Reconstructions militantes rétrospectives, essentialisations multiples et contradictoires de la judéité et mantras de la « haine de l’Occident et de la démocratie »
Parmi les ruptures significatives intervenues pendant la période couverte par ce chapitre (1960-1974) nous allons commencer par évoquer l’antisionisme parmi les Juifs de gauche et d’extrême gauche, phénomène qui n’a cessé de se développer depuis.
Un mémoire universitaire utile malgré ses défauts, ou peut-être à cause d’eux !
Pour ce faire, nous nous servirons d’un mémoire de Bernard Bohbot sur Les Juifs soixante-huitards et la question palestinienne (2019). En dehors de sa facilité d’accès, ce petit texte de 120 pages a le mérite d’évoquer les principales thèses en présence sur les causes du développement de l’antisionisme d’extrême gauche, et plus particulièrement parmi les Juifs, depuis les années 1960 ; l’auteur tente de se démarquer des discours rebattus sur la « haine de soi » ou le « nouvel antisémitisme », même s’il nous ressert finalement un vieux mantra anticommuniste grossier – celui de la « haine de l’Occident » et de la « haine de la démocratie », sous l’influence de l’enseignant qui a supervisé sa maîtrise (Simon Epstein). Bohbot a également interviewé quelques ex-militants d’extrême gauche juifs (censés être plus lucides que ceux restés fidèles à leurs idées) pour donner plus de chair à son propos.
Malheureusement, peu au fait de l’histoire de l’extrême gauche militante, ce jeune universitaire ne comprend ni ce que signifie le défaitisme révolutionnaire pour les courants marxistes (il n’a rien à voir avec la neutralité et tout à voir avec la lutte armée contre les fascistes – en ce sens son incompréhension rejoint celle de spécialistes plus chevronnés comme Valérie Igounet) ; ni les différences entre les positions trotskistes et celles de la Gauche communiste italienne (dite « bordiguiste ») qu’il confond allant jusqu’à qualifier Bordiga et la revue Programme communiste de « trotskistes » ; ni même les différences entre trotskistes et maoïstes au moment de la guerre du Vietnam. Par exemple, il n’a pas compris les différences entre le Comité Vietnam national et les Comités Vietnam de base – les premiers tentant de concocter une nouvelle version (utopique certes, mais c’est un autre sujet) de la théorie de la révolution permanente tandis que les seconds s’alignaient totalement sur la stratégie d’union nationale de toutes les classes prônée par le FNL et le Parti communiste vietnamien dont ils distribuaient scrupuleusement les journaux et brochures sans jamais émettre la moindre critique puisque ces textes émanaient des Vietnamiens – des « premiers concernés », dirait-on aujourd’hui.
Bohbot n’analyse pas davantage les différences entre les formes de « soutien à la Palestine », qui variaient selon les organisations, puisqu’il fourre tout sous l’étiquette du « tiersmondisme ». Il semble ignorer que la Gauche prolétariennne ne fut qu’un feu de paille, même si une poignée d’ex-dirigeants de ce groupe jouissent encore aujourd’hui d’une aura médiatique totalement disproportionnée par rapport à leur importance historique. Il ignore qu’il y eut d’autres groupes maoïstes plus durables (PCMLF et PCR) dont les stratégies d’implantation dans la classe ouvrière et les activités syndicales n’avaient rien à voir avec les pratiques du Parti des Indigènes de la République, de la Brigade antinégrophobie, du Comité Adama, du Collectif Tsedek ou de l’UJFP au XXIe siècle. Aucun historien soucieux de précision conceptuelle ne peut donc tout amalgamer sous l’étiquette d’un nébuleux « tiersmondisme » qui aurait, de surcroît, délibérément choisi les Palestiniens comme « prolétariat de substitution » dès les années …1960.
Pour les besoins de sa démonstration, Bohbot passe sous silence le fait que l’extrême gauche trotskiste internationale de l’époque faisait explicitement référence à la classe ouvrière israélienne (tout comme le Matzpen que l’auteur mentionne pourtant) et jamais à la notion de « blancs » comme il le répète à satiété !
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