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Ni patrie ni frontières
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Les Pays-Bas étaient déjà d’extrême droite, mais désormais on ne peut plus l’ignorer
Un article de Mathijs van de Sande posté le 23 novembre 2023, suivi d’une série d’articles sur Geert Wilders et le PVV
Article mis en ligne le 27 novembre 2023
dernière modification le 29 novembre 2023

La revue "Ni patrie ni frontières" a déjà publié en 2008 un recueil de textes sur les Pays-Bas qui se trouve en ligne et également est disponible en version papier. Le site présente ici une série de traductions de textes publiés sur le site du groupe De Fabel van de illegaal, puis du groupe Doorbraak, entre 2005 et novembre 2023. Ces articles décrivent bien ce que représentent le politicien Geert Wilders et son parti, le PVV, autrement dit le "Parti pour la liberté", et plus largement des raisons pour lesquelles les discours xénophobes, antimusulmans et racistes ont pu s’enraciner dans une partie de la population néerlandaise. Le fait de traduire et diffuser ces textes ne signifie pas évidemment que j’en approuve ni toutes les analyses ni le vocabulaire "décolonial" et "identitaire de gauche" employé. (Y.C.)

Les Pays-Bas étaient déjà d’extrême droite, mais désormais personne ne peut plus l’ignorer

23 novembre 2023

Maintenant que le Parti pour la liberté (PVV) est entré à la Chambre des représentants avec 37 sièges, personne ne peut plus l’ignorer : l’extrême droite domine le paysage politique aux Pays-Bas. La diabolisation des musulmans, la culpabilisation des réfugiés pour des problèmes sociaux tels que la pénurie de logements et le discours sur la « restauration « de l’ethno-État national domineront encore plus le débat politique dans un avenir proche. Cela aura des conséquences importantes, en particulier pour les groupes marginalisés de notre société. En même temps, il est impossible de prétendre qu’un changement se serait produit dans le langage et la situation politiques : les Pays-Bas du VVD (Parti populaire pour la liberté et la démocratie) de Mark Rutte étaient déjà d’extrême droite à bien des égards. Et les partis blancs autoproclamés « de gauche » se sont contentés d’observer la situation.

Dans quelles circonstances politiques le Parti pour la liberté (PVV) est-il devenu le plus grand au Parlement ? Un tweet du journaliste politique Rit Rutten, qui a couvert la soirée électorale du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), résume probablement le mieux cela : « Ici, dans les locaux, les gens sont bouche bée d’étonnement face aux pertes et aux gains du PVV. Et puis une très forte acclamation retentit lorsqu’un sondage à la sortie des urnes annonce que le BIJ1 (Ensemble) [1] n’aurait plus de député à la Chambre. »

L’incrédulité des membres du VVD est compréhensible : leur parti n’a-t-il pas fait et promis exactement la même chose que l’ex-dirigeant du VVD Geert Wilders ? Quiconque examine les positions et propositions concrètes de Wilders ces dernières années ne peut ignorer le fait que les deux partis ont le même programme à bien des égards. Le VVD s’est également engagé au niveau national et international à limiter les « flux de réfugiés » – ce vocabulaire usé en dit long. Le VVD a également totalement négligé l’accueil des demandeurs d’asile, de sorte qu’une véritable crise humanitaire pourrait surgir à Ter Appel [centre de réception des demandes d’asile, NdT]. Le VVD plaide également pour une surveillance militaire plus stricte des frontières extérieures de l’Europe, même s’il est désormais prouvé que cela ne fait qu’entraîner davantage de morts et ne diminue pas les migrations. C’est le leader du VVD, Mark Rutte, qui, avec la Première ministre néo-fasciste italienne Giorgia Meloni, a conçu l’accord controversé avec la Tunisie et qui a fait campagne pour l’ouverture de camps d’internement pour les réfugiés hors des frontières de l’Union européenne.

Sur le plan des discours, le VVD et le PVV ont également mené pratiquement la même campagne sur ce thème durant ces derniers mois. Selon les deux partis, la pénurie de logements– qui résulte de plusieurs décennies de politiques désastreuses du VVD sur tous les plans – était en grande partie due aux étrangers titulaires de titres de séjour. Le VVD a laissé tomber officiellement le quatrième cabinet dirigé par Mark Rutte en invoquant des divergences sur la politique migratoire, même si un accord entre les partenaires de droite de la coalition était à portée de main et qu’il a finalement échoué pour une divergence d’opinions négligeable. Dès le début de la campagne, Dilan Yeşilgöz (2) a ouvert grande la porte à une coopération avec le PVV, ce qui a permis à Wilders de se présenter ces derniers mois comme un partenaire légitime de la coalition. Il n’est donc pas étonnant que la plus grande partie de son électorat qui connaît une forte croissance soit constituée d’électeurs du VVD qui ont fait défection : pour eux, la différence entre le VVD et sa scission d’extrême droite (le PVV) était désormais devenue négligeable.

