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« Groupes raciaux » et haplogroupes aux Etats-Unis... et ailleurs
Article mis en ligne le 27 juin 2020

La notion de race (camouflée sous l’expression « groupes raciaux » est encore parfaitement admise aux Etats-Unis. Ainsi le Genocide Convention Implementation Act (Loi sur la mise en œuvre de la convention sur le génocide adoptée en 1988) affirme que « le terme de “groupe racial” désigne un ensemble d’individus dont l’identité se caractérise par un certain nombre de traits physiques ou par leur descendance biologique » (in Hanney-Lopez, 1994).

En effet, la race figure sur les passeports, les questionnaires pour le recensement, les formulaires d’inscription dans les écoles et les universités, etc. En l’occurrence, il existe cinq « groupes raciaux » aux Etats-Unis (« noire/afro-américaine » ; « blanche » (autrefois dite « caucasienne ») ; « asiatique, amérindienne/autochtone de l’Alaska » ; et « hawaïenne/océanienne ») et une ethnie : « hispanique » ou « latino ». Ces races à peine déguisées sont choisies par la personne concernée et celle-ci peut même en avoir deux à la fois !

Comme le soulignent les sociologues Elodie Grossi et Christian Poiret : « En médecine, aux États-Unis, la notion de race est employée, au même titre que le sexe et l’âge, pour qualifier le profil des patients [...]. C’est ainsi que, selon une logique de médecine personnalisée “racialisée”, le dosage de certains médicaments est parfois ajusté en fonction de cette variable “raciale”. Mais surtout, l’usage de la “race”, comme notion biologique, n’est pas l’apanage des seuls professionnels de la santé et de la recherche en sciences naturelles. Aux États-Unis notamment, les particuliers se familiarisent de plus en plus avec des tests génétiques qui servent à déterminer leur ancestralité selon des “races-ascendances biogéographiques” (ou haplogroupes) préalablement établies par les entreprises privées proposant ces services [...] » (Grossi, 2016).

Un haplogroupe est un groupe d’humains ayant un ancêtre commun, déterminé par des marqueurs génétiques différents selon qu’il s’agit d’un homme (ADN mitochondrial de la mère et chromosome Y du père) ou d’une femme (ADN mitochondrial de la mère). « Partager le même haplogroupe ne signifie pas que l’on se ressemble, ni que l’on partage une langue ou une histoire commune. Cela veut simplement dire un groupe possédant un ancêtre commun, suite à une mutation génétique. Les scientifiques distinguent 25 haplogroupes dans le monde avec par la suite des ramifications multiples », écrit Georges Lory sur le site de RFI. (http://www.rfi.fr/fr/culture/20171212-vie-mots-connaissez-vous-votre-haplogroupe-genetique-bryan-sykes-blog-lory).

La recherche des haplogroupes semble peut-être innocente aux yeux des archéologues, mais elle permet aussi aux identitaires (de droite comme de gauche) d’établir un lien factice mais puissant entre leur haplogroupe et leurs phénotypes, entre leurs ancêtres éloignés et leur identité imaginée actuelle, et donc soit de confirmer la vieille hiérarchisation raciste des populations, soit pour les « Afrodescendants » [ou d’autres minorités (1)] de s’imaginer descendre de tel ou tel roi ou prince prestigieux. Cette quête identitaire est en quelque sorte l’équivalent du décompte des « quartiers de noblesse » pour les opprimés ; elle remplit les poches des laboratoires spécialisés ; et elle creuse (voire elle justifie pour les dominants) les inégalités sociales inséparables d’une hiérarchie raciale, plus ou moins discrète.

C’est ainsi que, pour prendre un exemple personnel, plusieurs membres de ma famille afro-américaine ont cherché à savoir de quelle région de l’Afrique ils venaient (ce qu’ils ont appris), mais ils ont aussi découvert qu’ils avaient des ancêtres esclavagistes d’origine européenne, puisque les négriers et les propriétaires d’esclaves violaient les femmes captives de leur système... Et ces cousins éloignés ont poussé le vice jusqu’à vouloir rencontrer les descendants des ancêtres de leurs « maîtres »... Voilà à quelles absurdités mènent les « politiques de l’identité » et l’obsession de la race chez les Afro-Américains...

