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Ni patrie ni frontières
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Anna Laura Braghetti et Paola Tavella Le Prisonnier – 55 jours avec Aldo Moro Denoël, 1999, traduit par C. Galli

Anna Laura Braghetti a été l’une des « gardiennes » d’Aldo Moro pendant ses 55 jours de détention entre les mains des Brigades rouges mais elle a aussi participé directement ou indirectement à l’assassinat d’un certain nombre de personnes.

Article mis en ligne le 1er mai 2017

Condamnée à perpétuité, elle vit aujourd’hui en semi-liberté, c’est-à-dire qu’elle travaille normalement le jour mais sait qu’elle dormira en prison jusqu’à la fin de sa vie.
La valeur exceptionnelle de ce livre tient à quatre points :
 Anna Laura Braghetti nous restitue bien le contexte politique de l’époque qui permet de comprendre en partie l’action des BR, la proximité entre les BR et la base du Parti communiste italien, l’impact réel de leurs actions, la volonté commune de la Démocratie chrétienne et du Parti communiste de sacrifier Moro, et.
 Anna Laura n’a dénoncé personne pour sauver sa peau. Ce n’est donc ni une « repentie », ni une « dissociée » pour reprendre le vocabulaire instauré par les juristes italiens depuis les « années de plomb » afin de désigner les grands ou les petits délateurs qui marchandent une réduction de peine en échange de renseignements.
 Anna Laura était une militante de base, pas une théoricienne, son témoignage vécu a donc une plus grande valeur d’identification. « N’importe qui », animé par des idées révolutionnaires, aurait pu ou pourrait se retrouver dans sa situation. Ce livre, en décrivant de façon très concrète et prosaïque, le quotidien d’une terroriste d’extrême gauche va à l’essentiel.
 Enfin Anna Laura, sans se perdre dans de grandes explications ou justifications théoriques, a parfaitement compris le principal problème des BR :
« Je n’étais pas en mesure alors de soutenir politiquement ma position, de démontrer combien, de manière absolument troublante, la rigidité de l’Etat et la nôtre était similaires et se renvoyaient de l’une à l’autre. Nous aurions dû faire un écart, nous placer dans une position différente, être une alternative dans les faits, dès le début, si nous voulions une autre société. Nous devions nous placer à un autre niveau, prouver que nous étions meilleurs, et non imiter l’incapacité de la Démocratie chrétienne, du Parti communiste italien et du gouvernement à se retirer de la scène. Les révolutionnaires ont le devoir d’être clairvoyants. » (p. 185) (Les passages soulignés le sont par nous.)
Jacques Wajnstejn et Michel se demandent tous deux dans ce numéro en quoi une morale révolutionnaire peut être différente. La citation précédente d’Anna Laura Braghetti leur répond très bien, tout comme ce qu’elle écrit dans un autre passage du livre :
« Pour tuer quelqu’un qui ne vous a rien fait, que vous ne connaissez pas, que vous ne haïssez pas, vous devez mettre de côté toute pitié humaine, dans un coin obscur et clos, et ne plus jamais passer par là en pensée. Il est nécessaire d’éviter les sentiments, quels qu’ils soient, sinon l’horreur émerge, accompagnée de toutes les autres émotions. Maintenant, je laisse tout cela suivre son chemin, et je suis traversée par une vague de douleur effrayante, qui n’est autre que la conscience d’avoir tué un homme de mes mains. »
On peut juxtaposer cette intéressante citation avec une autre à propos des intellos et des « militaros » des BR :
« Des hommes comme Prospero, comme Mario, possédaient une culture politique élaborée au cours des luttes prolétaires, mais nullement une mentalité militaire. D’autres parmi nous, au contraire croyaient avant tout au pouvoir des armes qu’ils avaient toujours à la main, leur faisaient confiance, les appréciaient, étaient sans cesse en train de les nettoyer, les démonter ou les remonter. Et ce sont ceux-là qui ont cédé les premiers quand ils ont jugé que la partie était perdue militairement. Ce sont ceux-là qui ont cherché une voie individuelle pour se tirer d’affaire, sans même se retourner pour voir qui ils allaient laisser derrière eux, impliquant les jeunes qu’ils avaient eux-mêmes poussés à s’engager dans la lutte armée, les prête-noms d’appartements utilisés pour des actions modestes, pour des initiatives marginales, ceux qui furent par la suite condamnés à des siècles d’enfermement sans qu’ils prononcent jamais le moindre nom ou la plus petite adresse en échange d’une remise de peine. »
Un livre à lire et à relire donc, tant il est riche d’enseignements. (Y.C.)