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Critique féministe du nationalisme (2002)

Le nationalisme est en train de progresser dans les milieux de la gauche radicale. Le mouvement altermondialiste a joué un rôle important dans cette évolution, parce qu’il a commencé à partir d’une perspective purement nationaliste. Le nationalisme part de la lutte entre les « nations » et les « cultures » ; il détourne notre attention des relations de pouvoir capitalistes, patriarcales et racistes.

Article mis en ligne le 13 juin 2017

De Fabel van de illegaal n° 54/55, automne 2002

Eva Mulder et Eric Krebbers

L’essor du nationalisme est en partie dû à l’effondrement des forces antipatriarcales et antiracistes et des analyses soutenues par ces forces de gauche. La lutte antinationaliste doit par conséquent renouveler ces analyses. Il est donc important d’analyser d’abord comment le nationalisme, le racisme, le patriarcat et la politique démographique s’intègrent tous dans des structures de pouvoir.
Le nationalisme est à la fois une idéologie et un mouvement. Les nationalistes pensent que toute personne appartient d’abord à un peuple (Volk) ou à une nation. Tous les autres groupes ou catégories auxquels un individu peut appartenir sont secondaires aux yeux des nationalistes.

La lutte des femmes est considérée comme moins importante, et parfois même comme dangereuse. Il n’est bien sûr pas très bénéfique pour l’unité de la « nation » que des femmes commencent à s’organiser contre le pouvoir masculin. Pour les nationalistes, tout être humain a une place fixe et déterminée à l’intérieur de la « nation » ; dévier de son rôle menace la force de cette « nation ». C’est pourquoi ils attachent tant d’importance aux rôles sociaux qui sous-tendent toutes sortes de traditions. Les femmes sont donc toujours supposées procréer et élever leurs enfants dans le respect des traditions nationales. Et elles doivent vivre selon une morale irréprochable pour honorer la « nation ». Les hommes, quant à eux, sont censés être forts. Ils doivent construire la terre et la nation, et aider à les défendre contre les autres « nations ».

Le viol
La gauche révolutionnaire considère souvent que le nationalisme est un problème secondaire. Quant aux militants ou aux théoriciens qui y accordent de l’importance, ils analysent rarement le rôle central du patriarcat dans le nationalisme. Ils ne font pas de différence entre l’influence exercée par le nationalisme sur les hommes et sur les femmes. Cette erreur est liée à l’incapacité de percevoir l’importance politique de la « sphère de la reproduction » dans la société, erreur que la gauche révolutionnaire commet souvent.

Il existe de nombreux exemples de situations, cependant, où le nationalisme a des conséquences complètement différentes pour les hommes et pour les femmes. Prenons par exemple les camps en Bosnie au milieu des années 90. Le viol systématique des femmes de l’ennemi était considéré comme un moyen de déshonorer l’essence de l’autre nation.

Ou prenons le cas de la politique néerlandaise en matière d’immigration : les fonctionnaires de l’État décident qui a le droit de vivre sur le sol de « notre nation ». Ils accordent le plus souvent aux femmes des cartes de séjour dont la validité dépend de celle de leurs maris. Cette situation oblige les femmes à vivre avec leurs époux pendant des années, même lorsque ces maris les maltraitent.
En matière de politique démographique, le nationalisme et le patriarcat font également bon ménage. Lorsque les politiciens considèrent que la population d’une « nation » donnée n’est pas assez ou trop nombreuse, ils déclenchent presque toujours des campagnes pour faire l’éloge des femmes de telle ou telle nationalité qui ont davantage — ou moins — d’enfants qu’elles. Malheureusement, ils ne s’arrêtent pas là et ne se contentent pas d’essayer de les endoctriner. Les naissances sont souvent stimulées par les allocations ou, dans le cas inverse, les États pratiquent la stérilisation de masse, parfois volontaire et parfois forcée.

