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LE MOUVEMENT DE CONTESTATION DE LA « RÉFORME » DES RETRAITES S’EST SOLDÉ PAR UN ÉCHEC. QUELQUES IDÉES POUR NE PAS CÉDER À LA RÉSIGNATION
Article mis en ligne le 23 mai 2023
  • ÉTAT DES LIEUX
  • Après les réformes précédentes des retraites (1993 ; 1995, repoussée par les grèves ; 2003 ; 2010 (1) et 2019, annulée pour cause de la pandémie de la Covid), l’exécutif a remis le couvert cette année. Son point central était le report de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite. C’est à dire travailler plus longtemps pour une retraite souvent moins élevée.
    Le but de l’exécutif n’était pas d’assurer l’équilibre financier des caisses de retraite et encore moins de préserver l’emploi des séniors mais tout simplement de montrer aux grands investisseurs sur les marchés financiers qu’il était capable d’imposer une « réforme » impopulaire. L’objectif du gouvernement est de réduire, puis effacer complètement, le financement budgétaire de la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse). Chaque année l’État débourse 13 milliards d’euros pour tenir la caisse à flot. Dans un contexte de remontée des taux d’intérêt et de crise bancaire latente, le coût de la dette publique grimpe alors même que des dépenses massives en armements et en soutien de l’activité industrielle hexagonales croissent sensiblement sur fond de tensions géopolitiques extrêmes.

Dans nos tracts (2) nous avons répété à l’envi que la retraite n’est autre que du salaire, c’est à dire une partie du prix global que le capital doit payer pour s’assurer l’emploi de la force de travail, dont le versement est repoussé à la sortie légale du marché du travail. C’est pourquoi les combats pour les retraites doivent être inscrits dans ceux pour les salaires.

Une approche qui n’a malheureusement pas été prise en main par l’important mouvement de contestation de la « réforme » qui s’est pourtant exprimé en France depuis la mi-janvier 2023. On peut distinguer deux périodes du mouvement :

  la première qui va du 19 janvier au 16 mars - date de l’adoption parlementaire de la réforme au moyen du déclenchement de l’article 49-3 de la Constitution qui permet de faire passer un texte de loi sans vote par l’Assemblée nationale - a été ponctuée par des manifestations hebdomadaires plutôt paisibles et des grèves insuffisamment suivies et concentrées sur une journée ;

  la seconde, après le 16 mars, quand les manifestations deviennent plus violentes, les grèves s’effilochent et, dans quelques secteurs, certains syndicalistes tentent de démarrer des grèves reconductibles, qui se soldent par des échecs en série.

Tout au long du mouvement de contestation, nous avons mis en évidence dans nos tracts les sérieuses limites que ce combat contenait. Nous n’y reviendrons pas ici en renvoyant à la lecture de la collection des tracts qui suit. Ainsi, le déclin progressif du mouvement de contestation a engendré auprès de secteurs de manifestants la tentation du recours aux « méthodes » musclées des Gilets jaunes. Nous allons analyser plus particulièrement ce tournant car il éloigne ultérieurement la perspective d’une reprise de l’initiative ouvrière sur des bases autonomes de l’État et de ses corps intermédiaires tant syndicaux que politiques.

DES CORTÈGES QUI SE SCINDENT (3)
Lorsque la police accepte de le laisser se former un cortège, on retrouve le black bloc en tête de manifestation. Depuis 2018, les flics ont démontré leur capacité à empêcher le black bloc de se former. Que ce soit par les fouilles préventives systématiques, le contrôle serré du parcours de manifestation (comme le 23 juin 2018 autour du bassin de l’Arsenal) ou bien les charges à répétition comme durant les premières journées d’action. Si le black bloc se forme, c’est que la préfecture décide de le laisser se former. Quelles que soient les raisons de ce choix, l’important est que le maintien de l’ordre contrôle militairement, en se basant sur ses propres raisons politiques, l’apparition (ou non) du black bloc en manifestation. Il ne s’agit pas ici de critiquer le black bloc en tant que tactique (d’autres l’ont déjà fait avec pertinence (4) ) ni de le critiquer en tant que milieu militant.

