En Grande-Bretagne, comme en France, en Belgique ou en Hollande il existe des associations musulmanes ayant des ambitions politico-religieuses plus ou moins claires et plus ou moins avouées. Le cas de la MAB (Muslim Association of Britain) est intéressant parce qu’il s’agit d’un petit groupe implanté dans la communauté arabe, et donc minoritaire par rapport à la masse des musulmans britanniques ou vivant en Grande-Bretagne, d’origine pakistanaise. Or c’est justement ce petit groupe que le SWP a choisi d’associer au mouvement antiguerre sous prétexte qu’il pourrait amener beaucoup de musulmans aux manif. On retrouve là un peu le même problème, toutes proportions gardées, que l’intégration de l’UOIF dans le Conseil des institutions musulmanes représentatives de France. Dans un cas, des trotskystes, dans l’autre un ministre de l’Intérieur, choisissent de donner une certaine respectabilité à des groupes politiques (ou religieux, mais pour un islamiste la différence n’existe pas) qui camouflent leur projet véritable pour acquérir une certaine surface médiatique. Et dans un cas comme dans l’autre il s’agit de groupes liés aux Frères musulmans, organisation anti-ouvrière qui sévit un peu partout au Proche et au Moyen-Orient. En Belgique, c’est le Parti du Travail de Belgique (groupe mao-stalinien) qui fait la courte échelle à la Ligue Arabe Européenne. Comme si les musulmans (au sens le plus large, civilisationnel) ne pouvaient être représentés que par des religieux et, de surcroît, par les religieux les plus réactionnaires…. (Y.C.)
P.S. L’article suivant est extrait du journal de l’Alliance for Workers Liberty, Solidarity et a été publié dans notre revue en 2004, mais il n’a pas perdu une ride, hélas !
La manifestation organisée par la coalition Stop the War contre la guerre en Irak, le 28 septembre 2002, a été soutenue, entre autres, par la Muslim Association of Britain (MAB). La direction de la coalition Stop the War (dont le Socialist Workers Party) a déployé tous ses efforts pour présenter la MAB comme une organisation représentant tous les musulmans de Grande-Bretagne, affirmation fort éloignée de la vérité.
En fait, la MAB est une organisation politique qui a un objectif très spécifique – un objectif réactionnaire, auquel les mouvements étudiant, ouvrier et anti-guerre devraient s’opposer vigoureusement.
Ce que dit la MAB elle-même
Selon le journal Inspire, diffusé lors de la manifestation du 28 septembre 2002, dans un article intitulé « Les racines historiques et les fondements » de la MAB, son existence est explicitement liée à la tradition du fondamentalisme islamique des Frères musulmans, dont le but déclaré est « l’application extensive de l’Islam comme mode de vie afin qu’il ne soit plus cantonné à un rôle seulement religieux ». Lors de la réunion du 11 janvier 2003, un orateur de la MAB a déclaré que son organisation était fière d’être affiliée aux Frères musulmans.
En clair, la MAB ne cache pas qu’elle fait partie d’un courant politique qui vise à établir un Etat régi par la loi islamique, dont les décisions sont prises par une petite élite religieuse et dont la population est soumise à des lois draconiennes fondées sur un texte vieux de 1 300 ans (le Coran) et des traditions réinventées remontant à plus de mille ans. Pour comprendre ce que cela signifie, il suffit de lire un article d’Inspire sur « L’islam et les droits de l’homme ». Ce texte affirme que celui qui renie l’islam (l’apostat) commet soit « un crime religieux punissable de mort » soit, au moins, « un acte de mutinerie ou de trahison » qui doit être puni en tant que tel. Les slogans de la MAB, facilement accessibles sur son site Internet, donnent également une idée de sa politique. Prenons par exemple le mot d’ordre : « Les sionistes hors de Palestine ! »
Etant donné que la vaste majorité des citoyens juifs d’Israël se considèrent comme sionistes, ce slogan ne peut que traduire l’hostilité à la présence même des Juifs en Palestine (position différente de l’opposition à l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, ou de la condamnation de la façon discriminatoire dont Israël traite ses citoyens arabes).
Que sont les Frères musulmans ?
Les Frères musulmans, avec lesquels la MAB entretient des liens politiques étroits, sont l’organisation islamiste fondamentaliste la plus importante en Egypte, au Soudan et dans de nombreuses autres parties du monde musulman. Dans les pays où les Frères musulmans ont acquis une influence de masse, ils ont joué un rôle profondément réactionnaire, hostile à la démocratie, au mouvement ouvrier, à la laïcité et aux droits des femmes.
Quelques exemples.
En Egypte, les Frères musulmans ont décrété que l’universitaire musulman Nasr Abu Zaid était un apostat après qu’il eut déclaré que le Coran avait été interprété de différentes façons, dans des contextes historiques différents. Ils essayèrent d’obliger sa femme à divorcer, et le couple dut finalement s’enfuir en Scandinavie.
