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Pays-Bas : Les jeunes Antillais pauvres sont la cible du gouvernement

Bientôt, les jeunes Antillais pauvres ne pourront émigrer aux Pays-Bas qu’après avoir suivi un programme d’intégration. Rappelons que les Antillais des îles : Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache et de la partie sud de Saint-Martin ont la nationalité néerlandaise et que ces îles deviendront en décembre 2008 des « Etats autonomes » ou des « communes à statut particulier », dépendant tous du Royaume des Pays-Bas, NPNF.] Le gouvernement régional antillais n’était pas favorable à cette mesure mais il a fini par capituler devant les menaces du gouvernement central néerlandais de lui couper les vivres. Une menace tout à fait représentative des relations entre la « mère patrie » et sa colonie.

Article mis en ligne le 19 mai 2017

De Fabel van de illegaal n° 44/45, printemps 2001

Ellen de Waard

Au cours des trois dernières années, près de 25 000 Antillais ont émigré aux Pays-Bas, ce qui représente plus de 10% du total de la population des Antilles néerlandaises. La majorité viennent de Curaçao, la plus grande des îles et le cœur du gouvernement régional. Les jeunes de Curaçao, entre 16 et 25 ans, viennent en métropole à la recherche de meilleures conditions. Ils espèrent trouver un emploi et une formation aux Pays-Bas. Ce ne sont pas seulement les Antillais peu formés, ou pas formés du tout, qui quittent les îles pour trouver une vie meilleure. Beaucoup de jeunes qui ont suivi leur scolarité sur le continent ou aux Etats-Unis veulent émigrer vers d’autres pays.

La situation s’est détériorée considérablement dans les Antilles néerlandaises. Le taux de chômage et le coût de la vie sont élevés, les prestations sociales et les salaires sont bas. Le FMI prône la « rigueur » économique, donc la réduction des salaires et des retraites des professeurs, du personnel hospitalier et des autres fonctionnaires. Les institutions gouvernementales licencient une bonne partie de leur personnel. L’essence et les medicaments sont hors de prix.

Et, pour couronner le tout, 70% des Antillais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Beaucoup d’adolescents ne terminent pas leurs études secondaires. Le système éducatif est encore fondé sur le néerlandais, langue que ne maîtrisent pas les trois-quarts de la population. À Saint-Martin, par exemple, 500 enfants en âge scolaire ne peuvent aller à l’école faute de moyens. Leurs chances de trouver un travail sont infimes. Beaucoup d’enfants traînent, désœuvrés, dans les rues.

Des mesures drastiques.
Jusqu’au début des années 1990, les Antillais étaient les bienvenus aux Pays-Bas. Ils venaient surtout pour étudier. Habituellement, les étudiants faisaient partie de l’élite de la société antillaise et parlaient très bien le néerlandais. Au cours des dernières années, les autorités néerlandaises de la métropole ont commencé à se plaindre que c’étaient surtout des jeunes Antillais très pauvres qui émigraient aux Pays-Bas. Selon elles, ces émigrés causaient beaucoup de problèmes qui rendaient la situation locale « incontrôlable ». Les médias évoquent souvent le cas de jeunes qui essaient de survivre en se livrant à des activités criminelles. L’administration râle contre les Antillais qui ne sauraient pas s’exprimer d’une façon « comprehensible », et se plaint que le système bureaucratique n’arrive pas à les attraper dans ses filets.

Les jeunes Antillais sont souvent accueillis par leur famille, dans leur propre communauté. Ces familles envoient les enfants à l’école, essaient ensuite de leur trouver du travail et un logement indépendant, mais elles ne signalent pas leur présence aux autorités municipales. En effet, si elles déclarent ces jeunes, les familles d’accueil rencontrent alors des problèmes, par exemple en ce qui concerne leurs allocations chômage ou d’autres prestations sociales. Comme de nombreux Antillais récemment arrivés n’ont pas d’adresse officielle sur le continent, ils ne peuvent recevoir d’allocations chômage ou d’aides sociales en leur propre nom. Leur faible niveau scolaire et leur manque d’expérience professionnelle sont des facteurs qui peuvent causer de graves problèmes. Les familles s’endettent de plus en plus pour les aider, et les jeunes essaient de trouver de l’argent en se mettant à vendre de la drogue. Les mères célibataires parfois sont obligées de se prostituer.

