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Ni patrie ni frontières
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Nos racines idéologiques

En 1990, à Leiden, des militants de différents mouvements sociaux fondèrent un centre d’information politique De Invalshoek (« La Perspective ») qui devint ensuite l’organisation antiraciste De Fabel van de illegaal (La Fable de l’illégalité). Ce nouveau groupe puisait ses références idéologiques surtout dans l’anti-impérialisme, le mouvement autonome et le féminisme radical. Ces courants politiques ne se recouvraient que partiellement et se critiquaient toujours durement les uns les autres. Ces discussions nous ont poussé à adapter et à renouveler constamment nos idées.

Article mis en ligne le 19 mai 2017

Origines et limites de l’anti-impérialisme
L’anti-impérialisme s’est développé en Union soviétique au début des années 1920. Au départ, cette idéologie marxiste-léniniste considérait que la lutte des mouvements de libération nationale « de la périphérie » contre les puissances « des métropoles » [impérialistes] devait occuper une place centrale pour la gauche révolutionnaire. La lutte de classe dans l’Occident prospère semblait sans avenir et les anti-impérialistes commencèrent alors à compter sur les révolutions dans les « trois continents ». Leur anti-impérialisme réussit à inspirer et organiser des millions d’hommes et de femmes et aboutit effectivement à des révolutions victorieuses. Les anti-impérialistes occidentaux attaquèrent le « cœur de la bête » et, comme le disait un slogan célèbre du mouvement anti-impérialiste néerlandais : « Leur lutte est notre lutte : solidarité internationale ! »

Dans les années 1990, la gauche révolutionnaire néerlandaise était très impliquée dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, et les anti-impérialistes agissaient comme l’aile révolutionnaire de ce mouvement. Ils voulaient attaquer les entreprises européennes qui soutenaient l’apartheid, comme Shell, et ainsi importer le conflit Nord-Sud aux Pays-Bas. Plus tard, cependant, l’idéologie anti-impérialiste fut elle-même critiquée, notamment par les révolutionnaires anti-autoritaires et les féministes radicales. Le mouvement anti-impérialiste avait inconditionnellement soutenu toutes sortes de mouvements nationalistes et de régimes réactionnaires. Si notre classe ouvrière ne veut pas changer la société, d’autres « peuples », eux, le veulent, semblaient-ils penser. Les « Palestiniens » et leur lutte contre Israël étaient particulièrement populaires à l’époque, mais il s’avéra que le courant dominant dans l’antisionisme n’était souvent qu’un paravent pour l’antisémitisme. Seule la critique justifiée du maintien des relations racistes et néocoloniales à l’échelle internationale survécut à l’examen de ces positions. Cependant, certains cercles restèrent imperméables à cette perspective et aujourd’hui nous pouvons assister à la renaissance du vieil anti-impérialisme.

Points forts et points faibles de l’autonomie
Le mouvement autonome est apparu dans les années 1960, en Italie, surtout à partir d’une critique du Parti communiste. Le PC dominait complètement le paysage politique à gauche et avait accepté de fonctionner comme un appendice du Parlement. Sous le slogan de l’« autonomie ouvrière » des militants d’extrême gauche, principalement des jeunes, s’attaquèrent aux attitudes bourgeoises de ce parti et aux relations hiérarchisées qui prévalaient dans l’organisation comme dans toute la société. Les autonomes voulaient renouveler la lutte des travailleurs, mais ne souhaitaient pas s’arrêter là. Des thèmes comme l’éducation et la liberté sexuelle attirèrent aussi leur attention. Ils développèrent rapidement un communisme militant aux traits fortement anarchistes.

À la fin des années 1970 et au début des années 1980 des mouvements autonomes apparurent en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas. Ils constituaient aussi une réaction au fait que l’extrême gauche se tournait vers la social-démocratie et toutes sortes de partis communistes orthodoxes. Les autonomes étaient extrêmement énergiques et devinrent rapidement actifs dans un vaste éventail de domaines politiques, comme l’antifascisme, l’antimilitarisme, le mouvement antinucléaire, et particulièrement le mouvement des squats. Le « Mouvement », ainsi que l’appelaient les autonomes avec leur emphase typique, apporta à la gauche révolutionnaire une bouffée de fraîcheur militante, une nouvelle façon de vivre de façon autonome et une énorme énergie.

