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João Bernardo – Les gestionnaires : développement historique et unification d’une classe (1984)
Article mis en ligne le 16 août 2023

[Ce texte partie du livre de João Bernardo, Capital, sindicatos, gestores, publié par les éditions Vertice en 1987.]

Selon ma conception, le capitalisme est, depuis son origine, un système qui articule trois classes : la classe bourgeoise et la classe des gestionnaires, toutes deux constituant les classes capitalistes, et la classe prolétarienne. Finalement, la bourgeoisie peut se réduire jusqu’au point de pratiquement disparaître, comme c’est le cas en URSS, par exemple, et deux classes subsistent alors. Les gestionnaires sont donc, à mon avis, l’élément de continuité sociale entre les capitalistes, puisque cette classe capitaliste se renforce avec le développement du mode de production.

Cependant, les partisans d’une théorie des gestionnaires ont aujourd’hui de profonds désaccords entre eux, sans parler de tous ceux – l’écrasante majorité – qui refusent toute validité à ce concept ; ils ont recours au sac magique et sans fond des « classes moyennes » ou de la « petite bourgeoisie » pour justifier des phénomènes qu’ils laissent, en réalité, inexpliqués. Peu d’auteurs admettent l’existence des gestionnaires et je tiens à souligner d’emblée un point important : ce texte évoque ici exclusivement les théories qui analysent les gestionnaires comme un groupe social dominant, et non celles qui prétendent étudier la bureaucratie comme un système formel d’organisation. Mais cette restriction ne simplifie rien, puisque ceux qui abordent le problème des gestionnaires en tant que groupe social sont loin d’être d’accord entre eux.

Ils ne partagent pas la même terminologie, puisque, selon les auteurs, ces gestionnaires sont assimilés à la bureaucratie, à la technocratie, à la technobureaucratie, aux capitalistes d’État, à la bourgeoisie d’État, etc. Ils sont encore moins d’accord sur les lignes générales selon lesquelles les gestionnaires devraient être analysés : forment-ils une classe sociale, ou une simple couche au sein d’une classe plus large ? Représentent-ils un élément originel du capitalisme, ou sont-ils apparus seulement dans le prolongement de ce système économique ? Constituent-ils un élément du développement du capitalisme, ou un élément d’un futur mode de production dont ils sont les gestionnaires ?

Et les désaccords sont d’autant plus grands qu’on n’observe aucune unanimité aujourd’hui sur l’objet empirique de l’analyse. De nombreux chercheurs refusent d’assimiler des régimes qu’ils considèrent aussi différents que, par exemple, les États-Unis et l’URSS, compromettant ainsi l’analyse d’un système gestionnaire unique ; et même si l’on se limite à l’un de ces régimes, les divergences sont profondes entre les théoriciens au sujet des éléments sociaux qu’il est possible d’inclure dans une analyse des gestionnaires.

Il ne me semble donc pas particulièrement intéressant de commencer cet article en exposant ma propre conception des gestionnaires – une de plus ! Je souhaite présenter aux lecteurs une délimitation de l’objet empirique d’analyse, plutôt qu’une élaboration théorique plus détaillée. Je commencerai par décrire le développement historique de cet objet d’analyse et j’espère que cette description clarifiera progressivement le sens dans lequel, dès les premières lignes, j’utilise le concept de gestionnaires. Ce n’est qu’à la fin de ce texte que je tenterai, après avoir circonscrit l’objet, de le définir de façon synthétique. Pour l’instant, occupons-nous du problème précédemment évoqué : lorsque nous parlons de gestionnaires, de bureaucratie, ou de bourgeoisie d’État, etc., à quel type de pratiques sociales faisons-nous référence ?