Bandeau
Ni patrie ni frontières
Slogan du site
Descriptif du site
G. Munis : Textes politiques. Oeuvres choisies, tome 1 : De la guerre d’Espagne à la rupture avec la Quatrième Internationale (1936-1948)
Article mis en ligne le 4 septembre 2023

Avant-propos de Ni patrie ni frontières

La revue et les éditions Ni patrie ni frontières se sont fixés depuis 2002 la tâche de mieux faire connaître des textes de différentes tendances du mouvement ouvrier et révolutionnaire, notamment en publiant des traductions. De ce point de vue, je ne peux que remercier les camarades du Comité d’édition des œuvres de Munis d’avoir non seulement réuni des textes déjà publiés en français, mais surtout d’en avoir traduit plusieurs. Ces textes sont à la fois inédits et importants pour comprendre l’apport théorique de Munis aux courants communistes de gauche, que les journalistes et les historiens pressés préfèrent appeler « ultragauches ».

Les écrits de G. Munis sont peu connus en France parce qu’ils n’ont pas eu la « chance » d’être publiés par des éditeurs disposant d’un réseau commercial étendu et de contacts parmi les journalistes ou les universitaires qui lancent les livres politiques dans les médias.

Deux livres ont été publiés chez Eric Losfeld (Pour un second manifeste communiste en 1965 et Les syndicats contre la révolution en 1968), un troisième (Parti-Etat, Stalinisme, Révolution) est paru aux Éditions Spartacus en 1975 et un quatrième (Leçons d’une défaite, promesse de victoire) aux Éditions Science Marxiste en 2007.

Ce manque de visibilité de l’œuvre de Munis dans le « champ éditorial » hexagonal a évidemment une cause bien plus profonde : ses positions ne pouvaient absolument pas être récupérées par le moindre intellectuel français, qu’il soit social-démocrate, philo-stalinien, antitotalitaire (de droite ou de gauche), tiersmondiste ou démocrate-bourgeois. En lisant ce premier tome des Œuvres choisies de Munis, les lectrices et lecteurs comprendront immédiatement pourquoi.

Munis faisait partie d’un petit groupe, le FOR (Fomento Obrero Revo- lucionario), et c’est à ce titre que je l’ai rencontré, avec d’autres camarades du défunt groupe Combat communiste, en 1975. Comme la plupart des militants qui avaient fait leurs premières armes dans les années 1920 ou 1930, comme Georges Scheuer des RKD que nous eûmes aussi l’occasion de rencontrer vers la même époque, il ne se vanta d’aucun exploit particulier au cours de notre discussion. Il n’évoqua ni ses séjours en prison, ni son militantisme clandestin en Espagne. Il essaya seulement de nous tester sur le plan politique (nous étions un petit groupe de militants récemment exclus de Lutte ouvrière et avions créé notre groupe en 1975), puis il jugea sans doute que nous devions faire nos preuves et rompre avec nos positions héritées du léninisme-trotskysme, par nous-mêmes, sans pressions ni magouilles de sa part ou de ses camarades, ce qui est tout à son honneur. Ou alors, autre hypothèse moins flatteuse pour nous, il pensa que nous étions totalement irrécupérables... Quoi qu’il en soit, nous ne nous sommes jamais revus, ce que, rétrospectivement, je ne peux que regretter.

Non seulement parce que nous n’avons pas pu bénéficier de sa longue et riche expérience militante, mais aussi parce que, de la confrontation des idées, surgissent parfois des progrès décisifs dans la compréhension de la réalité sociale et politique. À chercher la « vérité », tout seul ou dans un petit groupe isolé, on perd parfois beaucoup de temps, on s’égare dans des impasses politiques, ou l’on se démoralise. L’édition de ce livre est donc pour moi, à une échelle minuscule, le paiement d’une dette politique envers G. Munis.

Au-delà de cet aspect personnel, l’édition de ce livre est importante parce que Munis et le FOR font partie des courants communistes de gauche qui ont essayé de dépasser les limites du léninisme et du trots- kysme, même si leurs écrits, un demi-siècle plus tard, peuvent sembler marqués (parfois) par le sectarisme et la langue de bois.

Il est très facile, à 50 ans de distance, de repérer sur quels points Munis s’est trompé, les phénomènes qu’il n’a pas prévus ou envisagés, ceux auxquels il a accordé trop d’importance, etc. La force de ses textes, est ailleurs. Ses écrits témoignent d’une volonté indomptable de défendre des principes politiques communistes (au sens originel du terme) et de ne pas céder devant les sirènes du Front populaire, de la Résistance bourgeoise et de l’Union soviétique. Munis fait partie de ces militants qui n’ont jamais eu d’illusions sur le stalinisme, tout en ne sombrant ni dans « l’anticommunisme », ni dans l’apologie de la démocratie bourgeoise, ce qui fut rarissime, y compris à l’extrême gauche ou dans le mouvement anarchiste. Il fait aussi partie de ces militants que ni la torture, ni les prisons, ni l’isolement politique ne brisèrent ou ne démoralisèrent.

