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Ni patrie ni frontières
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D’où vient l’antisionisme actuel ?
Article mis en ligne le 25 septembre 2023

Selon Dave Rich (The Left’s Jewish Problem Jeremy Corbyn, Israel and Anti-Semitism, Biteback Publishing, 2018) à propos du Royaume Uni, mais son analyse s’applique sans doute à d’autres pays européens et aux Etats-Unis, « la Nouvelle Gauche représentait effectivement une nouvelle classe sociale, enracinée dans les professions intellectuelles et culturelles et dont l’agenda politique allait être dominé par l’identité et l’iconoclasme. Ce n’est pas un hasard si les sentiments et le militantisme anti-israéliens dominent dans les milieux culturels, intellectuels et universitaires britanniques aujourd’hui, étant donné que la politique de la Nouvelle Gauche a toujours trouvé le plus de soutien dans ces secteurs. [...] L’idée que le sionisme est une idéologie colonialiste et Israël un vestige du colonialisme occidental au Moyen-Orient vient directement de la Nouvelle Gauche des années 60. L’anticolonialisme, la race (1) et la guerre froide jouèrent un rôle essentiel dans la formation de la Nouvelle Gauche et créèrent un cadre dans lequel Israël et le sionisme étaient du mauvais côté de la barrière. [...]
L’anticolonialisme commença sous la forme d’une campagne pour que les colonies européennes remportent leur indépendance, et se transforma ensuite en un soutien politique général pour ces nouveaux États après qu’ils furent devenus indépendants. [...]
Cela fournit un terrain fertile pour l’idée, maintenant très répandue dans la gauche, selon laquelle le sionisme est un mouvement colonial européen et Israël un bastion de colons blancs plutôt qu’un État-nation légitime. Tel est le cadre intellectuel et politique fondamental dans lequel sont expliqués le sionisme et Israël dans la politique de la Nouvelle Gauche. Ce n’est pas arrivé par hasard et son évolution a été un produit direct de la politique anticoloniale radicale des années 60
 ».

Selon Dave Rich, l’antisionisme actuel est né au Royaume uni grâce à une alliance originale entre des centristes (les Young Liberals), des jeunes étudiants originaires du Proche-Orient et du Moyen-Orient (dont certains d’origine palestinienne), et les ambassades de la région : Egypte, Lybie, Arabie saoudite, etc., qui financèrent généreusement le mouvement de solidarité avec la Palestine. C’est cette alchimie particulière qui a permis, au Royaume uni, de construire un mouvement important, sur le modèle à la fois de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et l’intervention américaine au Vietnam.

Les groupes d’extrême gauche (maoïstes ou trotskistes) n’y ont joué qu’un rôle mineur, tant ils étaient enfermés dans leurs débats idéologiques, les premiers défendant l’idée d’une guérilla marxiste organisant les paysans, les seconds prônant une révolution socialiste s’appuyant sur l’union des prolétariats arabe et israélien de toute la région, ou soutenant le FDPLP (2).

Dave Rich remet en cause l’idée selon laquelle l’extrême gauche britannique aurait influencé la vision négative de la gauche travailliste et de l’opinion publique concernant Israël ; selon lui, l’antisionisme actuel, fondé sur la défense des droits de l’homme des Palestiniens et la conception selon laquelle Israël est une « tête de pont » de l’impérialisme américain, a des sources bien différentes.

Il serait donc important de savoir quel rôle ont joué en France les milieux gaullistes, les hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay, les ambassades du Proche-Orient et du Moyen-Orient, les Amicales de travailleurs immigrés contrôlées par l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc, les catholiques et les protestants de gauche, etc., dans la création d’une image très négative d’Israël dans l’opinion publique.

Si l’on en croit l’invitation à un colloque sur « La Palestine dans les luttes sur l’immigration en France » qui s’est tenu en septembre 2018 (http://apprendrelapalestine.blogspot.com/), l’« histoire du soutien à la cause palestinienne en France est encore à écrire ». En tout cas, d’après les auteurs de deux articles (3) consacrés à cette question, la première génération des Comités Palestine fut étroitement liée à la Gauche prolétarienne, d’un côté, et, de l’autre aux « premiers représentants officieux de l’OLP : Mahmoud Hamchari et Azzedine Kalak », tous deux assassinés par les services secrets israéliens – le premier en janvier 1973 et le second en août 1978.