Le terrain de la race est définitivement piégé, et les antiracistes (ou les identitaires de gauche) qui l’utilisent en prétendant qu’elle aurait uniquement « une réalité sociologique ou politique » (Darlu, 1992) ou serait seulement une « construction sociale et idéologique » (Rolland-Diamond, 2016), et ont recours au concept bidon de « race sociale », ne font que nier l’évidente ambiguïté de ce terme dans la tête de la plupart des êtres humains, car « le concept de race humaine renvoie inéluctablement, encore et toujours au biologique, malgré les explications répétées des biologistes et des généticiens » (Darlu, 1992).

C’est d’ailleurs ce qui disait la première Déclaration de l’UNESCO en 1950, qui fut ensuite remise en cause par un certain nombre d’anthropologues, rejoints aujourd’hui par toutes sortes de gauchistes voire de libertaires : « Les graves erreurs entraînées par l’emploi du mot “race” dans le langage courant rendent souhaitable qu’on renonce complètement à ce terme lorsqu’on l’applique à l’espèce humaine et qu’on adopte l’expression de “groupes ethniques”. » Soixante-dix ans plus tard, malheureusement, même sous couvert de concepts comme « population », « ethnie » et « groupe ethnique » on continue à parler de la race, comme en témoigne en France l’utilisation des termes « Black », « Blanc » et même « Beur », par des militants qui se proclament antiracistes...

Y.C., Ni patrie ni frontières, 27 juin 2020

* Sources

Darlu, Pierre (1992), « Races (humaines) et manuels scolaires », Mots. Les langages du politique, n° 33

Grossi, Elodie et Christian Poiret (2016), « Du social au biologique : les habits neufs de la « race » ? Entretien avec Magali Bessone et Claude-Olivier Doron », Revue européenne des migrations internationales, vol. 32 - n° 3 et 4, 2016, http://journals.openedition.org/remi/8320

Haney-López, Ian F. (Hiver 1994), « Social Construction of Race : Some Observations on Illusion, Fabrication, and Choice », Harvard Civil Rights – Civil Liberties Review, volume 20, n° 1, disponible en ligne et reproduit Richard Delgado (dir.) dans Critical Race Theory. The Cutting Edge, Temple University Press, 2000

Rolland-Diamond, Caroline (2016), Black America. Une histoire des luttes pour l’égalité et la justice XIXe-XXIe siècles, La Découverte

NOTE

(1) Les Juifs américains, puis israéliens, se sont lancés aussi dans ces tests ridicules avec le soutien de grands rabbins, l’idée étant de prouver, grâce son ADN mitochondrial, que l’on descend bien d’une des « quatre matriarches », c’est-à-dire non pas des matriarches bibliques (ouf ! on n’est pas tombé aussi bas !), mais des « quatre femmes qu’une étude novatrice de 2006 affirmait être les ancêtres maternels fondateurs d’environ 40 % des juifs ashkénazes contemporains, soit 3,5 millions de personnes, il y a environ 1 000 ans » : https://fr.timesofisrael.com/les-tests-adn-de-judeite-exiges-par-le-rabbinat-deviennent-une-pomme-de-discorde/. Si ces tests ne sont pas heureusement exigés par l’Etat d’Israël, ils sont quand même utilisés dans un très petit nombre de cas pour les Juifs originaires d’URSS qui n’ont aucun document pour prouver leur « judéité ». On est évidemment sur un terrain très dangereux, d’autant que le prix de ces tests n’a cessé de baisser (moins de 200 euros pour retrouver ses « cousins » des 400 dernières années). La conjonction entre des intérêts capitalistes privés, des autorités religieuses (ou pas) et une recherche identitaire à la mode ne peut avoir que des effets délétères, quel que soit le pays concerné.