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Ni patrie ni frontières
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Comment devient-on électeur du Front national ? d’Antoine Baltier, Cherche Midi, 2017

Les livres écrits par des « spécialistes » sur l’électorat du FN ne manquent pas et nous publierons bientôt la recension d’autres ouvrages (1). Antoine Baltier, quant à lui, n’est ni sociologue ni politiste, mais visiblement il a lu les « bons auteurs » comme en témoignent ses introductions à chacun des 12 chapitres de son livre. Cet ouvrage repose sur une trentaine de témoignages d’électeurs voire de militants du FN : 21 hommes et 7 femmes de tous âges et de toutes conditions. Cet échantillon ne prétend évidemment pas être « représentatif », sur le plan quantitatif et qualitatif, d’autant plus que les interviewés ont été trouvés par l’auteur et contactés par Facebook ou les réseaux sociaux, ce qui exclut d’emblée une bonne partie de la population qui n’a pas les moyens d’être « connectée » en permanence et qui sans doute refuserait de se livrer à des interviews allant de 2 à 4 heures, exigeant de surcroît de livrer un certain nombre de données familiales et personnelles.
Parmi les personnes interrogées, il y a très peu d’ouvriers et de petits employés, surtout des membres de la petite bourgeoisie salariée et quelques patrons. Quant au milieu familial, il est rarement celui de la classe ouvrière traditionnelle, le plus souvent il s’agit de petits bourgeois, et peu d’électeurs viennent de la gauche ou de familles de gauche.

Article mis en ligne le 10 juillet 2017

L’auteur a choisi de nous présenter les opinions qu’il a trouvé les plus instructives sur 8 thèmes : le souverainisme ; les médias d’extrême droite et la « dissidence » (Soral, Dieudonné) ; le racisme et l’antisémitisme ; l’ombre de l’Algérie française ; la transmission familiale ; la Manif pour tous ; le vote d’essai et la contestation ; les difficultés économiques et la précarité. Le choix de ces thèmes est le bienvenu, dans la mesure où l’auteur souligne à chaque fois des communautés et des divergences d’opinion ou de démarche, parmi un électorat tout extrêmement composite. L’originalité de ce livre est aussi d’amener les électeurs du FN à expliquer à l’auteur quels sont les éléments de leur itinéraire personnel qui ont pu les amener à voter pour le FN, voire à défendre activement des positions d’extrême droite, « confessions » qui les rendent un peu plus « humains » malgré le caractère souvent ignoble de leurs propos.

Parmi les points communs à presque tous les interviewés signalons :
– le chauvinisme (qui converge avec le nationalisme et le patriotisme de la gauche sur de nombreux points : éloge paradoxal (2) de la Résistance et de De Gaulle ; défense de l’industrie française ; priorité à l’emploi des Français, etc.) ;
– la peur voire la phobie de « l’étranger » (cette notion pouvant s’étendre à des personnes françaises depuis deux générations). Ce sont des sentiments souvent inspirés par un ou plusieurs incidents personnels désagréables et évidemment alimentés par la consultation de sites comme Fdesouche ;
– la peur, voire la paranoïa vis-à-vis de l’islam et la sympathie pour la thèse anxiogène du « grand remplacement » et le soutien à l’idée d’une « remigration » des étrangers voire de leurs descendants ;
– un racisme et un antisémitisme à géométrie variable, plus ou moins intense selon les individus, mais jamais honnêtement admis et toujours teinté d’une bonne conscience paternaliste ou « laïque » pour ce qui concerne le racisme contre les Arabes et les Africains, et d’un discours « antisioniste » contre les Juifs (au choix, ils contrôlent les médias, l’Union européenne, le monde, etc.) ;
– une confiance aveugle dans les « médias alternatifs » de l’extrême droite, ceux de la fachosphère, et toutes les entreprises de désinformation que mènent les fascistes sur la Toile et les réseaux sociaux
– une conception de la laïcité clairement antimusulmane, voire antijuive, accompagné parfois d’un catalogue impressionnant de revendications ouvertement discriminatoires,
– un attachement ténu à la démocratie bourgeoise : nombre d’interviewés défendent des solutions particulièrement répressives, une monarchie, voire la dictature ; aucun ne fait l’éloge de la démocratie et des droits de l’homme, ne serait-ce que d’une façon hypocrite, même si l’auteur nous explique « très souvent lorsque j’interroge les électeurs FN sur la démocratie, j’ai droit à des réponses enthousiastes ».

Le plus important, pour l’auteur, est de comprendre que ces idées ne forment pas un tout idéologique cohérent, contrairement à ce que croient la plupart des antifascistes, et comme le montre bien l’étude de Christèle Marchand-Lagier sur Le Vote FN. Pour une sociologie localisée des électorats frontistes ou les livres de spécialistes du vote FN qui préfèrent ne pas parler d’un « électorat FN » mais d’un « conglomérat FN » tant les opinions de ces électeurs leur semblent hétéroclites et éloignées des idées fascistes traditionnelles. Comme l’écrit l’auteur : « Les choix politiques ne sont pas toujours rationnels, mais l’adhésion aux courants populistes s’accompagne bien souvent d’une importance primordiale accordée au ressenti. » Ressenti qui est plus ou moins habilement mis en scène par les émissions de télévision (informations, documentaires-enquêtes et bien sûr programmes de téléréalité). « Le discours populiste parle aux tripes ou au cœur mais pas au cerveau. »

Chaque fois que l’auteur essaie de pousser ses interlocuteurs dans leurs retranchements, de lui donner des chiffres précis, ou même de citer des positions du FN, les interviewés n’arrivent pas à lui répondre. Tout repose sur une confiance aveugle dans le parti d’extrême droite, et/ou dans ses dirigeants (Jean-Marie, Marie-Caroline ou Marine Le Pen).

Y.C., Ni patrie ni frontières, 18/06/2017

1. G. Maugier et W. Pelletier (dir)., Les classes populaires et le FN : Explications de vote, Les liens qui libèrent, 2017 ; Christèle Marchand-Lagier, Le vote FN. Pour une sociologie localisée des électorats frontistes, DeBoek, 2017 ; Violaine Girard, Le vote FN au village : Trajectoires de ménages populaires du périurbain, Editions du Croquant, 2017.

2. « Paradoxal », puisque l’extrême droite jusqu’à très récemment détestait De Gaulle parce qu’elle était pétainiste mais aussi parce qu’elle ne lui pardonnait ni « l’épuration » des collaborateurs pro-nazis (épuration somme toute très modérée mais qui fut menée par le gouvernement d’union nationale dont faisait partie De Gaulle) ni l’abandon » de la colonie qu’était l’Algérie française et la condamnation à mort de quatre dirigeants de l’OAS et l’emprisonnement de 38 autres d’entre eux