Mais, aux alentours de 1990, les limites de cette vision du monde devinrent plus claires. Les autonomes ne réussissaient pas à rester en contact avec la gauche et l’extrême gauche et s’enfermaient surtout dans leur contre-culture. Ils se caractérisaient aussi par un grand manque d’organisation et des structures opaques, ce qui rendait impossible de construire tout contre-pouvoir et laissait la première place aux hommes qui gueulaient le plus fort pour dominer le mouvement. Cette attitude fut critiquée surtout par les féministes radicales qui avaient du mal à respirer dans ce milieu. En l’espace d’une décennie, le « Mouvement » disparut complètement, laissant derrière lui seulement la conscience qu’une action réellement militante devait agir toujours à l’extérieur des institutions parlementaires et contre elles.
Apports et limites du féminisme

Le féminisme moderne est apparu au cours des années 1870. La première vague de féministes lutta pour le droit des femmes à travailler, bénéficier d’une meilleure éducation et voter. Elles critiquaient aussi les droits différents des hommes et des femmes en matière de sexualité.

Mais une fois qu’elles eurent conquis le droit de vote, leur mouvement diminua lentement. Vers le milieu des années 1960, une deuxième vague de féministes apparut, qui ajouta la violence sexuelle, le mariage et la famille aux thèmes antérieurs. Avec leur slogan « Le personnel est aussi politique » les féministes introduisirent la politique dans les chambres à coucher. Elles remirent en cause la prétendue normalité de l’hétérosexualité et combattirent les violences sexuelles, par exemple en créant des refuges pour les femmes.

Quand notre groupe fut créé, les féministes radicales étaient très actives dans les mouvements de gauche et surtout d’extrême gauche. Elles devaient lutter pour être acceptées comme les égales des hommes. Elles introduisirent de nouveaux thèmes dans la propagande politique et exigèrent que les thèmes politiques traditionnels ne soient plus traités de manière neutre, par rapport à la question du genre. Sans une analyse anti-patriarcale, la gauche révolutionnaire ne pourra jamais comprendre vraiment le monde, affirmaient-elles avec raison.

Cependant, à cette époque, certaines faiblesses des féministes apparurent aussi. Les femmes réfugiées, néerlandaises « noires » (originaires du Surinam* et des Antilles**), ou immigrées ne se sentaient pas représentées dans ce mouvement. De plus, certaines structures des féministes radicales tendirent à se transformer en groupes pour le développement personnel et l’entraide, et leur féminisme fit place à une conception de l’émancipation qui visait à intégrer les femmes dans le système. De nombreuses féministes se firent une place dans les structures universitaires.
Le féminisme radical a cependant réussi à mettre la question du patriarcat parmi les priorités de certaines organisations de la gauche révolutionnaire, comme De Fabel, et leur ont fait prendre conscience que le personnel est aussi politique.

Eric Krebbers,
De Fabel van de illegaal n° 64, mai-juin 2004

Notes de Ni patrie ni frontières
* Surinam : colonie d’Amérique latine occupée par les Néerlandais en 1581, qui fut d’abord britannique, puis revint aux Pays-Bas. Base du commerce d’esclaves jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1863, la colonie fit venir ensuite des ouvriers des Indes et de Java. Indépendant depuis 1975, le pays compte 434 000 habitants mais presque autant (350 000) ont immigré aux Pays-Bas à cause de la misère et des dictatures qui se sont succédé au pouvoir jusqu’en 2001.
** Les Antilles néerlandaises regroupent les îles de Aruba, Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache et Saint-Martin. Bonaire, Saba et Saint-Eustache sont récemment devenues des municipalités des Pays-Bas. Quant à Saint-Martin, Curaçao et Aruba ce sont désormais des « territoires autonomes » au sein du Royaume au même titre que les Pays-Bas. On voit que, tout comme la République française, la monarchie néerlandaise a du mal à lâcher ses (ex)colonies…