Solidarity N° 3/83, 3 novembre 2005
L’émeute qui a éclaté dans le quartier de Lozells à Handsworth, Bir-mingham, le week-end du 21-23 octobre 2005 n’avait rien de progressiste. Les violences ont été alimentées par la pauvreté, le racisme, l’hystérie de masse, les gangs criminels qui vivent du trafic de drogue, la religion et le communautarisme.
Les troubles ont démarré à la suite d’une rumeur qui se répandait dans la communauté afro-caribéenne depuis plusieurs mois : une jeune fille noire de 14 ans aurait été victime d’un viol collectif commis par un commerçant asiatique et ses amis.
La police avait enquêté sur cette rumeur, mais elle n’a jusqu’ici pas trouvé la moindre preuve de cet événement. Face aux explications des flics, la rumeur affirmait que cette jeune fille était une immigrée sans-papiers et qu’elle avait donc peur de porter plainte. Si cette affirmation était vraie, ce serait une chose horrible, mais ce ne sont pas seulement les flics qui pensent que cette affaire est sans fondements : certains Afro-Caribéens et Asiatiques qui vivent dans ce quartier, avec lesquels j’ai par-lé et dont le jugement me semble solide et fiable, voient dans cette rumeur un « mythe urbain ».
Cette rumeur a été lancée par un DJ chrétien et noir, Warren G, sur une station radio pirate et elle a été reprise par un journal qui exerce beaucoup d’influence dans la communauté afro-caribéenne : The Voice. La rumeur s’est étendue et s’est envenimée.
Par une tragique ironie, le premier résultat fatal de l’émeute a été la mort d’Isiah Young-Sam, ex-copain d’école du DJ Warren G et qui apparem-ment a été poignardé à mort parce qu’on l’a pris, à tort, pour un Asiatique.
De nombreux Afro-Caribéens de Birmingham pensaient et pensent en-core que ce viol a vraiment eu lieu. C’est cette conviction qui a servi de catalyseur à une explosion de racisme spécifiquement dirigée contre les commerçants asiatiques. Des magasins asiatiques ont été attaqués et des dirigeants « respectables » de la communauté afro-caribéenne ont appelé à boycotter les magasins asiatiques.
Il faut malheureusement admettre que certains commentateurs asia-tiques, sur des listes de diffusion et dans la presse, ont développé des pro-pos racistes écœurants contre les Noirs, en utilisant le même langage que le British National Party (parti raciste d’extrême droite britannique, NDLR).
Il est aussi évident que l’émeute a été au départ encouragée et exploitée par des gangs de trafiquants afro-caribéens (les « Johnsons » et les « Burger Boys ») qui terrorisent la population travailleuse de toutes origines à Handsworth depuis plusieurs années. Cependant la réaction de la popula-tion afro-caribéenne (principalement, mais pas exclusivement masculine) n’est pas simplement due à l’influence des bandes ou des gangs. Cette ré-action a été nourrie par des griefs, à la fois réels et imaginaires :
1) Les Afro-Caribéens se plaignent que les Asiatiques ont mieux réussi qu’eux sur le plan commercial, qu’ils les ont évincés d’activités dans les-quelles les Afro-Caribéens s’étaient spécialisés comme la vente de pro-duits capillaires, et qu’ils n’emploient donc plus de personnel afro-caribéen dans leurs magasins.
2) Les Afro-Caribéens critiquent la façon dont la municipalité et le gou-vernement distribuent les subventions et les prêts aux initiatives locales. Traditionnellement les institutions ont toujours apprécié les organisations « ethniques ». On peut dire que ce système de subventions est presque cal-culé pour exacerber les tensions ethniques, car les prétendus « représen-tants » des Asiatiques et des Afro-Caribéens se combattent durement pour avoir des places dans la commission qui distribue les fonds.
