– I –
Ces dernières années, j’ai toujours eu des problèmes avec la façon dont la gauche aborde publiquement la question de la violence. D’un côté, à partir d’une position humaniste radicale, certains rejettent la justification (jésuite ou stalinienne) selon laquelle tous les moyens sont justifiés par l’objectif final ; ces camarades en viennent donc à rejeter catégoriquement tout recours à la violence. Ils soulignent que l’objectif de créer un monde meilleur doit être clairement identifié dans chaque étape qui mène à cet objectif.
Bien que je sois fondamentalement, proche de cette position, j’ai quelques problèmes avec la manière dont elle est souvent défendue. Pour moi, elle reste trop abstraite. Je ne reproche pas à cette attitude d’être trop morale : au contraire, je m’étonne que, les membres d’un mouvement dont la force motrice a toujours été la moralité (l’horreur morale face aux nazis, à ce qui se passe au Vietnam et dans le tiers monde) rejettent aujourd’hui une position comme étant trop morale et prennent ainsi leurs distances, d’une certaine manière, avec une partie d’eux-mêmes.
Non, mon problème est plutôt que, dans cette discussion, la question de la violence est dissociée de tout contexte politique et historique. On a l’impression que la violence devrait être rejetée par tous les mouvements et les groupes, indépendamment de leur situation historique concrète. Mais le problème ne s’arrête pas là. A mon avis, une telle position, en soi, ne peut suffire à critiquer de manière adéquate la politique prônée par la guérilla urbaine.
Je rejette la politique de la guérilla pour des raisons morales, mais aussi politiques, car si nous suivons les guérilleros sur le terrain qu’ils ont choisi, nous devons mener un débat politique avec eux. Ils se considèrent comme des « réalistes », comme un « facteur efficace de résistance », et ils accusent le reste de la gauche de faire preuve de naïveté et de libéralisme.
Il me semble important de problématiser cette auto-évaluation : à mon avis, elle est profondément apolitique et je vais tenter de l’expliquer dans ce texte.
La plupart des arguments des défenseurs de la guérilla dans les métropoles [impérialistes ] sont également abstraits et moraux. Cependant, le caractère de leurs arguments est très différent de celui des défenseurs de la position « humaniste radicale ». Alors que ces derniers problématisent la relation entre la fin et les moyens du changement social, les guérilleros tirent la justification morale de leur violence uniquement de la violence sociale existante, et non des changements que leur politique devrait permettre de réaliser. Cette position n’explique que les causes de la violence, mais pas ses effets et ses objectifs.
Je ne critique pas leur colère qui est aussi la mienne. Il m’arrive d’éprouver aussi le désir de l’exprimer directement par la violence. Mais, si la colère peut être le moteur de nombreuses actions politiques, pour qu’une action devienne politique, il faut qu’elle soit émotionnellement compréhensible pour davantage qu’un petit groupe. La question de savoir s’il faut l’employer, ou pas, doit être débattue, non seulement en considérant sa justification morale, mais aussi en prenant en compte ses effets.