Face à cette situation, les autorités locales exigent l’adoption de mesures radicales. Elles ont suggéré de faire payer des amendes aux Antillais qui ne sont pas recensés dans les mairies. Certains fonctionnaires souhaitent même priver les Antillais de leurs droits à la Sécurité sociale et à l’éducation. D’autres considèrent que les jeunes Antillais devraient être enfermés dans des internats, à titre de mesure préventive.
Certains veulent appliquer aux jeunes Antillais la « loi sur le couplage de toutes les données informatiques publiques » (cette loi discriminatoire vise les travailleurs étrangers et sans-papiers, NPNF), ou alors imposer un système de visa entre les Antilles néerlandaises et le continent. « Les Pays-Bas ne sont pas un pays de cocagne », a déclaré le secrétaire d’Etat aux relations extérieures du royaume, De Vries. Chaque année, les autorités antillaises sont accusées d’exporter les jeunes délinquants ou les jeunes à problèmes vers la métropole.
Certains ont élaboré des mesures « imaginatives », comme des programmes de formation dans les prisons, ou l’enrôlement de force des jeunes Antillais dans la marine pour les discipliner et les éloigner de la rue.

Vêtements de saison
Van Boxtel, le ministre de la Politique urbaine et de l’Intégration, s’est rendu aux Antilles en décembre 2000. Le Parlement néerlandais l’y avait envoyé en mission pour qu’il restreigne l’émigration des Antilles vers les Pays-Bas. Le gouvernement antillais n’a pas voulu coopérer avec un plan qui restreindrait le droit de voyager au sein des différentes parties du royaume. Après tout, les Antillais ont la nationalité néerlandaise.

Ces autorités ont donc dénoncé l’attitude coloniale et condescendante du gouvernement central. Quand ce dernier a menacé de lui couper les vivres, les autorités antillaises lui ont rapidement obéi. Selon l’accord finalement conclu, les jeunes Antillais âgés de moins de 26 ans, qui ont un niveau d’éducation insuffisant (inférieur à l’équivalent du brevet ou du bac français, NPNF), doivent suivre un programme d’intégration pour bénéficier du droit d’émigrer aux Pays-Bas. Le gouvernement antillais préfère qualifier ces programmes d’« éducatifs ». Ce « programme d’intégration » durera 10 semaines et offrira des cours de langue, d’informatique et d’éducation civique pour comprendre le fonctionnement de la bureaucratie néerlandaise, mais aussi des conseils sur le fonctionnement des transports en commun et les vêtements qu’il faut porter en fonction des différentes saisons. Ces cours devraient commencer à partir du 1er avril 2001. Les jeunes Antillais qui n’auront pas suivi cette formation seront obligés de payer une amende. Les deux gouvernements (antillais et néerlandais) ne sont pas tombés d’accord sur la possibilité de leur interdire d’émigrer sur le continent. Mais, depuis longtemps, toutes sortes de mesures ont été prises pour dissuader les Antillais de venir aux Pays-Bas, par exemple en diminuant la délivrance des passeports aux mineurs. D’un autre côté, en juin 2000, le Parlement antillais a dû accepter que soit considérablement facilité l’accès aux Antilles des citoyens néerlandais qui veulent s’y installer.

Propagande
Les Antilles sont des colonies néerlandaises depuis 1634. Les Antillais font partie du royaume des Pays-Bas depuis cette date. Jusqu’au début du XXe siècle les Antillais travaillaient dans le cadre d’une économie fondée sur l’agriculture. Les propriétaires terriens étaient surtout des Néerlandais et les ouvriers agricoles souvent les descendants des esclaves amenés aux Antilles. L’esclavage fut aboli aux Pays-Bas en 1863, mais de nombreux anciens esclaves restèrent dans les îles pour travailler dans les champs, faute d’une solution meilleure. L’installation de la Shell aux Antilles a créé un grand changement.

