamment les talibans, avec l’approbation des Etats-Unis ; pour finir ils ont cherché à islamiser par la force les populations chrétiennes et animistes du sud du pays, ce qui leur a fait perdre alors le soutien américain. Cette politique religieuse sectaire a conduit à de nom-breux conflits depuis 1958, conflits aggravés par les rivalités régionales avec l’Ethiopie et l’Egypte, puis par la découverte récente de pétrole, qui a aiguisé les appétits des ex-puissances coloniales, mais aussi de la Chine qui a construit un oléoduc pour le régime soudanais.

Rivalités américano-russes et usages divers de la religion dans les con-flits entre superpuissances

Mais on pourrait aussi remonter aux débuts du XXe siècle. On s’apercevrait alors que les religions ont toujours constitué un enjeu géopoli-tique notamment dans le cadre de l’affrontement entre l’URSS et les Etats-Unis (4). C’est ainsi que plusieurs présidents américains ont assimilé le communisme au Diable, à commencer par Thomas W. Wilson durant les premières années de l’Etat soviétique ; si Franklin D. Roosevelt choisit de mettre au contraire l’accent sur la séparation entre les Eglises et l’Etat pour montrer qu’il y avait des points communs entre l’URSS et les Etats-Unis, plusieurs de ses successeurs eurent recours à l’arme religieuse. Truman, no-tamment, chercha à construire un front religieux international contre le « communisme » stalinien ; il se servit aussi de la religion à l’intérieur du pays pour renforcer le consensus politique et décourager toute critique, exactement comme Bush l’a fait durant son mandat présidentiel. Truman présenta le christianisme comme synonyme de l’« américanité » (tout athée était donc suspecté d’être anti-américain et pro-totalitaire), et l’URSS comme un Etat « sans Dieu ». Les totalitarismes nazi, fasciste et stalinien furent présentés comme antireligieux, même si Hitler avait cherché lui aus-si à mobiliser la religion contre l’URSS.

Du côté de la Russie et de la Chine, comme des démocraties populaires, les régimes staliniens, tout en réprimant à certains moments les Eglises, ont aussi essayé de les instrumentaliser à leur service. A commencer par Staline durant la Seconde Guerre mondiale qui permit à l’Eglise orthodoxe de bé-nir les combattants qui partaient au front. Encore aujourd’hui il existe une Eglise officielle en Chine, à côté de celle soutenue par le Vatican.

Quant aux partis communistes des pays occidentaux, ils essayèrent de « tendre la main » aux catholiques, dans le cadre du Mouvement de la paix à l’échelle internationale, mais aussi, au niveau français par exemple, dans la CGT ou le MRAP.

Et lorsque la théologie de la libération se développa en Amérique latine (chasse gardée de l’impérialisme américain), l’URSS rangea ce courant dans les forces « progressistes » puisque les catholiques radicaux ne se li-vraient pas à une critique frontale du stalinisme. Cela poussa les gouverne-ments américains à dénoncer les prêtres qui s’opposaient aux dictatures la-tino-américaines. Reagan s’appuya sur les militants extrémistes de la droite religieuse à la fois pour mener sa campagne idéologique contre les sandi-nistes, mais aussi pour soutenir financièrement la Contra nicaraguayenne.

Si l’on garde en mémoire ces quelques exemples historiques, parmi des centaines d’autres, on comprend beaucoup mieux les liens qui perdurent entre une certaine gauche chrétienne altermondialiste et les néostaliniens actuels.

En ce qui concerne les pays du Moyen-Orient, les Etats-Unis ne se sont pas servis du christianisme mais du fondamentalisme islamique : ils se sont appuyés sur l’Arabie saoudite et sa Ligue islamique mondiale pour contrer les régimes nationalistes arabes d’un côté et l’influence soviétique de l’autre. Et ils ont soutenu un moment les Frères musulmans contre Nasser en Egypte, le Hamas contre l’OLP en Palestine, les talibans contre les So-viétiques en Afghanistan, Hassan Tourabi au Soudan, etc.

L’intrication entre politique et religion est telle en ce monde profane qu’il est difficile de démêler ce qui est de l’ordre du religieux et ce qui re-lève des intérêts des grandes puissances « démocratiques », des révoltes na-tionalistes et/ou des calculs des potentats locaux. D’autant plus que les mé-dias font l’impasse sur les interprétations matérialistes et athées des phé-nomènes sociaux et des questions éthiques (5). Et que, à droite comme à gauche, on nous vante les mérites du dialogue interreligieux (6), ou du dia-logue « islamochrétien », comme si tous les êtres humains croyaient en Dieu, Allah, Yahweh, Vishnou ou Bouddha.

Quant à l’extrême gauche, elle est tellement empêtrée dans ses tenta-tives de ménager (ou de séduire) les chrétiens altermondialistes (de José Bové à Frei Beto, conseiller de Lula) et musulmans pseudo-« progressistes » (Tariq Ramadan), qu’elle oublie ses quelques principes, prolongeant ainsi une vieille ambiguïté du marxisme face aux religions.

