1. Au Moyen-Orient et au Proche-Orient, comme dans d’autres aires géographiques où le capitalisme n’a pas pu se développer autant qu’en Europe et en Amérique, en l’absence de luttes significatives de la classe ouvrière pour la révolution sociale, la question nationale a pris au XXe siècle une place centrale. C’est dans ce cadre complexe qu’il faut analyser la question de la Palestine et d’Israël.
2. Le peuple juif a autant de droits qu’un autre peuple (y compris donc le peuple palestinien) à bénéficier d’un cadre étatique national qui lui soit propre. Même si l’on peut déplorer que les prolétaires israéliens et palestiniens ne luttent pas ensemble pour la révolution socialiste, pour un État binational, ou, mieux encore, pour une Fédération socialiste de tout le Moyen-Orient, force est de constater que la moins mauvaise des solutions, dans le cadre du système capitaliste actuel, semble être l’existence de deux États séparés dont les frontières restent à définir pour permettre un accès égal à toutes les ressources naturelles d’Israël-Palestine, y compris l’accès à l’eau et à la mer. Cela rendrait peut-être possible une clarification des antagonismes de classe sur le terrain et permettrait peut-être que les sans réserves et les exploités luttent pour propres intérêts, et non derrière leurs bourgeoisies nationales respectives.
3. La plupart des analyses marxistes de la prétendue « question juive » mènent à une impasse et ne permettent de comprendre
— ni l’histoire du peuple juif (réduite à une identification erronée entre judaïsme et circulation de l’argent au sein des sociétés précapitalistes, ou entre petite-bourgeoisie commerçante et peuple juif),
— ni l’existence du sionisme (réduit à une idéologie religieuse n’ayant aucune dimension nationale),
— ni celle de l’État d’Israël (réduit à un avant-poste éphémère de l’impérialisme occidental).
4. Une bonne partie des États du Proche et du Moyen-Orient doivent leur existence aux manœuvres des puissances impérialistes rivales (France, Grande-Bretagne, États-Unis) qui se sont divisé ces régions et continuent à jouer un État contre l’autre pour des raisons économiques (pétrole, marchés, etc.) et/ou géostratégiques. En ce sens, Israël n’est pas plus une « marionnette de l’impérialisme » que l’Irak, le Koweit, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Liban ou l’Égypte, voire l’Iran ou la Syrie. On ne peut dénoncer systématiquement une de ces « marionnettes » (Israël) sans dénoncer les autres. C’est pourtant ce que font, de fait, l’extrême gauche, les anti-impérialistes et les antisionistes, le plus souvent. Cette attitude aboutit à soutenir certains États qui avancent des discours nationalistes contre d’autres, et elle désarme les prolétaires israéliens, arabes, turcs, kurdes, iraniens, etc., face à leurs propres bourgeoisies.
5. Ceux qui accusent Israël, État théocratique et colonialiste, d’être aujourd’hui un État « raciste » ne font que reprendre à leur compte une argumentation mise au point par les staliniens soviétiques. En langage codé, cette argumentation a entretenu et avivé l’antisémitisme en URSS et dans les démocraties populaires, et perpétué l’antisémitisme dans les pays arabes, musulmans, voire dans les pays occidentaux, sous diverses formes.
La comparaison entre Israël et l’Afrique du Sud fait partie de ce même type de propagande facile, pour esprits paresseux, faisant appel à la bonne conscience antiraciste et à la culpabilité de l’Homme blanc, qui se repent d’avoir été colonialiste dans le passé, mais « oublie » que les impérialismes occidentaux continuent aujourd’hui à piller l’Afrique, et y financent des guerres civiles permanentes quand ce n’est pas des génocides comme au Rwanda.
Israël n’est pas un État plus raciste que la France, la Suisse, la Suède, le Japon ou les États-Unis. L’arme de l’antiracisme, à force d’être utilisée dans toutes les circonstances, finit par être complètement émoussée et risque de n’avoirplus aucune efficacité.
6. Il est criminel de comparer Israël à l’Allemagne nazie, Sharon à Hitler et Jenine au ghetto de Varsovie. La nazification d’un ennemi politique ne fait qu’obscurcir la lutte contre cet adversaire et rendre plus difficile le combat contre lui. Pour ne prendre qu’un exemple français, souvenons-nous de ceux qui présentèrent de Gaulle comme un « fourrier du fascisme » pendant la Seconde Guerre mondiale ou après 1958. Leur analyse politique s’est-elle révélée juste ? De Gaule était certainement un ennemi des travailleurs mais il n’a pas instauré le fascisme en France.