En 1915, la Bataafsche Petroleum Maatschappij, qui devint ensuite la Shell, s’installa à Curaçao et acheta une plantation (Asiento) avec la péninsule voisine. Elle y stockait du pétrole brut et y construisit une grande raffinerie. En 1924, la Shell avait tellement grandi qu’elle devint le plus gros employeur local. Des gens venaient de toute la Caraïbe pour travailler chez Shell. Cette migration provoqua une augmentation de la population et du pouvoir d’achat des ouvriers. Les salaires de la Shell étaient plus élevés que ceux des autres entreprises de la région. En même temps, la Shell maintint une relation hiérarchique très stricte entre les Blancs et les Noirs, et entre la « mère patrie » et les colonies. Sur les ferries qu’utilisait la Shell pour transporter son personnel, les Blancs et les Noirs étaient séparés. Ses bus spéciaux ne transportaient pas les Noirs. Ceux-ci n’avaient pas le droit de se promener librement dans les quartiers blancs.

La Shell essaya, par tous les moyens, de transformer les ouvriers agricoles et les anciens esclaves en des ouvriers industriels disciplinés. Pour accomplir cette tâche, les travailleurs n’avaient pas besoin d’acquérir de nouvelles qualifications. La multinationale pensait qu’il fallait changer les attitudes de ses salariés, en ce qui concerne leur vie privée. C’est seulement quand leur reproduction (leur vie domestique) serait bien organisée, que l’entreprise pourrait utiliser au mieux ses ouvriers. Le mari devait être le soutien de famille, et la femme s’occuper des enfants, du foyer et des besoins sexuels de son mari. Cette famille nucléaire idéale devait améliorer la discipline, le respect et l’épargne. Shell défendait l’institution du mariage et l’obéissance des enfants à leurs parents, et elle récompensait ses vertus familiales en construisant des logements pour le personnel, des centres de santé, en distribuant des bourses d’études et en créant un système de retraites.

Le paradis du profit
L’histoire de Curaçao est celle d’un capitalisme sans entraves. Même au XXe siècle les îles antillaises sont restées un paradis du profit pour les entreprises privées et le gouvernement néerlandais. La Shell constituait un Etat dans l’Etat, elle avait fait main basse sur les terres, la distribution d’eau et avait créé ses propres installations. Les îles dépendaient beaucoup de ses services et de l’emploi qu’elle assurait. Les automobilistes avaient besoin de son essence, et les ménagères de son gaz pour cuisiner leurs aliments. En fait, la Shell a assuré la direction de Curaçao pendant des décennies.

Le gouverneur était le « caniche du président de la société », confessa le ministre des Affaires coloniales dans les années 1930 quand on lui demanda d’expliquer pourquoi le pouvoir politique acceptait les exigences de la Shell. Elle se moquait des conséquences sociales, écologiques et économiques de ses activités sur la population antillaise. La rafinerie provoqua une baisse considérable du niveau des nappes phréatiques, parce qu’elle consommait énormément d’eau. Ce qui finit par tuer l’industrie agricole. La pollution de l’air causée par Shell provoqua aussi un grave problème : la suie dans l’air créa de nombreux problèmes de santé chez les Antillais qui vivaient à proximité de la rafinerie, et en respiraient les fumées. Mais la Shell put poursuivre ses activités sans la moindre contrainte. Les bateaux sous pavillon des Pays-Bas et d’autres colonies n’étaient pas obligés de payer des impôts pour déverses leurs déchets dans les îles. Les entreprises étaient exonérées d’impôts pendant les dix premières années d’installation. Quant à la Shell, elle ne payait aucun impôt parce qu’elle dissimulait ses profits, comme s’il s’agissait de secrets d’Etat. Les riches Néerlandais payaient un impôt très faible sur leurs capitaux. La compagnie aérienne KLM obtint le monopole du trafic aérien sur les Antilles, alors que les compagnies antillaises n’avaient pas le droit d’atterrir à l’aéropot de Schiphol, aux Pays-Bas.