Simplement, on constate que l’État en fait aujourd’hui une utilisation politique.

Après le 16 mars et l’utilisation du 49.3 pour faire passer la loi, le gouvernement a redoublé de déclarations « clivantes ». Suite à quoi, la police a laissé le black bloc se former à Paris et ailleurs en connaissance de cause. Les images de poubelles en feu, des sirènes de pompier et police ont fait le tour du monde. Il s’agit pour l’État d’utiliser ces images pour, d’un côté, délégitimer le mouvement de contestation, et, de l’autre, nourrir les arguments pour une intensification dans l’emploi de la force « publique ». Nous ne critiquons pas ici les différentes raisons avancées par ceux qui participent au black bloc, ni non plus de s’opposer à la violence de rue de manière abstraite. En elle-même, la violence n’est ni bonne ni mauvaise. Tout ce qu’on peut dire, d’une manière générale, est que son emploi peut tout autant servir que desservir des objectifs politiques.

En revanche, nous analysons ce que fait le black bloc, en pratique. En dehors du vandalisme et la volonté de blesser des flics, la question qui se pose est l’utilité même du black bloc aujourd’hui. Ni la destruction du mobilier urbain (qui est largement assurée et dont le coût économique est donc socialisé), ni les blessures des flics (dont l’État fait une utilisation politique) ne servent à l’établissement d’un rapport de force favorable au mouvement de contestation de la « réforme » des retraites. Peu importent les justifications avancées par ses participants, le black bloc, tel qu’il apparaît au moins à Paris, ne partage pas les mêmes objectifs que le mouvement de lutte contre la « réforme » des retraites.

Au milieu, entre les syndicats en cortèges ordonnés et la nébuleuse du black bloc, reste le cortège de tête. Il s’agit d’un amalgame de tous ceux qui ne supportent pas (ou plus) de marcher à la remorque des centrales syndicales et qui n’agissent pas comme le black bloc. Là encore, on ne s’intéresse pas à ce qu’en pensent les participants, mais à ce qu’ils y font. Les gens arrivent dans le cortège individuellement, ou, au mieux, par petits groupes. On y communique peu. Les seuls instants collectifs sont les quelques slogans (très souvent les mêmes) repris par les petits groupes qui le forment. Très peu (voir aucun) de tracts n’y est distribué. Beaucoup des participants ne veulent pas les lire. Peu de discussion entre ceux qui s’y retrouvent sans s’y connaître. Lorsque la police veut passer, on s’écarte. Lorsqu’elle charge, on recule. C’est le cortège de la passivité. C’est le cortège des orphelins sans perspectives du syndicalisme, des travailleurs isolés dans leur boîte, des abstentionnistes de la politique. On n’y va pas en pensant lutter contre quoi que ce soit, mais en décidant que, puisqu’on a déjà perdu, on veut perdre la tête haute.

QUE FAIRE LA PROCHAINE FOIS ?
Si l’on veut éviter qu’un prochain mouvement ne se cantonne pas à la contestation citoyenne plus ou moins violente et ne connaisse les mêmes déboires et le même échec et si l’on ne veut pas maintenir la facilité de la fuite en avant, alors il faut se poser et réfléchir. Pour commencer, il faut arrêter d’attendre que les consignes tombent du ciel, ou bien que d’autres s’y mettent à notre place. Là où nous travaillons, nous étudions ou nous pointons, il y a tout à reconstruire pour affirmer notre autonomie face à l’État et à ses corps intermédiaires politiques et syndicaux.