Blut und Boden (Le Sang et le Sol)
Le nationalisme prend de nombreuses formes, de l’effrayant nationalisme völkish (national-populiste) des nazis au nationalisme civique très libéral qui caractérise de nombreuses démocraties occidentales. Chaque nationalisme est constitué d’un mélange d’éléments biologiques, culturels et civiques. Il ne faut pas bien sûr négliger les différences entre les nationalismes qui privilégient les éléments biologiques, culturels ou civiques, mais tous les nationalismes sont patriarcaux et exclusifs. Les nationalismes à dominante biologique considèrent que les liens de sang entre les membres du peuple (Volk) sont essentiels. Dans ce cadre de pensée, un peuple ne peut survivre qu’en se reproduisant lui-même. Une telle idéologie définit immédiatement la fonction la plus importante des femmes de ce Volk : la procréation. Pour influencer la croissance de leur peuple, ces nationalistes s’intéressent beaucoup aux nouvelles techniques de reproduction. Ils pensent que ces techniques leur permettront d’accroître le nombre de naissances dans leur propre peuple et de diminuer le nombre d’enfants des autres peuples. Pour cela, il suffit de diffuser des contraceptifs de longue durée et des techniques bon marché de stérilisation.

L’éducation
Dans les nationalismes à dominante culturelle, la tradition, la religion, la langue et la littérature jouent un rôle central pour déterminer qui fait partie de la nation — et surtout qui n’en fait pas partie. L’objectif de toutes les manifestations nationalistes culturelles est de fournir une représentation symbolique et idéologique de la nation idéale.

Et ces manifestations assignent toujours des rôles spécifiques aux hommes et aux femmes. Les deux sexes sont responsables de la survie de la « nation », mais chacun à sa façon. Les hommes doivent protéger la « nation » contre les intrus extérieurs en utilisant leur force. Les femmes doivent élever les enfants de la « nation » en leur enseignant les traditions, par exemple en leur faisant apprécier la cuisine, les vêtements et les contes traditionnels qu’on leur a transmis.
A cause de leur rôle éducatif, les femmes sont considérées comme « les représentantes de la nation » et incarnent son « honneur ». C’est pourquoi elles sont souvent les cibles privilégiées de la violence masculine, par exemple lorsque, pendant une guerre, les hommes d’une nation pensent qu’ils peuvent souiller l’honneur et l’innocence de la nation qu’ils combattent en violant ses femmes.
Ce type de violence s’exerce aussi au sein de la nation elle-même, si par exemple une femme essaie de refuser d’endosser son rôle traditionnel. Dans ce cas, elle déshonore sa famille et sa nation. Les femmes sont souvent mises au ban de la société, voire tuées, parce qu’elles s’habillent de façon « trop dénudée » ou ont une aventure extraconjugale.

Dans les nationalismes à dominante civique, le critère officiel pour faire partie de la nation est d’être un(e) citoyen(ne).
Ce type de nationalisme est répandu dans les États occidentaux démocratiques et est généralement considéré comme la forme de nationalisme la plus tolérante et la plus innocente. En principe toute personne peut devenir un(e) citoyen(ne). Mais à cause des pratiques racistes et sexistes du nationalisme civique certains groupes de gens ont très peu de chances d’être accueillis au sein de la nation. Ce type de nationalisme est tout aussi exclusif que les autres. Les lois sur l’immigration sont généralement taillées sur mesure pour les hommes ; les femmes ont presque toujours beaucoup de mal à obtenir une carte de séjour indépendante de celle de leur mari. De plus, même lorsqu’un étranger devient Néerlandais, qu’il est accepté au sein de la nation, il n’a pas toujours les mêmes droits. Récemment, par exemple, le ministre Nawijn a proposé d’expulser de jeunes délinquants marocains qui avaient un passeport… néerlandais. L’accès à la nation est donc toujours conditionnel et peut être remis en cause lorsque le nationalisme s’accroît dans un pays donné.

Lectures conseillées sur les rapports entre nationalisme et patriarcat : Gender and nationalism de Nira Yuval-Davis (1997) et Gender ironies of nationalism de Tamar Mayer (2000).