Une économie qui repose sur des sables mouvants
Quand la Shell commença à automatiser sa production, le nombre de personnes travaillant dans l’industrie pétrolière diminua de 75% dans un court espace de temps. Cela provoqua de nombreux conflits du travail, qui à leur tour provoquèrent une véritable révolte le 30 mai 1969.
La population était fortement opposée à la domination coloniale. Les Antillais critiquaient particulièrement la discrimination dont était victime la population noire. Le gouvernement néerlandais décida d’envoyer ses marines pour écraser la révolte. Certains des dirgeants de la rébellion se virent offrir des postes dans l’administration locale. D’autres Antillais noirs obtinrent des emplois dans la fonction publique. Certains d’entre eux finirent par devenir complètement corrompus et la population pauvre fut laissée à l’abandon. Mais une conscience noire vit le jour, qui donna lieu à une meilleure appréciation de l’art, de la langue et de la culture de la population non blanche.

L’étendue du chômage reflétait la grande dépendance de l’économie antillaise vis-à-vis de la Shell. Selon des statistiques officielles, de nomvbreuses entreprises néerlandaises avaient leur siège social aux Antilles. Mais il ne s’agissait que de sociétés fantômes, ce que l’on appelle des domiciliations de complaisance. Cette situation leur permettait de bénéficier d’avantages fiscaux, mais elles ne produisaient rien et ne créaient aucun emploi sur place. Leurs profits ne revenaient pas aux Antillais. Quant aux sociétés qui créaient des usines dans les îles, elles étaient exemptées d’impôts pendant 10 ans. Par exemple, Texas Instruments profita de ces avantages pendant 10 ans, puis s’en alla dans un autre paradis fiscal. Cette entreprise ne permettait aucune activité syndicale dans ses usines.

Sous prétexte d’aider au développement des îles, le gouvernement néerlandais a également promu le tourisme aux Antilles. En pratique, cela a entraîné surtout un accroissement de l’aide déguisée aux entreprises néerlandaises. Les hôtels ont été construits par des sociétés néerlandaises et exploités généralement par des sociétés américaines. Les injections de capitaux pour le tourisme ont créé peu d’emplois ; de plus, les Antillais n’avaient pas accès aux boulots les mieux payés. L’industrie touristique attira beaucoup de sociétés d’investissement et d’entreprises fictives dans les îles. Mais elles n’investirent pas dans l’agriculture, ce qui aurait profité à la population locale. Les îles devaient donc importer leur nourriture, ce qui en renchérissait le coût.

Elimination de la démocratie ?
Le gouvernement néerlandais ne défend que les intérêts des entreprises néerlandaises et ne veut pas affronter les conséquences de ce choix unilatéral : la croissance de la pauvreté chez les jeunes. Il ne s’intéresse qu’aux profits, pas aux dégâts provoqués par sa politique. Certains Antillais en ont assez de dépendre des Pays-Bas. Les habitants d’Aruba ont choisi de se séparer du royaume. On trouve aussi beaucoup de partisans de cette forme d’autonomie à Saint-Martin. Mais les Etats-Unis, le Venezuela et la France s’opposent à une indépendance complète, pour des raisons économiques et militaires. Les entreprises néerlandaises ne veulent pas que disparaisse ce paradis fiscal et elles craignent que des Antilles indépendantes, bénéficiant de leur propre Etat et pouvant prendre des décisions souveraines, restreignent la liberte de circulation des marchandises, des services et des capitaux. Dans les années à venir, la misère augmentera probablement dans les îles des Caraïbes.

Caprilles, P-DG de la plus grosse banque des Antilles, a récemment proposé d’abolir la démocratie pendant deux ans. Le gouverneur aurait les pleins pouvoirs, et les services publics seraient privatisés. On supprimerait la liberté d’expression et on limiterait le droit de grève. Les patrons sont bien sûr favorables à cette proposition. Beaucoup d’Antillais approuvent Caprilles parce qu’il a accusé le gouvernement antillais de corruption et d’être le responsable de tous les problèmes sociaux et économiques. « Le gouvernement antillais ne peut agir librement en ce moment : ses actions sont dictées par le FMI et les Pays-Bas », a très sérieusement déclaré Caprilles.

Ellen de Waard
(2001)