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Quand l’injustice acquiert force de loi, la résistance devient un devoir

Faryal Velmi s’est rendu récemment au Pakistan et a interviewé plusieurs militants du LPP, notamment Farooq Tariq. (…) Le Labour Party of Pakistan (LPP) a été créé en 1997. D’inspiration trotskyste, il regroupe environ deux mille membres et représente la principale organisation d’extrême gauche de ce pays. Le LPP essaie de reconstruire le mouvement ouvrier de ce pays et combattre la politique du président Musharaf qui a pris le pouvoir à la suite d’un coup d’État militaire en 1999. Le secteur public a été restructuré et privatisé, ce qui a provoqué une véritable explosion du chômage. De nouvelles lois comme la loi sur les relations industrielles (IRO) ont été introduites en 2003 et elles ont supprimé certains droits élémentaires des travailleurs.

Article mis en ligne le 1er mai 2017

Extraits d’un article paru en janvier 2004 Solidarity N° 44, organe de l’Alliance for Workers Liberty (Grande-Bretagne)

Selon Farooq Tariq, « il ne peut pas y avoir de grève légale au Pakistan ». Avant la loi exigeait que les syndicats donnent un préavis de 15 jours au patron avant de pouvoir entamer une action. Les nouvelles lois ont rendu tout préavis de grève illégal, et interdisent même d’intenter un recours devant les tribunaux.

(…) Les intégristes sont le principal obstacle pour construire ce que Farooq Tariq appelle « un mouvement syndical progressiste authentique ». Le fondamentalisme religieux et l’islam politique sont de plus en plus populaires depuis deux ans. Les six principaux groupes intégristes du pays se sont réunis pour former le Muttahida Majlis-i-Amal (MMA) et ils ont obtenu 15 % des voix lors des élections nationales de 2002.

Ils ont réussi une telle performance en organisant d’énormes manifestations contre le tournant radical du régime. Musharaf s’est en effet retourné contre les talibans et a ensuite soutenu la guerre américaine en Irak. Le MMA contrôle désormais le gouvernement de la Province de la frontière du Nord-Ouest. Il cherche à appliquer sa version de la charia et a déjà édicté des lois contre la mixité dans les écoles, la présence de femmes sur les panneaux et affiches publicitaires, et il a introduit de nouveaux programmes scolaires et universitaires.

Le plus grand parti de cette coalition est le Jamaat-i-Islami, qui se vante d’avoir des millions de membres. Fondé en 1941, ce parti n’a jamais eu autant de pouvoir qu’aujourd’hui. Il est solidement implanté dans la jeunesse et chez les étudiants et le maire de Karachi appartient à ce parti.

La base du pouvoir du MMA au Pakistan repose sur les 75 000 madrasas (écoles religieuses). Leur intervention dans le mouvement ouvrier est récente. « Dans les années 70, m’explique Farooq Tariq, ils disaient que les syndicats étaient incompatibles avec l’Islam. Aujourd’hui, ils veulent en faire partie. Ils sont intervenus avec succès et constituent désormais une véritable menace contre le mouvement ouvrier. » Ils ont formé leur propre confédération syndicale, la National Labour Federation, dont l’influence ne fait que croître. Les groupes affilés au MMA ont gagné de l’influence dans tous les grands syndicats et prendront probablement la direction de certains d’entre eux. Dans le syndicat des employés des centrales électriques et des barrages, l’un des syndicats les plus importants au Pakistan, une liste du MMA a obtenu 46 000 voix, soit seulement 4 000 voix de moins que les gagnants aux dernières élections syndicales.

« Ils magouillent toujours avec les patrons et incitent les travailleurs à capituler. Dans les syndicats où ils exercent une influence prépondérante, ils n’ont jamais appelé à la grève », nous précise Farooq Tariq. Mais le pouvoir politique du MMA lui permet de « résoudre » de nombreuses grèves importantes par l’intermédiaire de dignitaires religieux influents ou de politiciens du MMA qui, à l’issue d’un simple coup de téléphone aux patrons, concluent avec eux un « accord ». Cela impressionne de nombreux ouvriers. Ils se sentent plus en confiance avec un mouvement capable de faire descendre des foules dans la rue et d’avoir une grande influence dans l’élite politique.

« Chaque fois que le LPP est intervenu dans des campagnes où le MMA et les intégristes étaient impliqués, dit Farooq Tariq, nous avons réussi à leur disputer la direction des luttes. »

Il m’a cité l’exemple du mouvement des sans-terre qui a pris son essor en 2000/2001. Les soldats ont occupé les terres de milliers de paysans. Au départ, les fondamentalistes ont pris la tête du mouvement. Ils demandaient aux paysans de céder devant les militaires et de rendre une partie des terres.