(mai 2007)

Notes

1. Ce texte reprend l’essentiel de l’introduction du numéro 18/19/20 de Ni patrie ni frontières , paru en mai 2007.

2. Voilà ce qu’a écrit l’ex-ministre de la Justice, Yossif Lapid (pas vraiment un gauchiste antisioniste), dans un article paru dans le Jerusalem Post, le 17 janvier 2007 « Arrêtez les barbares juifs de Hebron » Yossef Lapid, suite à des injures et des crachats lancés par une habitante juive d’Hebron contre sa voisine arabe et retransmis à la télévision : « il n’existe aucune raison, aucune justification, pour la brutalité dont font preuve, jour après jour, les colons de Hebron à l’égard de leurs voisins arabes. L’installa-tion de Juifs à l’intérieur de Hebron est le péché originel. Aujourd’hui, ils ajoutent l’insulte au mal. Et nous, les citoyens juifs de l’Etat d’Israël, nous nous contentons de faire : "tss tss tss." Nous oublions que ce harcèlement des voisins palestiniens à Hebron ne se produit pas seulement quand nous le voyons à la télévision, mais jour après jour, tous les jours de l’année (sauf le jour de Kippour) ».

3. Cf. Yves Lacoste, Géopolitique, Larousse 2006, pp. 208-223

4. On lira à ce sujet l’article en anglais de Dianne Kirby et Michael Ma-hadeo « Superpowers and periphery : a religious perspective » sur le site History in Focus, n° 10 concernant la guerre froide.

5. Lors d’un débat télévisé en 2006, on a pu voir le psychanalyste Malek Chebel déclarer que ce n’était pas « l’islam qui posait problème, mais seu-lement l’islamisme », comme si tout le monde devait avoir une religion et croire en un dieu ! Un seul journaliste présent sur le plateau (Michel Polac) osa – timidement – lui faire remarquer que toutes les religions lui « po-saient problème », du judaïsme à l’islam, en passant par le catholicisme et le protestantisme.

6. Un livre collectif paru aux éditions La Découverte sous la direction d’E. Benbassa et J.C. Attias prône ainsi un dialogue judéo-musulman (Juifs et musulmans. Une histoire partagée, un dialogue à contruire) dont la di-mension religieuse n’échappera à personne..

Contre les idéologies rances 3

Pourquoi l’athéisme est important 9

Ce que Marx a vraiment écrit 11

Marx, Engels et la religion (Paul Hampton, 2006), 13

Contributions à l’histoire du christianisme primitif (Friedrich Engels, 1894), 27

La formation des religions (Elie Reclus), 53

L’anarchie et l’Eglise (Elisée Reclus, 1900), 63

Birgraphie, 74

La peste religieuse (Johann Most, 1892), 75

Biographie, 87

Laïcisation à faire (Jules Guesde, 1887), 88

Le mythe de l’immaculée conception (Paul Lafargue, 1896), 91

Socialisme et religion (Lénine, 1905) ; 99

De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion (Lénine, 1909), 105

Discours (1905, Nelly Roussel), 117

Biographie, 120

Discours (1903, Nelly Roussel ), 121

Les femmes voteront-elles pour les prêtres ? (1919, Madeleine Pelle-tier), 127

Communisme et religion (1924, Madeleine Pelletier), 131

Pour en finir avec le spectre de Dieu (Groupe surréaliste de Paris, 2006), 134

Limites de la laïcité et de l’anticléricalisme ? 139

Anticléricalisme et socialisme (Amadeo Bordiga, 1949), 140

Laïcité et marxisme (Amadeo Bordiga, 1949), 149

Le marxisme face à l’Eglise et à l’Etat (Amadeo Bordiga, 1949), 157

Les prolétariat ne se nourrit pas de curés (Camillo Berneri, 1936), 161

Devons-nous baisser la garde ? (Ni patrie ni frontières ), 167

Sur la religion (Anton Pannekoek), 170

Quelques commentaires (Ni patrie ni frontières ), 188

Du rôle politique réactionnaire des religions aujourd’hui, 191

« Jésus socialiste » vu par Chavez et par… Engels, 192

L’ère des fondamentalismes, 197

Fondamentalisme religieux et déclin capitaliste (Communist League, 2006), 200

Religion, révolution et fondamentalisme aux Etats Unis (Wil Barnes, 2006), 235

Quelques précisions (Wil Barnes, 2007), 258

Le mythe de la persécution des chrétiens aux Etats-unis (Communist League), 262

Église anglicane en Grande-Bretagne (Revolutions per Minute), 272

Le rôle de la religion dans la propagation du Sida (Arash Sorx), 275

Bouddhisme japonais et « guerres compassionnelles », 279

Sur le christianisme de gauche, 282

Communisme, religions et intégrisme (Lutte ouvrière), 295

« L’impasse islamique » de Hamid Zanaz nous conduit dans une (autre) impasse : l’impossibilité d’une lutte commune avec les exploités croyants, 304

Les dix commandements de la gauche théocompatible, 319

Les superstitions, les lois et les coutumes religieuses sont la honte du XXIe siècle, Houzan Mahmoud,

Sarko, le pape et Carla, Le Militant,

Sarkozy, Dieu et nous, Patsy

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