Mai 68 = Novembre 2005 ?
Du danger de certaines
comparaisons hâtives
Plusieurs intellectuels mais aussi Le monde libertaire et Convergences révolutionnaires (Fraction de LO) ont comparé les incendies de voi-tures en Mai 68 et celles de novembre 2005 et les manifestants étu-diants « privilégiés » d’il y a quarante ans aux jeunes révoltés d’aujourd’hui. Cette comparaison nous semble erronée, voire dange-reuse, pour plusieurs raisons.
En 1968 les manifestants ne « mettaient pas le feu » aux voitures. Les manifestants retournaient les voitures pour barrer les rues, l’essence s’écoulait lentement sur le pavé et ce sont les jets incessants de grenades des flics qui y mettaient le feu, parfois au bout de plusieurs heures. C’est du moins ce que « nous » n’avons pas cessé de répéter à l’époque. Les cocktails Molotov n’étaient pas réservés aux voitures des parents bourges mais aux flics, nuance importante.
N’importe quel fabriquant d’effets spéciaux au cinéma sait qu’il est dif-ficile de faire prendre feu à une voiture, contrairement à ce que tous les feuilletons et films nous montrent.
Une fois établi qu’au niveau des faits, la comparaison entre les incen-dies de voitures en 1968 et 2005 n’a pas de sens, il faut aussi dire qu’elle n’a aucun sens au niveau de l’interprétation qui en est donnée. En effet, on nous explique les étudiants « privilégiés » auraient mis le feu aux voitures de leurs riches parents, DONC qu’il serait normal que les enfants des cités mettent le feu aux véhicules de leurs géniteurs. Cette comparaison repose sur une information fausse quant à la composition sociale des « émeutiers » de mai 68. Avant 1968 les manifestants étudiants du Quartier latin ne s’affrontaient pas violemment aux flics, et réciproquement, si l’on met à part certaines manifestations contre la guerre d’Algérie.
Ce qui a radicali-sé les affrontements c’est l’intervention brutale de deux nouveaux acteurs, les gardes mobiles et les CRS, dont l’usage par l’Etat était auparavant ré-servé aux paysans et aux ouvriers. Mais surtout c’est la présence massive sur les barricades de jeunes ouvriers et chômeurs. C’est ce cocktail explo-sif qui a radicalisé la situation et non la révolte des fils à papa. Et l’origine sociale et les professions des personnes arrêtées ou condamnées en mai 68 le montraient bien.
Il est curieux que, quarante ans après mai 1968, on trouve dans les mi-lieux révolutionnaires une méconnaissance aussi profonde des faits. Cela montre visiblement que les « soixante-huitards » n’ont pas fait leur boulot de transmettre leur expérience aux générations suivantes. Ou alors qu’ils n’ont transmis que des souvenirs bien superficiels…
Une fois les faits établis, rien n’interdit bien sûr de comparer l’indignation de certains soixante-huitards actuels (bien installés dans le confort douillet de leurs grands appartements des quartiers bourgeois) face aux incendies de voitures d’aujourd’hui et leur neutralité bienveillante ou complice de l’époque. Mais il s’agit d’un argument totalement différent.
Y.C., décembre 2005