Au Soudan, un coup d’Etat militaire soutenu par les Frères musulmans a pris le pouvoir en 1989, écrasant les puissantes grèves ouvrières qui avaient paralysé le pays à la fin des années 80, et bloquant ainsi la possibilité d’un traité de paix avec le Sud majoritairement chrétien.
En Palestine, le Hamas était au départ la section de Gaza des Frères musulmans. Et d’ailleurs le site web des Frères musulmans pakistanais (Jamaat-e-Islami) inclut le Hamas dans la liste de ses liens.
En Algérie les Frères musulmans font partie du Front islamique du salut, l’alliance de groupes islamistes qui gagna les élections de 1991. L’armée les ayant empêchés de prendre le pouvoir, il en résulta une guerre civile au cours de laquelle les intégristes massacrèrent des milliers de militants de gauche, d’intellectuels partisans de la laïcité, de féministes et de syndicalistes.
La MAB et la communauté musulmane
La MAB elle-même admet ne compter que douze sections en Grande-Bretagne et reconnaît que ses militants sont surtout Arabes, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à une petite minorité de la communauté musulmane britannique. Cependant la MAB dispose de suffisamment d’argent pour imprimer des publications extrêmement luxueuses et mener toute une série d’activités – ce qui amène à s’interroger sur la provenance de son argent. La MAB ne représente pas et ne peut pas représenter toute la communauté musulmane. Elle est farouchement hostile aux groupes musulmans qui sont en désaccord avec elle, par exemple Al-Fatiha, la LGB musulmane. La question fondamentale est la suivante : pourquoi les mouvements étudiant, ouvrier et antiguerre devraient-ils faire connaître un courant politique de droite et l’aider à s’implanter chez les musulmans ? En s’alliant avec la MAB, la coalition Stop the War risque de faire croire qu’elle s’intéresse davantage aux musulmans conservateurs et fondamentalistes qu’aux musulmans de gauche ou partisans de la laïcité (ou qu’aux ex-musulmans qui ne croient plus en Dieu).
Critiquer la MAB n’est pas faire preuve d’islamophobie ni être antimusulman ; beaucoup de musulmans, si ce n’est la plupart d’entre eux, sont fermement opposés au fondamentalisme, et les ouvriers, les femmes et les gens de gauche musulmans sont bien sûr les premières victimes des fondamentalistes lorsque ceux-ci prennent le pouvoir. Ce n’est pas une coïncidence si les mouvements socialiste, féministe et ouvrier dans les pays musulmans sont ceux qui s’opposent le plus violemment au fondamentalisme, puisqu’ils se battent pour sauver leur peau. Le Labour Party du Pakistan, par exemple, considère que le fondamentalisme est un « nouveau fascisme » et que Jamaat-e-Islami représente l’une des plus graves menaces auxquelles doit faire face le mouvement ouvrier au Pakistan.
N’est-ce pas faire preuve d’islamophobie que de supposer que tous les musulmans soutiennent la politique des fondamentalistes ?
La MAB et le mouvement antiguerre
Non seulement l’alliance de la coalition Stop the War avec la MAB risque d’éloigner les musulmans de gauche et ceux partisans de la laïcité, mais elle peut avoir le même effet sur les Juifs, les féministes et bien d’autres gens de gauche. Lors de la manifestation du 28 septembre 2002, il y avait beaucoup moins de groupes musulmans anti-fondamentalistes et de groupes de juifs de gauche que lors de la manifestation contre les bombardements de l’Afghanistan en 2001. Les ressources financières considérables de la MAB lui permettent de mobiliser un nombre significatif de gens ; mais, en supposant même qu’une position clairement anti-fondamentaliste repousse plus de personnes qu’elle n’en attire, le nombre n’est pas tout. Nous croyons que la coalition Stop the War devrait avancer des slogans démocratiques, internationalistes, en faveur de la laïcité, et s’enraciner fermement dans les mouvements ouvrier et étudiant – et, à l’intérieur de ce cadre général, tenter de mobiliser le plus possible de sympathisants.
La politique de la MAB
Les défenseurs de la MAB affirment souvent que cette organisation a condamné les atrocités du 11 septembre et s’est dissociée des activités des groupes islamistes les plus radicaux. Certes, le service d’ordre de la MAB a tenté de contenir des groupes comme Al-Muhajiroun lors de la manifestation du 28 septembre ; et il est vrai que sa politique n’est pas aussi extrémiste que celle d’al-Qaïda. Cependant, cela ne veut pas dire grand-chose. Prenons une analogie : des groupes comme le Front national français ou le FPO autrichien ne sont pas fascistes, au sens où l’étaient les nazis allemands ; il est pourtant indubitable qu’ils font partie du même milieu politique. La MAB se situe à l’extrémité modérée, réformiste, de l’éventail du fondamentalisme islamique, mais fait partie du même spectre politique.
Accepter ces politiciens réactionnaires au sein du mouvement antiguerre, c’est prendre le risque de l’affaiblir et de le marginaliser.
Vickim