Henri Simon nous a quittés et c’est une grande perte pour tous ceux qui se réclament de la lutte de classe. Ci-joint un projet d’article qui devait être publié dans le dernier numéro de la revue Echanges et mouvement que Henri et une poignée de camarades animaient depuis des décennies.
Toutes mes pensées vont à sa famille et à ses copines et copains de coeur.
Une source d’information et de réflexion unique
J’ai beaucoup lu ICO puis Echanges entre 1967 et 1980, puis de 1993 à nos jours. Pourquoi ? Au départ, tout simplement parce que je dévorais toute la prose marxiste antistalinienne, et cela coulait donc de source pour moi de lire ICO puis Échanges puisque tous deux n’avaient aucune illusion sur ce que des ignares, ou des complices, ont osé appeler le « socialisme réel ». J’ai milité d’abord dans une organisation trotskyste (Voix ouvrière/Lutte ouvrière) puis j’ai fondé avec d’autres camarades un groupuscule (Combat communiste) qui considérait l’URSS comme un capitalisme d’État – il était donc normal d’avoir des affinités théoriques avec Échanges.
Je ne connaissais pas du tout Henri Simon dans les années 1960 et 1970 et ne l’ai rencontré que beaucoup plus tard, après 2002, parce que Échanges et le groupe-revue Temps critiques participaient au défunt portail mondialisme.org, fondé par Nicolas du Cercle social. Nous nous rencontrions de temps en temps, au gré des Salons du livre libertaires parisiens et aussi de quelques réunions internationales à Poznan, Leiden et Paris.
Ce que j’ai toujours apprécié dans Échanges c’est le souci du concret, qui était aussi celui d’Henri, et aux antipodes du goût pour les abstractions et les polémiques stériles, si caractéristiques des milieux d’extrême gauche ou d’ « ultragauche ». Quand Henri arrivait dans un autre pays, comme j’ai pu le vérifier en Pologne et aux Pays-Bas, ses premières questions ne portaient pas sur les 18 groupuscules locaux et leurs divergences, mais sur le prix de la viande, le montant des loyers dans les quartiers populaires, le salaire de base d’un ouvrier et le tarif d’un ticket de bus. Ce souci des détails de la vie quotidienne des travailleurs faisait d’Échanges une publication très différente de toutes les autres. Non pas que cette revue n’ait jamais abordé les questions théoriques, mais elle le faisait presque toujours, du moins dans les articles d’Henri, en se souciant du point de vue de la classe ouvrière.
Avec les années, ce point de vue de classe est devenu de plus en plus minoritaire dans l’extrême gauche et même la malnommée « ultragauche » ; la classe ouvrière et l’histoire du mouvement ouvrier sont devenus des curiosités archéologiques. Échanges n’a pas baissé la garde, n’a pas cédé aux modes identitaires, et a toujours cherché à repérer les luttes qui montraient que la classe ouvrière n’avait pas disparu et qu’elle était même en « expansion permanente », selon le titre d’un livre écrit par un certain Simon Rubak…
Cet entêtement d’Échanges à s’intéresser aux luttes ouvrières, à leur chercher un sens au-delà de simples combats défensifs pour la survie, à dénicher des témoignages directs, suscitait le scepticisme quand ce n’était pas des ricanements sectaires. Mais la revue a continué, bon an mal an, à nous informer sur des grèves et des mouvements sociaux aux quatre coins de la planète, sans tomber pour autant dans le triomphalisme « gauchiste » toujours fondé sur des informations approximatives et des pulsions velléitaires qui les amènent à sauter incessamment d’une cause à l’autre.
Bien sûr, tout ne me plaisait pas dans Echanges, et certaines polémiques me semblaient sans intérêt voire contraires à l’absence de sectarisme proclamé par Henri et ses camarades. Mais cela ne m’a jamais empêché d’attendre avec impatience chaque numéro et de le lire rapidement, en tout cas les articles portant sur des sujets qui m’intéressaient.
Toute publication a une fin mais franchement la disparition d’Échanges n’est pas une bonne nouvelle, et les jeunes générations ne sauront sans doute pas ce qu’elles perdent…
Yves Coleman, Ni patrie ni frontières, 17 décembre 2024.