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Gilets jaunes et antisémitisme : un non-sujet pour la gauche et l’extrême gauche
Article mis en ligne le 22 février 2019

(Extrait de l’article « Le non-sujet de l’antisémitisme à gauche – Pour une critique radicale de l’antisémitisme paru le mardi 19 février 2019, par BRENNI Camilla, KRICKEBERG Memphis, NICOLAS-TEBOUL Léa, ZOUBIR Zacharias sur le site http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article47883. Apparemment ce texte doit paraître dans la revue Vacarmes. Le reste de l’article admet enfin ce que la revue "Ni patrie ni frontières" se tue à écrire depuis 17 ans, dans un climat de haine et de calomnies incessantes à mon égard. Pour une fois des universitaires de gauche, et de surcroit de la mouvance décoloniale (qui n’est pas vraiment ma tasse de thé), prennent le taureau par les cornes. Et même Paris luttes info se sent obligé de reproduire cet article. Cela change des discours antisionistes-antisémites et de la négation systématique de l’antisémitisme DE gauche qui dominent la gauchistosphère et la libertaro sphère. Espérons que ce n’est qu’un début ! Y.C. 22/2/2019 )

« Qu’en est-il de l’antisémitisme dans le mouvement des gilets jaunes qui a fait irruption en France à la fin du mois de novembre ? Considérer le problème, c’est d’abord acter une fois pour toutes que, si antisémitisme il y a, il a un aspect diffus, et n’est ni nouveau ni ethnique. Il peut autant concerner le « vrai Français » paupérisé que « l’arabo-musulman ». Serait-ce un terrain susceptible de mettre tout le monde d’accord ?

Avec les gilets jaunes, la question sociale, celle de la dégradation généralisée des conditions matérielles semble être entrée par la petite porte de la question fiscale et d’une hostilité à un président des riches qui ne respecte plus aucune « économie morale » [44]. Dans la socialité des ronds-points et la dynamique émeutière plus métropolitaine, une fraction du prolétariat et de la classe moyenne prolétarisée frappée par la crise s’est manifestée indépendamment des cadres de la politique classique. Les gilets jaunes sont d’abord le symptôme de l’ampleur de la crise sociale et se donnent comme une révolte émancipée de l’encadrement des organisations issues du mouvement ouvrier. Celle-ci n’est d’aucune manière réductible à ses composantes les plus fascistoïdes.

Il est néanmoins établi que des thèses antisémites sont diffusées chez les gilets jaunes à une échelle relativement large, d’abord sur Internet, mais aussi dans les énoncés et les slogans que le mouvement s’est donnés [45]. Cet antisémitisme a des accents complotistes contre la « toute-puissance » de Rothschild, responsable de la « ruine de la France », et mêle l’association de la puissance politique et médiatique à Sion, la focalisation sur BFMTV et son patron Drahi, à des références récurrentes à la « Quenelle » soralo-dieudonnienne — le « Macron, une quenelle dans ton cul » n’est pas un slogan isolé –- voire des propos clairement négationnistes.

L’opinion libérale saute à pieds joint sur ces manifestations d’antisémitisme bien réelles. Contre le mouvement des gilets jaunes, la bourgeoisie française fait preuve de tout le mépris de classe qu’elle a en réserve. Elle se dédouane aussi des parts les plus sales de son histoire en les attribuant aux classes dangereuses.

Quant à la gauche radicale, lorsqu’elle n’a pas opté pour l’hostilité à une dynamique qui lui échappe largement, elle ne déroge le plus souvent pas à ses habitudes et ne prend aucunement la mesure du problème. Elle minimise cet antisémitisme ou ne parle que d’instrumentalisation dans une optique pseudo-tactique (ne pas nourrir l’offensive idéologique contre le mouvement). Qu’une vieille dame juive agressée à la fin de l’Acte VI par des gilets jaunes négationnistes ne porte pas plainte, doit-on en déduire que cette agression, qui n’est malheureusement pas isolée, n’est qu’ivrognerie [46] ? Dans ce cas, on s’interdirait de penser l’antisémitisme comme une violence raciste et ce qu’il implique, y compris pour les juives et juifs impliqués dans la dynamique des gilets jaunes. On s’empêcherait aussi de penser l’antisémitisme comme une véritable limite du mouvement.

D’une part, ces thèmes antisémites accompagnent souvent le racisme anti-migrants et l’exaltation de la communauté nationale. L’aspect « post-idéologique » des gilets jaunes et la crise ultime de la gauche dont il est le signe laissent place libre à des figures comme Étienne Chouard ou le journaliste Vincent Lapierre qui mêlent démocratisme radical, révolution nationale et désignation d’un Autre responsable des « malheurs de la France ». Ils sont au cœur du possible devenir Cinque-stelle des gilets jaunes. D’autre part, l’expansion des tropes antisémites constitue une forme de remède aux difficultés tactiques internes. Que reculent les blocages, barricades sur les Champs-Élysées ou les pillages de magasins, on se concentrera sur les Rothschild – faible substitut à l’avancée tactique de la révolte. Si l’antisémitisme n’est jamais complètement fonctionnel, et s’il conserve un fond archaïque et pulsionnel, on ne peut le minimiser comme ingrédient essentiel de la mayonnaise nationale-populiste et comme courroie de transmission entre une opposition à « ceux d’en haut » et un scénario de restructuration populiste. »

Notes

[44] Sur la reprise de cette notion de Thompson, voir Samuel Hayat, « Les gilets jaunes, l’économie morale et le pouvoir », samuelhayat.wordpress.com, :Retour ligne automatique
https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/05/les-gilets-jaunes-leconomie-morale-et-le-pouvoir/Retour ligne automatique
Disponible sur ESSF (article 47262), Passé présent : Les Gilets Jaunes, l’économie morale et le pouvoir :Retour ligne automatique
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article47262

[45] La question de l’antisémitisme a été appréhendée uniquement sous l’angle du fait divers jusqu’à présent. De nombreux témoignages de militants participant au mouvement font cependant état d’une diffusion très importantes de tropes antisémites dans les manifestations et groupes Facebook et Whatsapp. Dans les groupes de Gilets Jaunes d’Île-de- France, la question de l’antisémitisme et la lutte contre les soraliens constituent des enjeux politiques majeurs au sein du mouvement. On peut lire à ce sujet « Ne laissons personne récupérer notre révolte », un tract de Gilets Jaunes contre l’extrême droite et l’antisémitisme relayé sur le compte Facebook de la Plateforme d’Enquête Militantes le 31 décembre 2018 :Retour ligne automatique
https://paris-luttes.info/publication-du-tract-anti-raciste-11417Retour ligne automatique
Voir aussi Lucie Soullier, « Les “gilets jaunes”, nouveau terrain d’influence de la nébuleuse complotiste et antisémite », lemonde.fr, 19/01/2019 :Retour ligne automatique
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/19/les-gilets-jaunes-nouveau-terrain-de-jeu-de-la-nebuleuse-complotiste-et-antisemite-francaise_5411427_3224.html

[46] Claude Askolovitch, « La défense des juifs, ultime morale des pouvoirs que leurs peuples désavouent », slate.fr, 26/12/2018 :Retour ligne automatique
http://www.slate.fr/story/171594/gilets-jaunes-antisemitisme-pretexte-pouvoir-vigilantsRetour ligne automatique
Disponible sur ESSF (article 47711), Voir la chemise brune sous le gilet jaune ? La défense des juifs, ultime morale des pouvoirs que leurs peuples désavouent :Retour ligne automatique
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article47711