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Les syndicats appellent à dénoncer les travailleurs clandestins aux Pays-Bas
Article mis en ligne le 2 juin 2017

De Fabel van de illegaal n° 71/72, été 2005

Harry Westerink

En 2004, en Belgique, le Vlaams Blok, parti d’extrême droite, a créé une ligne téléphonique spéciale pour dénoncer les clandestins. Les Belges et les Néerlandais ont été horrifiés par cette idée. Mais cela n’a pas empêché les syndicats néerlandais de prendre la même initiative le 2 mai 2005 pour dénoncer les clandestins sur les chantiers du bâtiment. Les syndicats communiquent ensuite l’information aux services de l’Inspection du travail et contribuent ainsi à traquer des milliers de sans-papiers, notamment polonais.

Le lendemain du 1er mai, journée censée célébrer la lutte internationale de la classe ouvrière contre le capitalisme, trois syndicats du bâtiment néerlandais – le FNV Bouw (social-démocrate), le CNV (chrétien) et le HZC – ont pour la première fois donné aux ouvriers la possibilité de dénoncer leurs collègues grâce à une ligne téléphonique réservée à la délation. « Les travailleurs du bâtiment souffrent de plus en plus de la concurrence déloyale d’ouvriers étrangers bon marché qui ne respectent pas les conventions collectives nationales. Nous espérons que cette ligne d’information augmentera la pression sur les employeurs qui embauchent des travailleurs illégaux, afin qu’ils sachent qu’ils peuvent être pris », ont déclaré les syndicats.
Mais, bien sûr, ce seront les travailleurs sans-papiers qui seront « pris ». Au lieu de lutter pour des droits identiques en faveur de tous les travailleurs, les syndicats collaborent – apparemment au nom de l’idée que les « nationaux sont prioritaires » – avec le gouvernement qui organise des descentes contre les sans-papiers sur les lieux de travail. En agissant ainsi, les syndicats divisent les travailleurs et aident le gouvernement. Le porte-parole du CNV, Johan Slok, nie que son syndicat dresse les ouvriers les uns contre les autres. « Des Néerlandais ont déjà été licenciés et remplacés par des Polonais. Les ouvriers néerlandais regardent maintenant avec suspicion les Polonais. La nouvelle ligne téléphonique n’empirera pas la situation(1). »

La culture de l’espionnage

Le Comité syndical des victimes d’accidents du travail de la province de Friesland considère la question d’une toute autre façon et s’oppose à l’accroissement de l’ « espionnage » social. « Depuis le début des années 1990, écrit-il, les dirigeants des sociétés d’assurance s’occupant de l’industrie et les services sociaux ont adapté leur politique traditionnelle concernant les dénonciations anonymes aux temps modernes, ou plutôt aux nouvelles tendances. Sans même discuter du principe, ils sont passés de la condamnation de la délation à l’encouragement de cette même pratique dans les administrations publiques et les conseils municipaux. Ce changement de normes semble être concomitant avec la diminution de la solidarité – ce ciment qui maintient l’unité de la société – et l’augmentation de l’importance de la défense des intérêts individuels, ces « pierres isolées ». Nul besoin de travailler dans le bâtiment pour savoir que ce type de comportement ne renforce nullement la cohésion et les liens sociaux. » Selon le Comité syndical de Frisland, « les gens acceptent formellement et publiquement d’espionner », si la délation est présentée comme un outil au service d’une politique officielle. On encourage les salariés à « s’espionner les uns les autres et à pratiquer la dénonciation. Progressivement il se crée une culture de l’espionnage, et cela pousse les citoyens à penser de plus en plus qu’il est normal de soupçonner leurs voisins(2) ».

Le vice-président du FNV, John Kerstens, veut canaliser « certains sentiments » à l’intérieur du syndicat dans « de bonnes directions ». « Depuis quelque temps déjà nous entendions des membres et des cadres [du syndicat] dire que « les étrangers arrivaient ». Nous n’écoutions pas toujours leurs réclamations et cela a amené nos adhérents à élever de plus en plus la voix. Nous ne pouvions bien sûr pas rester sourds aux sentiments de nos membres. » C’est pourquoi le syndicat a commencé « une enquête » sur le travail illégal, comparable, par ses méthodes, aux descentes menées par les services de l’Inspection du travail ou de la police. Les responsables du FNV ont désormais décidé de « réglementer » ce qui se passe sur les chantiers de construction « avec les travailleurs qui ont franchi la frontière ». « Cela ne signifie pas que nous allons mener la chasse aux étrangers, a déclaré Kerstens. Nous ne sommes pas officiellement compétents en la matière. Nous laissons cette tâche aux inspecteurs du travail avec lesquels nous coopérons(3). » Mais celui qui collabore à la « chasse » se salit lui aussi les mains.

En collaboration avec le gouvernement néerlandais, les syndicats veulent construire une véritable digue contre « la marée polonaise »(4) afin de protéger « nos propres travailleurs ». « C’est pourquoi nous avons besoin de davantage de policiers sur les chantiers », a affirmé Lex van Dijk, l’un des responsables de l’Inspection du travail. Les équipes d’intervention de l’Inspection du travail sur les chantiers et les policiers du SIOD ont intensifié leur chasse. « Tout effort des salariés et des employeurs pour diminuer l’importance du travail illégal est le bienvenu », déclare Van Dijk qui « utilisera avec reconnaissance » tout « indice ou renseignement fourni par le syndicat FNV de la construction »(5).

Harry Westerink
(2005)

Notes
1. « Meldpunt illegale arbeid in bouw van start », site Web Nieuws.nl
2. « Open brief aan de gemeenteraden in Friesland », Fries WAO-beraad, site Web : Sociale Databank Nederland
3. « Grenzen op een kier », Mariska Siebring, magazine du syndicat FNV Bouw, mai 2004.
4. « Hollandse dijken tegen Poolse « vloedgolf » », Eric Krebbers, archives (en néerlandais) du site de De Fabel. On trouvera une analyse plus détaillée de la situation des travailleurs est-européens aux Pays-Bas dans : « Comment les Pays-Bas font trimer les migrants d’Europe de l’Est » de Harry Westerink (p. 108-118 de ce livre).
5. « Bouw krijgt meer blauw », Louis Jongeleen, magazine du syndicat FNV Bouw, décembre 2003.