Pour ces qualités humaines et politiques rares, ces textes méritent d’être lus et discutés.

Ni patrie ni frontières !

PS : il est toujours délicat de reproduire des écrits publiés il y a plus d’un demi-siècle. En guise de glossaire, on peut consulter le livre de François Godichcau Mois de la Guerre d’Espagne, Presses universitaires du Mirail, 2003.

Certains choix orthographiques arbitraires ont été opérés pour rendre les textes plus lisibles : nous avons transcrit b-1 par bolcheviks-léninistes, FP par Front populaire, SI par Secrétariat international, PS par Parti socialiste, etc. Nous avons supprimé les points dans les sigles (URSS au lieu de U.R.S.S. par exemple). Nous avons aussi pris l’initiative d’ajouter [entre crochets et parfois en italiques] certains mots et dates afin de faciliter la lecture et la compréhension, notamment quand nous ne disposions pas de la version espagnole du texte, ou quand il s’agissait d’une erreur de traduction probable, ou d’un mot manquant.

1. On aura une (petite) idée des positions et des activités militantes de Georg Scheuer, en Autriche, puis en France durant la Seconde Guerre mondiale, en lisant Seuls les fous n’ont pas peur (p. 183-259), traduit et publié aux Editions Syllepse. Les textes de son groupe (RK/OCR) n’ont malheureusement pas trouvé d’éditeur jusqu’ici. Cinq articles ou tracts ont été publiés dans le n° 29/30/31 de Ni patrie ni frontières, d’autres suivront dans l’espoir de pouvoir un jour réunir ces écrits en volume.

********

Préface du Comité d’édition des œuvres de G. Munis

Ce tome I des œuvres choisies de G. Munis réunit des articles, des textes et des brochures datant de sa période trotskyste jusqu’à sa rupture officielle avec la Quatrième Internationale en 1948. Certains ont été écrits immédiatement après cette rupture. Quelques textes existaient déjà en français, d’autres, d’une grande importance politique et historique, ont été traduits par nos soins et sont donc inédits dans cette langue. Nous avons choisi de les présenter par ordre chronologique, ce qui permet de mieux comprendre l’évolution des idées révolutionnaires de l’auteur, d’autant que les thèmes principaux de ce volume sont fondamentalement les mêmes : révolution espagnole, internationalisme, défaitisme révolutionnaire, nature de l’URSS, État ouvrier dégénéré, capitalisme d’État. ..

Comme nous l’indiquons dans la présentation des idées politiques de G. Munis au début de cet ouvrage, outre l’étude exhaustive de la première grande révolution prolétarienne de l’histoire, en Russie, le mouvement révolutionnaire en Espagne dans les années 30 a également eu une influence décisive sur lui. Après avoir vécu dans sa propre chair ce que le stalinisme était capable de faire pour empêcher la victoire de la révolution prolétarienne en Espagne, entre 1936 et 1937, il est clair que sa vision se devait d’être très critique, même vis-à-vis des idées trotskystes qu’il avait épousées, sur la « défense de l’URSS », le stalinisme, puis la nature même du système dit soviétique.

Sur la période de la guerre civile espagnole, nous reproduisons quelques tracts, quelques lettres et quelques articles écrits au moment des événements. D’autres articles, écrits plus tard, apparaîtront dans le tome IL De plus, nous conseillons la lecture de son œuvre maîtresse sur ce thème, Leçons d’une défaite, promesse de victoire, traduite et publiée par les éditions Science Marxiste en 2006, ou en espagnol Jalones de derrota, promesa de victoria, réédité par Munoz Moya Editores Extremenos, en Espagne.

Ensuite, en suivant l’ordre chronologique, nous présentons un texte de 1944, inédit en français, qui est d’une importance capitale. Il constitue une sorte de pont entre la défense des positions de la Quatrième Internationale et l’inévitable et nécessaire rupture avec celles-ci du point de vue révolutionnaire, du point de vue de l’analyse marxiste de l’évolution historique. En clair, Munis utilise la méthode du matérialisme historique pour comprendre l’évolution internationale du capitalisme et analyser le mouvement prolétarien à l’échelle mondiale, au risque de devoir rompre avec des idées mortes, d’où qu’elles proviennent. Mais l’internationalisme prolétarien est une conception qui ne pouvait ni mourir ni être enterrée. C’est sa défense, à contre-courant, qui le pousse à revoir certaines de ses positions. Munis constate que le parti trotskyste américain, le Socialist Workers Par-ty (SWP) trahit le défaitisme révolutionnaire, et donc l’internationalisme, au cours de la Seconde Guerre mondiale, au profit d’un autre objectif, qui est loin d’être révolutionnaire, celui de la transformation de la guerre impérialiste en... véritable guerre contre Hitler.

