JUIFS ET MAGHREBINS DANS LES TRANCHEES
Durant la guerre, environ 400 000 Maghrébins vivent en France (260.000 soldats coloniaux et 140000 travailleurs indigènes). De nombreux travailleurs maghrébins viennent travailler en France, et leurs appartements surpeuplés sont souvent situés dans des quartiers où habitent aussi les familles juives les plus proches, ou en tout cas dans des zones limitrophes. « Ils sont employés dans divers types d’établissements publics ou privés : usines de munitions, ateliers de l’intendance, centres de bois, centres de stockage du génie ; travaux agricoles, transport, usines à gaz, travaux de terrassement. Par le biais du Service d’organisation des travailleurs coloniaux (SOTC), du ministère de la Guerre, le gouvernement français tente de contrôler leurs moindres faits et gestes. Le SOTC classe les travailleurs par nationalité et décide de tout ce qui les concerne – emploi, logement, alimentation, transport, en prenant soin de les séparer autant que possible de la population française autochtone. » (E.B. Katz, 2018.).
La population juive (en comptant l’Algérie) se monte à 180 000 personnes et 38 000 sont enrôlés sont les drapeaux : 16 000 viennent de France et 14 000 d’Algérie ; de plus 8 500 Juifs immigrés en France s’engagent dans la Légion étrangère.
Pour les Juifs de France, la première guerre mondiale leur « offre la possibilité de réaffirmer leur attachement envers le patriotisme français et leur inclusion totale au sein de la nation » (E.B. Katz, 2017) et ce au sein même de l’institution qui avait révélé son profond antisémitisme durant l’Affaire Dreyfus. Maurice Barrès et Joseph Reinach, de vieux ennemis politiques, écrivent presque tous les jours des articles pour soutenir l’effort militaire français et font même une tournée des tranchées ensemble. Vieux partisan de la colonisation française, notamment en Tunisie et au Maroc, Reinach oppose la France, « force impériale bienveillante qui œuvre en faveur de la civilisation, du droit et de la raison » à « l’Allemagne, la Russie (jusqu’à la guerre) et l’empire ottoman qui incarnent la barbarie, la répression brutale et l’idéologie raciale » (idem).
Selon E. B. Katz (2017), la première guerre mondiale marque le début de rapports plus intenses entre les Juifs et les Maghrébins dans l’Hexagone, en raison de l’utilisation massive de soldats algériens, marocains et tunisiens, notamment dans l’infanterie. Les Juifs d’Afrique du Nord, qui parlent l’arabe et le français, sont mis à contribution en tant qu’interprètes, mais on leur demande aussi de sonder, voire de surveiller, le moral des troupes coloniales. Les officiers ont en effet très peur de la propagande des Ottomans ou des premières organisations nationalistes arabes, et de leur effet sur la détermination des Maghrébins ou « Orientaux » mobilisés sous les drapeaux. Les interprètes, ou les soldats juifs bilingues, rendent aussi toutes sortes de services à double tranchant : ils lisent la correspondance privée des « musulmans » qui sont illettrés (et collectent donc des informations), ils écoutent les conversations, ils donnent des conseils aux officiers pour les récompenses et les punitions, etc.