D’abord, il faut se débarrasser de ses préconceptions, aussi bien sur la nature de notre activité, son utilité ou non pour la société. Si nous allons au boulot, c’est pour gagner notre vie. Si nous faisons des études, c’est pour pouvoir trouver un boulot. Les prolétaires dans leur ensemble n’ont pas réussi à relier la lutte pour les retraites à leur rapport salarial immédiat, ils sont restés sur l’idée que lutter contre la réforme se fait face à l’État et lutter pour les salaires et les conditions de travail se fait de manière indépendante face aux patrons. Patrons, exécutif et syndicats réunis ont, eux, soutenu cette idée.

Ensuite, il faut aussi se débarrasser des préconceptions concernant les autres travailleurs et leur rapport individuel au boulot. S’il est facile, le plus souvent, de comprendre que la lutte économique requiert une action collective, rares sont les situations ou cette lutte sort du lieu de travail pour investir le territoire productif et la société dans son ensemble. Et pourtant toute lutte économique peut déboucher sur une lutte politique.

Pour combattre les idées reçues, il y a un travail d’enquête ouvrière à faire. Ce travail d’enquête doit servir à :

•comprendre l’organisation du travail, la manière dont elle se décline dans un territoire productif donné ;

•apprécier la perception qu’ont les autres prolétaires, individuellement et collectivement, de leurs conditions de travail.
En somme, connaître son ennemi et se connaître soi-même. A partir de là, des axes d’organisation et d’intervention devraient apparaître, qui ne sont pas liés à des problématiques coupées de l’existence subjective des prolétaires (comme le mode de gestion des caisses de retraite) mais qui surgissent de l’activité immédiate, quotidienne des prolétaires.

Que l’objectif soit d’arracher une augmentation substantielle de salaire, de virer un chef détesté, ou beaucoup plus s’il est possible, on n’y coupera pas : il n’y a pas de raccourci en dehors de là où se trouve le nœud du problème, là où l’ouvrier collectif est plongé dans l’organisation capitaliste du travail. Seulement à cette condition, nous avons une chance de reprendre confiance dans la force collective. La capacité à se baser sur des liens de solidarité, au plus près du quotidien, est la condition nécessaire pour pouvoir espérer monter en puissance. Avant de rêver un affrontement contre le gouvernement, contre l’Etat et le capital il faut que nous soyons capables de nous battre pour nos salaires, nos conditions de travail et contre l’organisation du travail.

Cette manière d’affronter le patron et l’Etat est la seule qui nous évite l’impasse de la délégation de nos intérêts de classe aux professionnels de l’encadrement des luttes que sont les syndicats et les partis politiques institutionnels de gauche, de droite comme de leurs extrêmes respectives. Le mouvement contre la « réforme » des retraites n’a jamais rompu avec ces représentants de l’État en se cantonnant à contester sans véritablement modifier en sa faveur les rapports de force.
La dérive « politique » du mouvement, accentuée par le déclenchement gouvernemental de l’article 49-3 de la Constitution, a finalement servi à occulter la question centrale des salaires qui englobe celle des retraites. Le mouvement a suivi l’échéancier institutionnel sans jamais s’en détacher pour inscrire une trajectoire autonome. Les grèves clairsemées qui ont accompagné le mouvement de contestation n’ont guère montré une autre voie que celle empruntée par les syndicats d’État et les partis parlementaires opposés à la « réforme ». Répété à l’infini, le mot d’ordre de la grève générale reconductible est devenu une véritable obsession sans fondement dans la réalité du terrain répandu par les professionnels de l’agitation creuse à l’adresse des prolétaires les plus combatifs.

La « magie » de ce mot d’ordre a vite cessé de fonctionner auprès des travailleurs en colère face à la dureté de la réponse de l’exécutif, dûment soutenu par le patronat dont il est l’expression. Mais le mal était fait. L’illusion de créer un rapport de force avantageux à coups de sondages « favorables » au mouvement, de longues marches plus ou moins pacifiques dans les rues des villes, de lobbying intense auprès des députés et des sénateurs et même à coups de grèves dans quelques secteurs.

