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Quand la LCR cire les bottes du colonel Chavez (2003)

Sous le titre « La ‘révolution bolivarienne’ en marche », Rouge du 4 septembre 2003 consacre une page au Venezuela. Qu’y apprenons-nous ? Que Chavez vient de se rendre compte qu’il existe un million d’analphabètes dans son pays et qu’il a fait venir plusieurs centaines de médecins cubains pour soigner gratuitement son peuple dramatiquement dépourvu d’un système de santé décent. Point barre.

Article mis en ligne le 1er mai 2017

A la vitesse où fonctionne l’esprit de ce grand « anti-impérialiste » qu’admirent la LCR et Le Monde diplomatique, il lui faudra encore 50 ans pour comprendre que le Venezuela, comme toute l’Amérique latine, a besoin d’une révolution sociale, pas d’un président éclairé.
Mais la LCR, fidèle à elle-même, n’adresse pas une seule critique au ré-gime Chavez, se contente de dénoncer les manœuvres (bien réelles) de l’impérialisme américain et de la bourgeoisie locale et espère en la « trans-croissance » (1) de ce régime en un régime révolutionnaire.
C’est bien mal connaître la réalité du Venezuela et celle de l’ensemble de l’Amérique du Sud que de fonder le moindre espoir sur un « populiste » comme Chavez.
Au Venezuela, il y a 20 ans, alors que tous les jours passait à la télévision un feuilleton critiquant férocement le dictateur Perez Jimenez (un salopard qui avait profité de la manne pétrolière pour faire adopter quelques mesures so-ciales importantes dans les années 50), les ouvriers, les femmes de ménage, les petits salariés, les chômeurs affirmaient déjà qu’il leur fallait un « homme à poigne », pour lutter contre la corruption dans leur pays et la fausse alternance entre sociaux-chrétiens et sociaux-démocrates qui pillaient dans les caisses de l’État pour investir dans des appartements et des maisons à l’étranger, placer leurs capitaux en Suisse ou dans d’autres paradis fiscaux et mener la grande vie.
Eh bien, maintenant, ils l’ont leur homme à poigne (Chavez) et ils sont bien embêtés. En même temps, à la base, dans les coins les plus reculés du pays, c’est une période féconde pour des initiatives locales de toute sorte : maisons accueillant des femmes battues, coopératives, information sur la contracep-tion, début de réforme agraire dans certaines régions, etc. Et les gens de gauche sont partagés entre leur consternation devant les interminables dis-cours creux de Chavez, son autoritarisme, et les occasions politiques que ce régime atypique leur offre, ou leur concède, pour le moment.
Alors ils ferment les yeux sur les inconvénients, font le gros dos et essayent de faire leur petit boulot dans leur coin, en sachant qu’un jour cela risque de mal se terminer, même si Chavez a été élu démocratiquement et avec bien plus que 50% des voix.
Dans une telle situation, le rôle d’un groupe révolutionnaire devrait être de mettre en garde les travailleurs vénézuéliens contre les charlatans comme Chavez, pas de leur passer la main dans le dos et de leur cirer les bottes comme le fait la LCR.
Edouard Diago, l’auteur de l’article en question, a le culot d’écrire : « Dans le domaine politique, Chavez semble revenir timidement sur sa méfiance vis-à-vis des partis politiques en ne mettant pas de veto à la mise en place d’un Front unitaire des forces politiques soutenant le ‘processus révolutionnaire’. »
Et voilà, tout est dit : l’unique reproche que la LCR fait à Chavez c’est de ne pas lui permettre de le soutenir plus efficacement !
Mais Edouard Diago se moque du monde quand il prétend constater « le succès de l’opération de nettoyage ayant suivi le coup d’État ». Visiblement il n’a jamais entendu parler d’un certain Augusto Pinochet, qui lui aussi au dé-part était « loyal » au gouvernement Allende.