En France, le mouvement de soutien à la Palestine démarra beaucoup plus à gauche qu’au Royaume uni, puisqu’il fut lancé en 1967 par les maoïstes de la GP et de jeunes étudiants nationalistes arabes, ou des staliniens arabes. Ils gagnèrent le soutien de certains députés gaullistes « de gauche » (Louis Terrenoire (4) ), de chrétiens de gauche (l’hebdomadaire Témoignage chrétien, entre autres). Le PCF et la LCR contribuèrent à créer des associations humanitaires comme l’Association médicale franco-palestinienne (AMFP) en 1974 et l’Association France Palestine (AFP) en 1979. « L’AMFP est créée après la guerre de Kippour par un groupe de médecins proches de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), du Parti Socialiste Unifié (PSU) ou du Parti Communiste Français (PCF) » (M. Hecker, 2013). Quant aux maoïstes, après avoir tenté de noyauter un temps l’AMFP, un certain nombre d’entre eux participèrent à la création de l’AFP, Association France Palestine, sous l’impulsion du PCF et notamment d’Alain Gresh, et avec des personnalités gaullistes (Terrenoire) et socialistes (Buttin).

Il faut noter également le rôle des associations étudiantes maghrébines, puis, dans les années 90, l’apparition d’organisations comme l’UJFP (qui regroupe des personnes qui se définissent comme juives et des « alliés » non juifs, selon la terminologie de l’identitarisme actuel), d’associations musulmanes et d’ONG (musulmanes ou pas) se consacrant à l’aide humanitaire pour les Palestiniens. Ces organisations et ONG attirent de plus en plus de jeunes « musulmans » des quartiers populaires qui n’hésitent plus, depuis le début des années 2000, à arborer les couleurs du Hamas, à brandir des pancartes proclamant « Israël=SS » et parfois à crier des slogans antisémites.

Dans un tel contexte, au fil des années 2000, les rapports entre les Juifs (de culture ou de religion) et les musulmans (de culture ou de religion) n’ont fait que se tendre et cette situation a poussé de plus en plus le « collectif juif » à soutenir la droite, voire à ne plus tenir le Front national pour un ennemi infréquentable (cf., bien que ce ne soit pas le point de vue des auteurs, les témoignages recueillis dans La main du diable. Comment l’extrême droite a voulu séduire les Juifs de France (5), de Judith Cohen-Solal et Jonathan Hayoun témoignent d’un effritement inquiétant du « cordon sanitaire républicain » autour de l’extrême droite lors des échéances électorales locales comme nationales.)

Y.C., Ni patrie ni frontières, septembre 2023

1. Où l’on voit que les adeptes français des « races sociales » ont un demi-siècle de retard sur leurs maîtres à penser anglo-saxons.

2. FDPLP, groupe fondé en 1969 par Nayaf Hawatmeh, et issu d’une autre mouvement palestinien, le FPLP, créé en 1967 par Georges Habbache. Tous deux se réclamaient à la fois du nationalisme arabe et du marxisme à la sauce maoïste et ont entretenu des liens avec l’impérialisme soviétique et avec des Etats policiers régionaux (Syrie, Irak).

3. Marc Hecker : « Un demi-siècle de militantisme pro-palestinien en France : évolution, bilan et perspectives », Confluences Méditerranée n° 86, 2013.
Abdellali Hajjat : « Les comités Palestine (1970-1972). Aux origines du soutien de la cause palestinienne en France », Revue d’études palestiniennes, 2006.

4. . Catholique, résistant déporté à Dachau, membre du MRP puis du RPF, il dénonce le rôle du PC dans la grève des mineurs de 1948. Il fut maire, député et ministre. Comme Bitterlin, il appartint à des réseaux liés aux Etats arabes et probablement financés par eux.

5. Cf. ma critique : https://npnf.eu/spip.php?article628