Encore une fois, sur ce plan-là aussi, les Afro-Caribéens ont l’impression que les Asiatiques ont mieux réussi qu’eux, à cause de leur habileté à collecter des fonds provenant à la fois des entreprises asiatiques et des banques.
Les « dirigeants communautaires » asiatiques et afro-caribéens autopro-clamés ne sont pas spécialement représentatifs de la population, et en par-ticulier de la jeunesse, qui dans les deux « communautés » est de plus en plus influencée par des bandes ou des gangs.
Imitant les gangs de trafiquants afro-caribéens (qui, paradoxalement, ont rapidement compris que l’émeute ne servait pas leurs intérêts et ont com-mencé à appeler au calme), des bandes asiatiques, qui se sont appelées les « moudjahiddine », ont affirmé qu’elles allaient venir de Leicester pour dé-fendre les mosquées contre de possibles attaques menées par des Afro-Caribéens. Les dirigeants de la communauté asiatique ont, semble-t-il, empêché ces bandes de Leicester de venir jusqu’à Birmingham.
Exactement vingt ans auparavant, des émeutes apparemment semblables se sont produites dans le même quartier de Birmingham : mais à l’époque les violences constituaient une riposte contre le harcèlement de la police, et avaient un rapport direct avec le chômage et le racisme. Bien que cer-taines personnes de gauche (comme Darcus Howe) aient dressé un portrait romantique des émeutes de 1985 et les aient décrites comme un « soulè-vement », oubliant commodément le fait qu’une famille asiatique fut as-sassinée dans le bureau de poste de Lozells Road, il était encore possible à l’époque de trouver un contenu juste et progressif à ces émeutes. Mais on ne peut porter un tel jugement sur les événements du week-end dernier.
Ces événements ont été un cri de désespoir et de frustration totalement réactionnaire d’un groupe d’opprimés contre un autre. Ce cri a été invo-lontairement encouragé par la politique de distribution des fonds menée par le gouvernement central et le conseil municipal, politique qui encou-rage la « différence » plutôt que l’unité, et promeut l’exclusivité ethnique et les rivalités inter-ethniques. Un des aspects mineurs, mais particulière-ment écœurants de ces événements, a été la tentative de la Coalition Res-pect (dirigée par George Galloway et soutenue par le SWP, parti trots-kyste britannique, NDLR), organisation largement fondée sur le commu-nautarisme ethnique et religieux, de se présenter comme des « pacifica-teurs » en mettant en avant Selma Yacoob, elle-même « dirigeante commu-nautaire » autoproclamée.
Les événements tragiques de Lozells montrent la nécessité d’une poli-tique de classe et de revendications unificatrices qui évitent de mélanger et confondre tous les problèmes : la guerre en Irak et tous les aspects de la politique gouvernementale et municipale. Ces revendications devraient concerner les problèmes réels du chômage et l’absence de réussite des Noirs sans pour autant rendre responsables les Asiatiques (ou tout autre groupe ethnique) de la situation désespérée dans laquelle vivent les jeunes Afro-Caribéens.
Jim Denham, Birmingham, AWL
Suite à une question d’un lecteur sur la nature religieuse du conflit, Jim Denham a ajouté les précisions suivantes sur Internet :
« La rumeur qu’une jeune fille noire (afro-caribéenne) aurait été violée par un commerçant asiatique (musulman) a été lancée par un DJ chrétien qui a ensuite organisé un piquet de protestation en face de la mosquée lo-cale. Une grande partie de l’hostilité entre les Afro-Caribéens et les Asia-tiques a clairement un fondement religieux. Et la réaction de la jeunesse asiatique (musulmane) aurait elle aussi pris un tour religieux, si les diri-geants musulmans ne s’y étaient pas opposés. Je ne me suis sans doute pas assez bien expliqué dans mon article car il s’agit de questions difficiles et sensibles, mais je suis persuadé que la religion a joué un rôle important en alimentant à la fois l’hostilité entre deux communautés religieuses et le racisme [entre deux groupes “ethniques”, NDLR]. »