A mon boulot la majorité des chauffeurs de car sont xénophobes ou racistes. Et quand ils sont d’origine maghrébine, ils sont antisémites et complotistes. J’ai du mal à imaginer ce que donnerait de positif une réunion des seuls collègues maghrébins, ou d’origine africaine, qui certes pourraient expliquer plus en détail en quoi leurs collègues franco-portugais, portugais, ou franco-français sont racistes ou « islamophobes » mais continueraient à cracher sur les Juifs.
Quant aux chauffeurs franco-français qu’ils soient sympathisants de gauche, de droite ou d’extrême droite, ils sont presque tous xénophobes et plus ou moins doucement ou violemment racistes.
Une réunion des seuls collègues franco-français serait donc un festival de clichés racistes ou xénophobes.
Pour ma part les deux fois où j’ai affronté des collègues racistes et les ai fait taire définitivement, je l’ai fait en les affrontant devant tout le monde, toutes origines confondues que ce soit à l’armée ou pendant les 4 années où j’ai travaillé aux aéroports d’Orly et de Roissy.
Donc, si je devais affronter le racisme sur mon lieu de travail, ce serait en posant les problèmes devant tout le monde... comme je le fais encore aujourd’hui et sans concessions, pas en faisant des réunions identitaires séparées du reste du personnel de ma boîte.
Nad, tu parles dans ton message de « non-dits ». Ces non-dits je les connais bien puisque j’y ai été confronté de nombreuses fois dans ma vie. Mais là aussi les non-dits tu t’y confrontes en demandant par exemple pourquoi quand tu vas dans un restau, toutes les tables sont servies pendant tes 30 minutes d’attente, y compris les gens arrivés bien après toi, et cela tu le fais publiquement, généralement en haussant la voix et en étant agressif, pas en protestant seulement avec les autres « postcoloniaux » présents dans la salle. Ou tu casses l’ambiance d’une réunion sympa de potes, parce que toutes les femmes sont à la cuisine en train de préparer à bouffer pour les mecs.
Pour moi les réunions de « racisés » (terme inventé par des gens de gauche qui aboutit à légitimer l’existence de races et qui renforce les séparations culturelles, religieuses, ou ethniques entre les individus) n’ont d’intérêt que dans des situations où ils ou elles seraient légalement discriminés (cas des Etats-Unis ou de l’Afrique du Sud) ou mis dans l’impossibilité totale de s’organiser, de s’exprimer au sein des syndicats, des associations ou des partis politiques existants. Ou alors quand et si, même en bénéficiant de ces droits, ils sont systématiquement victimes de discriminations équivalentes à une marginalisation totale, sans bénéficier de la moindre solidarité de leurs collègues.
Donc, je n’ai rien contre le principe dans l’abstrait mais je demande à voir les conditions concrètes dans lesquelles cela se fait et surtout dans quel but et au nom de quelle idéologie.
Il existe une organisation de Bac+5 d’origine africaine qui veut aider les cadres à trouver du boulot dans les entreprises pour mieux exploiter les travailleurs. Je n’ai rien contre le fait que les futurs exploiteurs s’organisent (tant qu’ils accordent aux exploités les mêmes droits) mais je ne vois pas pourquoi je devrais les soutenir. Sauf si évidemment ils sont victimes de discriminations massives, institutionnelles et/ou légales, et s’ils acceptent de combattre contre les discriminations qui visent toutes les personnes d’origine africaine pas simplement eux-mêmes, petits bourgeois mais aussi les prolétaires africains ici et là-bas.
Mon expérience (et ce que je connais des Etats-Unis) est que lorsque les individus s’organisent sur une base identitaire c’est très rarement au bénéfice de la majorité des exploités, mais toujours au service des petits bourgeois ou des bourgeois de leur communauté.
Je crois que lorsque l’on parle de la lutte contre le racisme, il faut en parler concrètement :
– le premier niveau élémentaire c’est d’expliquer pourquoi les races n’existent pas (et cela la gauche et l’extrême gauche et une partie des libertaires en sont devenus incapables puisque leurs militants se sont mis à utiliser tout le temps le terme de race ; de même qu’ils sont incapables de critiquer les religions puisque chaque fois qu’on tue des Juifs en France, ils crient « Halte à l’islamophobie ! », défendent en fait l’islam parce que ce serait la religion des exploités et nous expliquent que les religions seraient des façons pour les exploités de protester contre la domination capitaliste !!!). Tant qu’on ne s’appuie pas sur les avancées des sciences pour critiquer la notion même de race, tant que l’on ne fait pas ce travail d’éducation minimum on ne peut pas avancer. Je rappelle quand même qu’aux Etats-Unis 8 races figurent sur les passeports et les documents administratifs….
– le deuxième niveau c’est de trouver les points communs entre les discriminations racistes et les discriminations sociales, c’est-à-dire les revendications communes qui pourraient être définies entre les exploités, quelles que soient leurs origines ; or ce travail la gauche et l’extrême gauche se refusent à le faire ; si l’on se refuse à formuler des revendications communes et que l’on n’avance que des revendications identitaires, on renforce le racisme des dominés.
– le troisième niveau, et là c’est beaucoup plus compliqué, c’est de travailler sur les causes de toutes les frustrations sociales, et les raisons pour lesquelles les exploités se trouvent des boucs émissaires (encore hier une étudiante en BTS d’origine mongole pestait auprès de moi contre « les Juifs », parce que son salopard de patron serait juif). Et là je crois qu’il s’agit d’un travail de longue haleine et qui ne sera pas résolu par des lois interdisant l’expression publique du racisme et de l’antisémitisme, lois nécessaires certes mais très loin d’être suffisantes. Et cela suppose là aussi de rompre avec la mythologie dominante selon laquelle, le racisme serait un phénomène spécifiquement européen (tout comme l’esclavage serait paraît-il une spécialité occidentale)
Donc, pour ma part, je crois qu’il faut tout déballer, devant tout le monde, toutes origines confondues, mais sans illusions sur les effets magiques de ces déballages et de ces protestations publiques. Se faire respecter en tant qu’individu (femme ou d’origine extra-européenne) est plus facile si on a quelques soutiens parmi ses collègues mais cela suppose d’imposer surtout le silence aux racistes. Pas de travailler sur leur culpabilité mais leur imposer physiquement (donc quelque part violemment) de se taire. Et il faut se méfier des petits chefs identitaires qui ont des intérêts de classe opposés aux nôtres. Qui veulent principalement avoir recours aux moyens juridiques. Qui se construisent des carrières dans les médias, dans l’université, voire dans l’Etat en se présentant comme des représentants des « racisés » ou des spécialistes du racisme.
Aux Etats-Unis il existe des ONG comme Catalyst par exemple qui font des formations à la demande pour « déconstruire" les préjugés. Il existe même des inspecteurs qui surveillent les discriminations dans les entreprises. Cela ne change pas grand-chose tant que les exploités ne luttent pas ENSEMBLE pour des objectifs communs, tant qu’il n’existe pas une conscience commune d’appartenir à la même classe, et que cette appartenance commune suppose de réfléchir à tout ce qui nous paralyse dans l’action.
Des réunions non mixtes ou de personnes victimes du racisme n’ont d’intérêt que si elles se font sur des bases de classe, dans un but politique clair. Si elles visent seulement à permettre l’ascension sociale de quelques individus carriéristes, voire même la création d’une petite bourgeoisie recrutée chez les minoritaires qui va collaborer avec les dominants pour mieux exploiter les membres de sa propre communauté (ce qui s’est passé aux Etats-Unis) elles doivent être démasquées.
YC, 24/11/2017