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Ni patrie ni frontières
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Pourquoi la revue Ni patrie ni frontières a-t-elle été créée en 2002 ?
Article mis en ligne le 28 avril 2017

« Le communiste moyen, qu’il soit fidèle à Trotsky ou à Staline, connaît aussi peu la littérature anarchiste et ses auteurs que, disons, un catholique connaît Voltaire ou Thomas Paine. L’idée même que l’on doit s’enquérir de la position de ses adversaires politiques avant de les descendre en flammes est considérée comme une hérésie par la hiérarchie communiste. »
(Emma Goldman)

Au moment où l’Europe tente de réaliser son unification politique, les divisions linguistiques, politiques et culturelles sont encore suffisamment fortes pour entretenir l’isolement entre les militants de différents pays.

Certes le capitalisme repose aujourd’hui sur des multinationales, les États possèdent de multiples structures de dialogue et de confrontation, les possédants et les technocrates utilisent la visioconférence, mais le mouvement ouvrier semble encore très en retard par rapport à ses adversaires.

A l’heure où la prétendue lutte contre la mondialisation a le vent en poupe, force est de constater que l’isolement national se perpétue dans les luttes de classe. Malgré Internet, les voyages militants à Seattle, Gênes, Göteborg, Barcelone ou Porto Alegre, et la multiplication des chaînes de télévision, le flux d’informations qui circulent n’a, en fait, que peu d’incidences sur la vie quotidienne, les pratiques des groupes existants et les luttes des travailleurs dans chaque pays. C’est un tel constat pessimiste qui nous incite à vouloir créer ce bulletin. Mais c’est aussi la conviction qu’une autre attitude est possible face au riche patrimoine politique et théorique qui existe à l’échelle internationale.

Pour débloquer la situation, toute une série de conditions seraient nécessaires, conditions qui ne sont pas liées à la simple volonté de ceux qui rejettent absolument cette société et toute solution de rafistolage. Mais nous pourrions au moins commencer par discuter et réfléchir ensemble autrement.

Dans les milieux d’extrême gauche, en effet, on débat rarement dans le but d’avancer, d’apprendre des autres « camarades », qu’ils militent en France ou dans d’autres pays. Il s’agit surtout de « (con)vaincre » son interlocuteur, de le coincer, de le dominer. Il n’est pas vraiment utile de connaître les positions de son vis-à-vis, toujours perçu comme un « adversaire ». Un petit vernis politicien et un bon bagout suffisent largement à la tâche.

Non seulement on est fier de son ignorance, mais on la théorise : les autres groupes ne diraient rien d’essentiel, ils feraient tous le jeu du réformisme ou de la bourgeoisie ; ce seraient d’obscurs intellectuels souvent carriéristes, toujours confus ; la situation dans telle ou telle région du globe serait trop différente ; les autres organisations seraient « activistes », « ouvriéristes », « syndicalistes », etc. Le stock d’anathèmes et de faux-fuyants est inépuisable. Pourtant la réflexion politique et théorique n’avance pas du même pas, suivant les États et les continents, et — ne serait-ce qu’à ce niveau — les échanges devraient être fructueux.

Malheureusement, chaque groupe se contente d’un petit « capital » de références qui, avec les ans, non seulement ne s’accroît pas mais s’amenuise régulièrement.

Plus grave encore : l’indifférence à la réflexion ne se limite pas aux questions dites « théoriques ».

Elle concerne aussi la réalité des luttes ouvrières, des pratiques syndicales ou extra-syndicales dans d’autres pays. Lorsque des centaines de milliers d’ouvriers portugais ont occupé leurs usines en 1974-1975, qu’ils ont essayé de les gérer eux-mêmes, il ne se s’est trouvé que fort peu de militants pour se mettre à leur écoute et les soutenir efficacement. Certains ont fait le voyage jusqu’au Portugal ou se sont précipités sur les différents journaux militants pour avoir des « nouvelles ». Mais toute leur attention était centrée sur le groupuscule ou le parti qui allait grossir le plus vite, voire qui allait prendre le pouvoir. Résultat, les travailleurs portugais ont dû se dépatouiller tout seuls avec leurs problèmes. On pourrait établir la même constatation à propos de l’Iran au moment de la prise de pouvoir par Khomeyni (où l’agitation ouvrière ne fut presque jamais évoquée), de Solidarnosc, des grèves ouvrières dans la Russie de Poutine, sans parler de l’Argentine ou du Venezuela actuels.

Dans tous les cas, on a l’impression que seuls comptent les discours des possédants et les récits dithyrambiques des « victoires » minuscules des groupuscules ou des partis politiciens. Les luttes des travailleurs, les formes originales d’organisation qu’ils créent, tout cela passe à la trappe — à l’exception de quelques revues confidentielles qui s’en font l’écho. Et l’incompréhension est encore aggravée par le fait que, les rares fois où on les interroge, les militants ont souvent du mal à synthétiser leur expérience et qu’ils adoptent, sans le vouloir, un langage de politicien ou de commentateur, qui affadit la valeur de leur témoignage.

A notre échelle, nous ne sommes évidemment pas en mesure de renverser une telle situation. Mais nous pouvons poser quelques infimes jalons, notamment en traduisant des textes théoriques et politiques classiques qui ont formé des générations de militants dans d’autres pays et ne sont jamais parvenus jusqu’à nous, ainsi que des textes plus récents, liés à l’actualité.

Quels seront nos critères de choix ? Tout d’abord la lisibilité. Ce qui exclut les commentaires verbeux, les sempiternelles et vaines exégèses de textes sacralisés. Nous ne sommes pas opposés aux polémiques, mais à condition qu’il ne s’agisse pas de diatribes sectaires et stériles. L’objectif n’est pas de rassurer, de ronronner, mais d’apprendre quelque chose. Nous puiserons dans les traditions marxistes, libertaires, ou autres, sans exclusive. A condition que leurs auteurs soient mus par une saine révolte contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation.

Nous souhaitons éveiller la curiosité, le sens critique. Nous voulons sortir des carcans mentaux et idéologiques imposés par de longues années d’isolement. Rien ne nous est plus étranger que le patriotisme, y compris sa variante étriquée : le patriotisme d’organisation. Le célèbre : RIGHT OR WRONG, MY PARTY (Qu’il ait tort ou raison, c’est mon parti et je défends sa ligne et ses frontières) a montré ses aspects catastrophiques pour tous les aspects du mouvement d’émancipation.

Ce minuscule bulletin essaiera, en tâtonnant, de provoquer la réflexion et l’échange, en ces temps d’apathie et de désintérêt pour les idées, et de peur de la discussion. Il présentera des positions différentes voire contradictoires, avec la conviction que de ces textes, anciens ou récents, peut naître un dialogue fécond entre les hommes et les femmes qui prétendent changer le monde.

Enfin, ce bulletin se prononcera aussi sur la situation française puisqu’il parait dans ce pays. Notre contribution à la clarification politique consistera à rappeler quelques principes et à mettre en évidence les conceptions, à notre avis erronées, qui sous-tendent les schémas d’interprétation les plus courants.

(Texte publié en septembre 2002 dans le premier numéro de la revue pour exposer ses objectifs.)


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