Dans le cas d’Israël, cette méthode se double d’un procédé crapuleux qui puise sa source dans un antisémitisme et un antijudaïsme séculaires dans les sociétés européennes ou proche et moyen-orientales. Et rien ne sert, pour justifier ces procédés, de se réclamer des écrits ou des discours de Juifs antisionistes ou d’antisionistes israéliens.
7. En effet, un militant juif qui se bat en Israël ne s’exprime pas dans les mêmes termes qu’un militant non juif qui lutte pour la « justice en Palestine » en dehors d’Israël. Il est parfaitement normal qu’un militant israélien rappelle à ses compatriotes que le bombardement de Jénine, le tatouage de numéros sur la peau des prisonniers palestiniens, l’enterrement vivant de civils palestiniens dans leurs maisons lui évoquent de sinistres souvenirs. Par contre, ce type de comparaison avec le nazisme est inadmissible dans d’autres pays qu’Israël ou dans la bouche de non-Juifs.
Tout le monde sait que les Juifs racontent des blagues antisémites, les Africains des blagues contre les Noirs, et les Arabes des blagues anti-arabes. Lorsqu’un Européen ou un Américain blanc les raconte, ces mêmes blagues n’ont pas du tout la même portée.
Pourquoi en irait-il différemment des arguments politiques sérieux s’appliquant à des conflits aussi dramatiques et sans issue immédiate que celui de Palestine ?
8. En France, le racisme anti-Juifs est aussi répugnant que le racisme anti-Arabes. L’un n’est pas « moins grave » que l’autre, comme le prétendent à mots couverts ou ouvertement de nombreux gauchistes, au nom d’un déséquilibre comptable (il y a, en effet, bien plus d’actes violents et meurtriers contre des Maghrébins que contre des Juifs, quoi que prétendent les dernières statistiques qui ne comptabilisent pas les « bavures » policières au titre d’actes racistes contre les jeunes immigrés ou les Français d’origine étrangère). Les actes antisémites en France sont aussi condamnables que la discrimination raciale et les assassinats légaux (par des policiers français) dont sont victimes ici les travailleurs venus du Maghreb, leurs enfants ou leurs petits-enfants.
En Israël, la haine des intégristes juifs ou de certains sionistes contre les Arabes et les Palestiniens est aussi méprisable que la haine des intégristes ou des nationalistes musulmans contre les Juifs ou les Israéliens. L’une n’est pas plus admissible que l’autre, sous prétexte qu’elle serait une « réaction compréhensible » ou une expression déformée du « sentiment national » et de la révolte des Palestiniens contre la colonisation israélienne.
9. L’antisionisme n’est pas automatiquement synonyme d’antisémitisme. Les gouvernants de l’État d’Israël sont parfaitement malhonnêtes quand ils se livrent à cet amalgame, de même que tous les intellectuels spécialistes de la « judéophobie » qui essaient d’empêcher un débat serein sur les effets catastrophiques et criminels de la politique des gouvernements israéliens, travaillistes, conservateurs ou d’union nationale.
Une fois cela dit, ceux qui critiquent la politique de l’État d’Israël en dehors de ses frontières ont une responsabilité particulière, surtout quand ils militent dans un pays comme la France, qui a envoyé 70 000 Juifs à la mort sans que la moindre manifestation soit organisée contre ces déportations, dont les autorités ont nié pendant quarante ans leur participation au génocide et qui a derrière lui un long passé antisémite bien antérieur à l’Affaire Dreyfus. Critiquer sans pitié la politique de l’État d’Israël (comme de tous les États) : oui, mais pas en ignorant le poids, l’ambiguïté ou la portée de certains arguments
dans la bataille politique en France.
Un seul exemple : de nombreux antisionistes parlent d’un complot des médias et des sionistes contre eux. Non seulement, ce jugement est discutable (en tout cas en France) mais en plus il faut être particulièrement aveugle pour ne pas se rendre compte que ce type d’argument va dans le sens du mythe antique du « complot juif ».
10 .On ne peut prétendre soutenir les droits du peuple palestinien en défilant aux côtés des pires ennemis du prolétariat, que ce soit le Hamas, les islamistes ou les groupuscules d’extrême droite ou fascistes français.
11. L’Autorité palestinienne est tout autant l’ennemi du peuple palestinien que l’État d’Israël est l’ennemi des travailleurs juifs, ou que l’État français est l’ennemi du prolétariat français.
Y.C.