Quiconque connaît un peu l’histoire du VVD ne devrait pas en être surpris. Déjà sous Frits Bolkestein, le parti avait élaboré un discours anti-immigration nationaliste et islamophobe. Pendant des années, il a flirté avec la politique migratoire extrêmement dure défendue par Rita Verdonk– qui a perdu de peu les élections internes au sein du VVD contre Rutte en 2006, mais a ensuite obtenu davantage de voix préférentielles aux élections générales.

De plus, en tant que ministre, Mark Rutte ne s’est pas montré beaucoup moins raciste que son adversaire : en 2007, il a même été condamné pour incitation à la discrimination raciale alors qu’il était secrétaire d’État aux Affaires sociales. Il avait demandé aux municipalités de contrôler plus strictement les résidents somaliens pour détecter d’éventuelles fraudes aux prestations sociales. Des formes similaires de profilage ethnique ont ensuite constitué le cœur de la politique raciste sur les prestations sociales, politique qui est encore défendue aujourd’hui par des vieux dignitaires du parti tels que Henk Kamp.

Et nous n’avons même pas évoqué les innombrables « ballons d’essai » du VVD qui, heureusement, n’ont pas réussi ces dernières années comme la proposition de Klaas Dijkhoff visant à punir plus sévèrement la criminalité dans les soi-disant « quartiers à problèmes », où généralement vivent davantage de personnes issues de l’immigration. La différence entre le VVD et le PVV sur cette question a toujours été principalement une différence d’affichage de priorités. Le racisme est profondément ancré dans l’ADN des deux partis. Il n’est donc pas surprenant que même les membres du VVD qui sont restés dans ce parti aient été plus préoccupés par la perte du siège du BIJ1/Ensemble. Pour eux, c’est là que se trouve le véritable adversaire.

Tout cela signifie-t-il que rien n’a changé maintenant que Wilders a remporté les élections ? Ce serait trop simple. Cette victoire d’un parti explicitement d’extrême droite porte un coup direct aux groupes sociaux marginalisés. Cela rappelle aux musulmans, aux Noirs et aux personnes de couleur que leur place dans la société est, au mieux, conditionnelle. Mais les personnes LGBTQIA+, les femmes, les bénéficiaires d’allocations sociales et les personnes handicapées sont également confrontées à un avenir marqué par davantage d’incertitude et d’insécurité. Même si le PVV ne fait pas partie du prochain gouvernement et qu’aucun changement structurel n’intervient, le soutien public croissant au discours d’extrême droite de Wilders aura un impact direct.

Par conséquent la gauche doit se tenir aux côtés de ces groupes marginalisés. La question est de savoir si les partis existants à gauche du centre (comme GroenLinks/la Gauche Verte), le PvdD [parti écologiste, animaliste et antispéciste, NdT] et le SP en seront capables.

Leurs réactions enthousiastes face aux résultats des élections contrastent avec les campagnes tièdes qu’ils ont eux-mêmes menées contre Wilders et aussi contre le Parti populaire pour la liberté et la démocratie. Les restrictions migratoires ont été considérées comme un point central de l’ordre du jour par presque tous les partis. Et lorsqu’on a entendu quelques mots d’encouragement pour les étrangers qui veulent s’installer ici, cela concernait presque exclusivement des professions très qualifiées ou des travailleurs dont notre pays tirerait un « avantage économique « calculable.

Alors que la guerre faisait rage à Gaza, Frans Timmermans a continué d’insister sur le fait que l’État d’Israël, fortement militarisé, devait avant tout avoir le droit de « se défendre » contre les civils palestiniens. Et le SP, comme c’est souvent le cas, a également entonné son refrain raciste en faisant campagne contre les travailleurs immigrés d’Europe de l’Est. En bref : sur les questions où le racisme était endémique, la « gauche » autoproclamée a, au mieux, évité la confrontation.