La grève elle-même perd de son efficacité quand elle ne permet pas de mettre la production à genoux, quand elle ne voit pas la participation active de la grande majorité des travailleurs impliqués et, surtout, quand elle n’est pas menée sur la base d’objectifs qui reflètent uniquement les intérêts de classe. Or, si la grève s’était imposée davantage, elle aurait tout de même été victime de deux limites essentielles : d’une part la déconnexion de la revendication du retrait de la « réforme » des retraites avec celles sur les salaires, les indemnités de chômage et les pensions des retraités, d’autre part la défense d’un système profondément injuste des retraites qui partage la charge entre patrons et salariés, confié aux syndicats et aux organisations patronales. Ces deux limites jamais dépassées ont défini le cadre dans lequel le mouvement de contestation s’est enfermé, minimisant par là toute initiative de reprise indépendante de la lutte des classes.

C’est la raison aussi pour laquelle, en dépit de la combativité exprimée par les manifestations, aucun secteur du mouvement de contestation ne s’est vraiment singularisé de la gestion « institutionnelle » de la part des syndicats d’Etat. La gauche d’Etat a, pour sa part, détourné davantage le regard des prolétaires de leurs territoires productifs, des usines, des bureaux, des centres de Pôle emploi, des antennes des caisses de retraite et des quartiers populaires pour le concentrer sur la mascarade parlementaire et les joutes verbales avec les représentants de l’exécutif. Pendant ce temps, l’exploitation continuait de plus belle, l’économie tournait à fond malgré les poubelles entassées ici ou là, les piquets des raffineries, les grèves minoritaires dans les services publics et les dites actions « Robin des Bois ».

Désormais cette gauche du capital n’a plus rien à proposer que les concerts de casseroles au passage des représentants de la majorité présidentielle. C’est dire la misère des perspectives qu’elle présente aux ouvriers, aux chômeurs et aux retraités.
Il faut se rendre enfin à l’évidence : personne dans le cirque syndical et politique institutionnel n’agit en faveur des exploités et des opprimés, donc personne n’a le droit d’en représenter les intérêts collectifs. Seuls les directs intéressés, les prolétaires eux-mêmes, ont la tâche de le faire. Il en va de leur vie, de leurs conditions de travail, de leur capacité de se rassembler contre les patrons et leur Etat. L’affirmation de l’autonomie ouvrière passe par ce chemin certes tortueux. Nous ne vendons pas de certitudes bon marché, ce serait trahir notre propre classe. Nous ne proposons pas de nous suivre sur cette voie, de nous déléguer le combat de classe. C’est à nous tous de la prendre ensemble. Nous ne vendons pas des mythes comme celui de la grève générale reconductible car nous savons très bien que pour y parvenir la route est longue, très longue et ne pourra pas être parcourue si l’on continue à faire confiance aux ennemis qui se déguisent en « représentants du peuple ». La reprise de l’initiative ouvrière reste cependant possible à la condition que les opprimés et les exploités comprennent qu’elle n’a pas d’alternative.

Mouvement Communiste/Kolektivnë proti Kapitàlu, Lettre numéro 51, mai 2023

1. Voir mouvement contre la réforme des retraites : Tirer un bilan lucide https://mouvement- communiste.com/documents/MC/Letters/LTMC1134.pdf
2. Voir les sept tracts sur notre site : de https://mouvement-
communiste.corn/ documents / MC/Leaflets/Tract%20Re%CC%81forme%20Retraites%20230130FR0/o20VF.pdf à
https://mouvement-communiste.com/documents/MC/Leaflets/Tract%20retraites%20230314%20VG.pdf
3. Ceci est un descriptif des manifestations parisiennes ; la situation pouvant être différente dans les villes de province.
4. Voir : « Appel aux convaincu(e)s : une critique anti-autoritaire du Black Bloc », https://paris-luttes.info/appel-aux-convaincu-e-s- une-10146