Il ne se souvient pas non plus de ce qui est arrivé aux officiers péruviens « de gauche » qui organisèrent un coup d’État en 1968 et furent soutenus par les syndicats et partis de gauche locaux. Déjà à l’époque Le Monde diploma-tique tressait des lauriers à ce régime militaire. Le général Juan Velasco Alva-rado, président du Pérou entre 1968 et 1975, fut renversé par un coup d’État qui liquida toutes les réformes ou conquêtes sociales mises en place.
Quant à la fameuse « démocratie participative », l’auteur ne nous apprend rien sur ses modalités, à part le fait que l’on peut révoquer certains élus à mi-mandat pour en réélire d’autres. Quel bouleversement ! On élit son député, voire son président, disons tous les 2 ans au lieu de tous les 4 ans. Mais toute la structure de l’État demeure la même.
Tous ces discours creux sur la « révolution bolivarienne » seraient risibles s’ils ne désarmaient pas les travailleurs vénézuéliens face aux classes domi-nantes et à une grande partie de la petite-bourgeoisie qui n’ont aucune inten-tion de laisser faire Chavez, aussi timides soient les réformettes qu’il a jusqu’ici imposées. Elles veulent un retour à ce qu’elles appellent « l’ordre » et il y a gros à parier qu’elles feront usage de la violence, et qu’elles trouveront des milliers de soldats et de policiers pour massacrer le peuple vénézuélien, si Chavez ne démissionne pas rapidement.
En effet, dans la situation actuelle, il n’existe que trois possibilités (2) :
– soit Chavez fait comme les sandinistes et il démissionne, et un bain de sang sera peut-être évité,
– soit il résiste comme Allende. Son sort personnel importe peu, mais celui d’une partie des militants sincères qui le soutiennent est déjà fixé : le peloton d’exécution ou l’exil,
– soit il instaure une dictature à la Castro ou à la Velasco, et de toute façon son régime ne durera pas longtemps.
Aucune de ces possibilités n’est très réjouissante, mais, vu ce qui est en jeu, la première semble la plus souhaitable, même si Chavez a été élu par la majo-rité des Vénézuéliens.
La LCR qui le soutient si ardemment ferait bien de profiter de ses entrées au palais présidentiel pour expliquer au fringant colonel qu’on ne ruse pas avec les lois de l’histoire.
On n’a jamais vu une armée bourgeoise se dresser comme un seul homme pour défendre les sans-réserves, les ouvriers, les paysans sans-terre et les chômeurs.
On n’a jamais vu l’impérialisme américain cesser ses pressions sur un ré-gime un tant soit peu à gauche.
On n’a jamais vu la bourgeoisie (et encore moins ses fractions les plus pa-rasitaires qui sont dominantes au Venezuela et ne se sont jamais intéressées à développer économiquement l’industrie ou l’agriculture de leur propre pays) laisser un certain désordre politique et social s’instaurer pendant une longue période.
La seule chose qui pourrait ralentir l’intervention américaine et le sabotage de la bourgeoisie vénézuélienne, ce serait une mobilisation massive du peuple en armes, l’organisation des ouvriers dans leurs usines et des chômeurs dans leurs quartiers. Mais cela ne s’improvise pas et demande des années de pa-tiente préparation. De toute façon, inutile de rêver, Chavez ne le fera jamais. Tout comme Allende il préférera se suicider ou être fusillé plutôt que de quit-ter le sommet de l’État.
Y.C., novembre 2003

Notes
1. Ce terme ne se trouve pas dans l’article mais il constituait un des « con-cepts » favoris des trotskystes dans les années 60 et 70, chaque fois qu’ils vou-laient faire croire à leurs militants qu’un mouvement de libération nationale ou un parti de gauche du tiers monde pouvait instaurer le socialisme en quelque sorte malgré lui, de manière quasi inconsciente.
2. Ayant vécu au Venezuela dans les années 80 et ayant gardé le contact avec ce pays, je m’étais cru autorisé, dans ce texte, à faire des pronostics pé-remptoires et…erronés sur la durée du régime. (janvier 2011).