La gauche doit se réinventer – encore une fois. Cela signifie trois choses.
Premièrement, la gauche ne renversera pas la tendance avec un discours qui porte uniquement sur le changement climatique ou la redistribution économique, même si cela est bien sûr également nécessaire. Il faudra montrer comment ces thèmes sont liés au capitalisme, au racisme et au colonialisme – sans constamment les réduire les uns aux autres. Il faudra donc rompre à la fois avec le discours social-démocrate et marxiste selon lequel tout tourne finalement autour des rapports économiques et avec l’idée que le changement climatique serait un thème « apolitique » qui peut relier la droite et la gauche.

Deuxièmement, la gauche doit revenir là où réside sa force – et ce n’est pas principalement au sein des institutions parlementaires et des grands médias. Il faudra oser sortir des sentiers battus. Cela est parfois également possible sur des voies « anciennes, comme la lutte syndicale ou le travail radical au niveau des quartiers, à condition de le faire avec une nouveau grand récit.

Enfin, pour pouvoir raconter un nouveau récit, la gauche devra cesser de tenter d’apaiser l’électorat des partis de droite. Cela signifie qu’il faut comprendre que les différents partis de droite et d’extrême droite de ce pays – du CDA (3) et VVD en passant par le BBB (4), le FvD (5) et le PVV – sont en fin de compte avant tout des vases communicants qui s’appuient toujours sur le même électorat et servent les mêmes intérêts particuliers. La grande question pour la gauche est de savoir ce qu’elle veut être – comment, au nom de qui et à travers qui elle veut parler. Ce n’est qu’en posant ces questions que nous pourrons combattre tout le poison raciste qu’a diffusé le VVD.

Mathijs van de Sande

Notes du traducteur

(1) BIJ1 (Ensemble) : parti féministe et antiraciste, créé en 2016 par une journaliste de télévision connue et originaire du Surinam. Cette organisation veut « mettre en place un ministère de l’égalité », créer une « cour constitutionnelle » pour « protéger les citoyens contre le gouvernement », »décoloniser le pays », lutter contre le « racisme, le sexisme et les discriminations fondées sur les capacités physiques » ainsi que contre « l’islamophobie » et « pour les droits des LGBTQIA+ ».

(2) Parlementaire et ministre d’origine kurde-turque, qui est passée successivement par le SP, parti de gauche hostile à l’immigration (cf. https://npnf.eu/spip.php?article357 ), la Gauche Verte et le PvdA-Parti du travail, avant de rejoindre le VVD. En 2023, ce parti a 23 députés à la Chambre sur 150.

(3) CDA, Christen Democratisch Appel (Appel chrétien-démocrate) : il défend des idées conservatrices (chrétiennes) et des mesures protectionnistes dans son programme économique, notamment en raison de la forte influence des agriculteurs dans ce parti. En 2023, il a 5 députés.

(4) BBB (BoerBurgerBeweging), Mouvement agriculteur-citoyen : créé en 2019 suite à un mouvement de fermiers contre l’imposition d’une baisse de 30% du cheptel. En 2023 il a 7 députés, 16 sénateurs sur 75 et 137 députés provinciaux sur 572.

(5) FvD, Forum pour la démocratie : fondé en 2016, ce parti de droite, eurosceptique, hostile à l’immigration, antivax, climatosceptique, est libéral en économie. En 2023, il a 3 députés.


Articles sur Geert Wilders et le PVV (Parti pour la liberté)

– Geert Wilders, un politicien populiste et d’extrême droite (2005)
https://npnf.eu/spip.php?article412

– Qui est vraiment Geert Wilders ? (2007) https://npnf.eu/spip.php?article1117

– Même les universitaires qualifient le Parti pour la liberté de Wilders d’extrême droite (2008) https://npnf.eu/spip.php?article1118

– Le Parti pour la liberté (PVV) : un parti antisocial et néolibéral (2009) https://npnf.eu/spip.php?article1121

– Qui vote pour le Parti pour la liberté (PVV) ? (2009) https://npnf.eu/spip.php?article1120

– Le manifeste électoral du Parti pour la liberté (PVV) est plus raciste que celui du NSDAP d’Hitler dans les années 1920 (août 2016)
 
  Desintox : malheureusement les électeurs néerlandais n’ont PAS rejeté Geert Wilders (mars 2017) https://npnf.eu/spip.php?article1119

– Les Pays-Bas étaient déjà d’extrême droite, mais désormais on ne peut plus l’ignorer (2023) https://npnf.eu/spip.php?article1116