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Ni patrie ni frontières
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Elie Soubeyran : Nation

(Très marqué par l’idéal de la « souveraineté de la Raison », ce texte nous donne une bonne idée des limites de l’optimisme rationaliste, qu’il soit d’ailleurs anarchiste ou marxiste. Quant au soutien à la Société des Nations, triste ancêtre de l’ONU actuel, soyons charitables et n’accablons pas l’auteur, tout en notant le lien entre cet appui à la SDN et cette foi en la souveraineté de Raison… NPNF)

Article mis en ligne le 1er mai 2017

L’agglomération de personnes vivant sous les mêmes lois, dans un pays limité par des frontières, ayant des intérêts communs, une langue commune et des droits plus ou moins communs constitue une nation.
Il arrive qu’on emploie le mot peuple à la place de celui de nation, mais il paraît plus logique de réserver le nom de peuple aux multitudes unies par une communauté d’origines et d’idées, et de qualifier de nations les peuples régulièrement constitués en Etat politique et souverain.
Chaque nation a ses coutumes, ses mœurs et souvent des religions di-verses. Des prérogatives qui s’attachent aux diverses branches de l’activité nationale se constituent un droit national qui coordonne l’action indivi-duelle à l’action collective, pour l’intérêt général.

Parmi les nations, les unes sont belliqueuses, puissantes, civilisées ou barbares, sauvages, prospères, commerçantes, industrielles, agricoles, riches ou pauvres. Ainsi par les nations naissent les rivalités, la concur-rence, les alliances et les guerres qui constituent les plus tristes fléaux qui puissent affliger l’Humanité.
En théorie, et en époque d’ignorance sociale sur la réalité du droit, tout le monde est peuple et souverain ; en pratique, sont seuls souverains dans la collectivité nationale ceux qui détiennent les richesses ; et ils le sont soit di-rectement, soit par interposition de mandataires défendant plus ou moins bien leurs intérêts.
Rationnellement, la nation, à notre époque, représente une circonscription humanitaire déterminée par une certaine communauté d’idées sur le droit spécial de chacune d’elles. Aussi les mœurs, les coutumes, les institutions varient dans chaque nation. Ce qui est vérité dans l’une est erreur dans l’autre. Avec cette diversité de méthodes particulières et collectives, il est impossible d’obtenir une harmonie réelle dans les rapports sociaux.

C’est de l’ignorance du droit réel, du droit social que les nations sont faites. Quand l’idole qui résume les idées dominant la nation tombe, la na-tion déchoit et meurt plus ou moins rapidement...
Les nations sont en quelque sorte des incarnations du Dieu personnel et leurs mœurs s’inspirent des idées qui se rattachent au culte du Créateur : Elles s’évanouiront au fur et à mesure que le droit passera du domaine na-tional à celui de l’Humanité. Quand la Société se substituera à la Divinité, le Droit aura une valeur morale réelle, c’est-à-dire commune pour tous et pour chacun et la vérité sera la même partout, aussi bien que l’erreur. C’est de ce moment, c’est-à-dire de la connaissance de la vérité, de l’application de la justice égale pour tous, que le droit aura une autorité incontestée parce qu’incontestable. Nous n’en sommes pas là, mais la nécessité sociale amè-nera les nations à ne former qu’une Société comprenant tous les peuples. A notre époque d’ignorance sociale, le besoin d’harmonie se fait empirique-ment sentir ; cependant chaque nation se dit autonome, croit à son indépen-dance et s’attribue une souveraineté toute-puissante dans la pratique de la justice spéciale qu’elle propose.

Il en est ainsi parce que toutes les attributions nationales reposent sur l’idée de droit que les classes dirigeantes et possédantes se font du pouvoir qu’elles disent détenir : soit de Dieu, soit du peuple souverain. Ces espèces de souveraineté ne reposent sur aucune preuve, mais simplement sur la foi et l’illusion ; toutes aboutissent au despotisme d’un seul ou de quelques-uns et nullement à l’application de la Justice.
Mais ces deux espèces de souveraineté qui ont nom théocratie et démo-cratie conduisent au désordre ; la seconde directement comme c’est le cas actuel, avec le despotisme de la finance et la première y conduit aussi en cédant le pas à la seconde.
Nous sommes loin de la justice, par l’application de ces souverainetés, que la nécessité sociale, le besoin d’ordre rationnel obligeront de réaliser et qui donneront naissance à la souveraineté de la Raison, seule possible pour avoir un ordre durable.
Sans être à la veille de la fusion des souveraineté existantes, appliquées nationalement, chacun comprend, plus ou moins empiriquement, le besoin d’une rénovation sociale qui situerait les nations sous la dépendance du droit humanitaire.

La mission historique des nations, la grande prestation morale des peuples ont pour but de créer un ordre social nouveau où l’homme sera libre réellement. A la souveraineté de la force qui est la seule que l’Humanité ait connue et connaisse, (et par suite chaque nation) succédera nécessairement la souveraineté de la Raison, De nos jours il se produit pour les nations ce qui se produit pour les individus : chaque homme est néces-sairement souverain par sa raison pendant toute l’époque de doute social, de même que les peuples l’ont été, le sont encore quant aux droits de cha-cun et le seront jusqu’à ce que la connaissance de la vérité du droit ait subs-titué l’Humanité aux nations, le droit réel et logique à la force individuelle.
En résumé, l’existence des nations implique celle de l’ignorance sociale et l’ignorance sociale de la vérité de la réalité du droit commun à tous a pour conséquence inévitable l’application nécessaire de la force au main-tien de l’ordre, de sorte que les mandements et ordonnances, pour parler comme Proudhon, qui partent d’une nation n’offrent pas pour toutes la même garantie.
Hypocritement ou ouvertement deux nations souveraines en contact ne peuvent pas ne pas être, économiquement, en état de guerre déclarée ou sournoise tout comme le sont, dit Colins, deux familles qui vivent isolé-ment tout en étant voisines. La fraternité, la solidarité, entre ces familles ne peuvent être qu’illusoires et non réelles. Sans la reconnaissance d’un droit supérieur à toutes les nations, il ne peut exister entre elles de paix véritable.

Nous approuvons l’idée d’une Société des Nations comme nous approu-vons tous les pactes qui auront pour but de fusionner, ne serait-ce que sen-timentalement, les intérêts particuliers avec l’intérêt général. Pour l’heure et tant que le Droit n’est que l’expression de la force, une nouvelle Tour de Babel pointe à l’horizon. C’est tout de même un heureux symptôme de voir les grands de la Terre aussi bien que les exploités du travail s’intéresser à l’interpénétration au sein des nations, d’un DROIT souverain.
Il saute aux yeux et au cerveau que : lorsqu’il n’y aura plus qu’un Droit pour tous les peuples, pour toutes les familles, pour tous les hommes ; du moment, enfin, que la nécessité de la justice en imposera l’application, le Droit réel qui en est l’expression obligera les nations à disparaître et à fu-sionner dans l’Humanité pour ne former qu’une seule société rationnelle. Les nations seront alors dans la Patrie universelle ce que sont, de nos jours, dans chaque nation, les départements et les provinces, où chacun jouira pa-reillement de la liberté, du bien-être par le travail et, enfin, de la justice ré-elle en conformité des actions autant individuelles que sociales.

– Elie SOUBEYRAN.