Un processus qui s’affirme
Nous avons identifié depuis longtemps le processus de transformation de la démocratie parlementaire en démocratie plébiscitaire . Ce phénomène implique la modification des relations entre l’exécutif et le législatif, avec la tentative des dirigeants de l’exécutif de nouer des liens directs avec le peuple et de réduire le rôle du législatif (par exemple, en France, avec la « réforme » des retraites de 2023 ). La crise fiscale des États, qui a éclaté en 2008, suivie par la crise de la Covid ont mis en évidence la faiblesse croissante des exécutifs et plus généralement de la démocratie représentative dont le parti, tour à tour majoritaire, ne parvient plus à dépasser dans les élections législatives les 25 % des voix, le condamnant à des alliances politique précaires. La crise fiscale a également sapé les fondations de la « démocratie sociale » et de l’alignement de la société civile à l’État. Des secteurs croissants de la population se retrouvent exclus des mécanismes d’intégration, devenus trop chers eu égard aux déficits publics croissants.
Les émeutes urbaines ainsi que la montée de l’extrême-droite aux élections dans plusieurs pays européens (qui se confirmera aux prochaines élections européennes de juin 2024) servent aujourd’hui aux exécutifs comme prétextes pour accroître les moyens d’action de la justice et de la police, deux piliers de l’État . Néanmoins, des derniers ne sont pas purement et simplement des instruments passifs de l’exécutif Ils jouissent depuis toujours de certaines marges de manœuvre liées à leur fonction.
Suite à la crise des Gilets Jaunes , en France, la police a diffusé l’idée qu’elle était devenue le dernier rempart de l’exécutif, seule capable d’endiguer les attaques contre celui-ci. La « grève » de la police d’octobre 2022, les « émeutes » de juillet 2023 et la politique « anti-drogue » du gouvernement de l’automne 2023, l’ont conforté dans l’idée que son rôle méritait une plus grande reconnaissance et imposait un traitement exceptionnel des policiers traînés en justice leur garantissant de facto l’impunité. À titre d’exemple, le passage à tabac de Hedi , 21 ans, par des flics de la BAC début juillet 2023 à Marseille, a déclenché des vagues de réactions. Frédéric Veaux, directeur général de la police, a déclaré le 23 juillet dans un entretien au Parisien, qu’« avant un éventuel procès, un policier n ’a pas sa place en prison ». Propos qui ont reçu le soutien de Gérald Darman in et du préfet de police de Paris, Laurent Nunez.
Quant à la justice, deux composants fondamentaux du droit bourgeois inspirés par le libéralisme politique sont en passe d’être détruits : la présomption d’innocence et le droit de prescription des peines. Ladérive vers une justice qualifiée de subjective où la figure de la victime désignée a priori par la vox popitli (opinion publique, médias, police, etc.) prévaut presque statutairement sur la recherche de la charge de la preuve et le droit de la défense du prévenu. Le suspect est considéré d’entrée de jeu comme étant coupable. Ce n’est donc plus à l’accusateur d’apporter la charge de la preuve mais à l’accusé d’accepter sa prétendue culpabilité. Quant au condamné, il l’est potentiellement pour toujours s’il ne fait pas acte public de repentance qui doit impérativement être reconnue et validée comme telle par la victime désignée et sa famille et par les organes de répression. Cette nouvelle approche de la matière judiciaire a été théorisée en Italie avec l’invention du concept de justice dite réparative pour lequel le coupable, une fois condamné, doit s’amender auprès des proches des victimes et s’agenouiller devant la justice.