Le SWP tourne ainsi le dos à la devise de [Karl] Liebknecht : « L’ennemi principal est dans notre propre pays. »

Munis critique donc, de façon conséquente, la défense, de la part du parti américain et du mouvement trotskyste français, de la guérilla (en Yougoslavie et en France) et de la Résistance française contre les troupes d’occupation allemandes. Munis dénonce les maquis, les FFI, comme une coalition de forces capitalistes (bourgeoises, staliniennes et réformistes) antiprolétariennes. Leur objectif principal est d’éviter la véritable lutte de classes et par conséquent, vu la situation, l’armement immédiat du prolétariat, seul capable d’en finir avec la guerre impérialiste et le capitalisme.

L’auteur y définit aussi, magistralement, le véritable contenu du « défaitisme révolutionnaire » ; il y aborde le problème de la « défense de l’URSS », à un moment où il pense encore (pas pour très longtemps) qu’il s’agit d’un « État ouvrier dégénéré ». Munis reproche au SWP de ne penser qu’à la défense militaire de l’URSS, et de délaisser presque complètement la lutte contre la bureaucratie stalinienne. D’ailleurs, il pense qu’après 1940 il faudra surtout faire dépendre « la défense de l’URSS » de la lutte à mort contre le pouvoir stalinien. Il en arrive même à dire qu’il faut remettre en question « la défense de l’URSS » elle-même, puisque toute sa politique est contre-révolutionnaire. Et il défend cette idée avant même de considérer l’URSS (avec des guillemets autour de chaque initiale, parce qu’aucune, disait-il, ne correspondait à la réalité) comme un capitalisme d’État à l’avant-garde de la contre-révolution capitaliste mondiale.

Puis, en 1946, il écrit une brochure où il définit, pour la première fois, la Russie, qu’il désignera ainsi désormais, comme capitaliste d’État, produit du non-aboutissement de la révolution communiste en Russie et dans le monde, produit d’une des dégénérescences contre-révolutionnaires les plus funestes de l’histoire. Ses pages sur les rapports de production et la plus-value en terres prétendues « soviétiques » font désormais partie de la plus belle prose révolutionnaire, communiste, sur cette question. Elles occupent une place importante dans ce premier tome.

Elles sont un point de non-retour, un point qui, avec la question de l’internationalisme, marque une rupture catégorique avec le trotskysme aux mains des Cannon, Frank, Lambert, Pablo et compagnie. Les textes immédiatement postérieurs témoignent de toute l’activité, des réflexions, des efforts déployés pour convaincre les militants, les groupes, les sections de la Quatrième Internationale que celle-ci est en danger... en danger de mort pour la révolution. Le texte intitulé « Explication et appel aux militants, groupes et sections de la Quatrième Internationale », qu’il signe personnellement avec d’autres militants du Groupe communiste- internationaliste d’Espagne, synthétise tout ce travail de réflexion.

Son activité ne se limitant pas à la théorie, il se rend en Espagne, en 1951, pour former des militants révolutionnaires et développer une organisation révolutionnaire, désormais en dehors de la Quatrième Internationale avec laquelle il a rompu, et sur de nouvelles bases. Après la grève dite des tramways à Barcelone, où, avec ses camarades, il distribue un tract louant la spontanéité et la combativité ouvrières, il est détenu à Madrid. En plus des tracts, la police franquiste saisit plusieurs exemplaires de la brochure Quatre mensonges et deux vérités. La politique russe en Espagne, datée de 1949, et reproduite également dans ce volume. Dans ce texte, inédit en français, il analyse sans ambages, avec une force étonnante et un courage à toute épreuve, ce que représente le stalinisme. Il met tout particulièrement en garde le prolétariat espagnol contre la politique du Parti « communiste » des Santiago Carrillo et de la Pasionaria (de son vrai nom Dolores Ibarurri Gomez), en répondant point par point à l’un de leurs manifestes. Pour Munis, comme en 1936-1937, le parti stalinien espagnol fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que se développe un véritable mouvement révolutionnaire, communiste, en Espagne, et dans le monde. Pour lutter contre le franquisme, il faut lutter contre le Parti « communiste » espagnol, car c’est ce dernier, en première instance, qui, en écrasant la révolution sociale, a permis la victoire de Franco. Pour lutter contre le franquisme et le stalinisme, il faut lutter contre le capitalisme. Ce n’est qu’en luttant contre ce dernier que l’on peut en finir avec les deux premiers.

Enfin, ce premier tome publie en appendice une lettre de Natalia Sedova Trotsky au Comité exécutif de la Quatrième Internationale en 1951. Dans sa lettre de rupture avec l’organisation internationale trotskyste, elle défend essentiellement les mêmes positions que Munis sur la nature du système russe et de ses satellites. Cette lettre, la réponse de la Quatrième Internationale, la dernière déclaration politique écrite de Natalia Sedova au journal France-Soir et une introduction à ces textes furent publiées sous le titre Aujourd ’hui comme hier juste après la mort de la compagne de Trotsky.

Par sa défense de Natalia Sedova Trotsky, Munis renforçait sa critique du trotskysme « qui se rapprochait de Moscou dans la même mesure où Natalia s ’en éloignait... »

Comité d’édition des œuvres de G. Munis (Barcelone)