Le LPP est intervenu, a mené campagne contre toute compromission, a avancé un programme de désobéissance civile et a remporté un grand succès. Cette victoire ne représente qu’une victoire minuscule, car le MMA utilise Internet, la presse, la télévision et la radio pour promouvoir sa démagogie réactionnaire et conservatrice. « Nous avons une politique très claire, m’a expliqué Farooq Tariq. Nous ne conclurons jamais d’alliances avec le moindre groupe intégriste. Nous ne participerons jamais avec eux à aucune lutte dite “anti-impérialiste » car le fondamentalisme religieux n’a rien d’anti-impérialiste. » (…)

« Les Européens ne comprennent pas la nature de l’intégrisme religieux. Les groupes d’extrême gauche européens qui veulent conclure des alliances avec les intégristes ignorent à qui ils ont affaire. En Grande-Bretagne les groupes fondamentalistes ne constituent qu’une petite minorité. Ici, au Pakistan, ils sont devenus une force semi-fasciste. »

Depuis le coup d’État du général Zia-ul-Haq en 1979, d’importantes fractions de l’armée entretiennent des liens étroits avec les dignitaires intégristes et leurs organisations. Leurs relations ont évolué avec le temps, mais même après le tremblement de terre politique du 11 septembre 2001, et la décision de Muscharaf de soutenir la « guerre contre le terrorisme », leurs relations sont encore étroites.

Musharaf a utilisé les fondamentalistes pour dresser un barrage entre lui et l’opposition non fondamentaliste et pour lancer un ultimatum à l’Occident : « Acceptez-moi, sinon vous aurez affaire aux intégristes qui me soutiennent et sont prêts à prendre le pouvoir dans un État qui possède l’arme nucléaire. »

D’un côté, il interdit et persécute les groupes intégristes ; de l’autre il se sert des députés du MMA au sein du Parlement. Maintenant que le dialogue reprend avec l’Inde et que le problème de l’avenir du Cachemire revient sur le devant de la scène, la relation de Musharaf avec les intégristes va devenir de plus en plus tendue. Il a déjà survécu à deux tentatives d’assassinat, dont beaucoup pensent qu’elles ont été organisés par la fraction la plus radicale des intégristes qui veut briser l’alliance entre le MMA et l’armée et prendre la direction du mouvement.

Les camarades du LPP mènent la lutte contre le conservatisme religieux et le fanatisme dans le cadre de Women Workers Helpline.

Fondée en 2000, l’organisation fonctionne de façon autonome du LPP et a des sections à Karachi, Hyderabad et Lahore. Elle cherche à ce que les travailleuses pakistanaises acquièrent davantage d’autonomie et à développer la solidarité à leur égard. Helpline les informe de leurs droits à l’intérieur comme à l’extérieur des entreprises, et les aide à faire valoir ces droits. Comme le dit un autocollant de cette organisation : « Femmes, réveillez-vous. Vous êtes seules maîtresses de votre destin. »

L’organisation offre une assistance téléphonique, organise des stages et des séminaires, et tient des meetings chaque mois à Lahore. (…) Elle est en butte à l’hostilité du MMA et du Jamaat—Islami. « Les intégristes prétendent que la violence domestique est une question privée et que si une femme est une bonne épouse pourquoi donc son mari voudrait-il la battre ou la mutiler (1) ? »

Une autre question clé pour les femmes pakistanaises est « la loi Hudood ». Cette loi archaïque et discriminatoire a été introduite par le général Zia-ul-Haq en 1980 et elle considère que le viol d’une femme doit être attesté par quatre témoins masculins. Dans le cas contraire, elle est accusée d’adultère et peut être emprisonnée et lapidée.

Une commission spéciale a été mise en place pour revoir cette loi et a décidé qu’elle devait être supprimée immédiatement. Presque tous les partis politiques sont d’accord — sauf le MMA.

Le gouvernement de la Province de la frontière du nord-ouest, contrôlé par le MMA, a voté à l’unanimité pour conserver cette loi. Les femmes du Jamaat-i-Islami ont organisé plusieurs manifestations pour soutenir cette loi. Selon elles, ceux qui veulent supprimer cette loi imposent les idées d’une minorité de femmes « occidentalisée »s et s’opposent aux intérêts de la majorité des femmes pakistanaises.

Ce sont les femmes de la classe ouvrière qui souffrent le plus de cette loi. Au Pakistan, une femme est violée toutes les deux heures, et une est victime d’un viol collectif toutes les huit heures au Pakistan. Près de 75 % des femmes emprisonnées au Pakistan le sont pour adultère en raison de la loi Hudood. (…)

Faryal Velmi

(Traduit par Ni patrie ni frontières)

1. De nombreuses femmes sont horriblement mutilées suite aux coups ou aux actions de leurs maris. Ceux-ci trafiquent en effet la cuisinière à gaz de leur épouse de façon à ce que lorsque celle-ci se met à cuisiner, l’appareil domestique explose, causant de terribles blessures ou leur mort. (Note du traducteur.)