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Du « CRS = SS » de Mai 68 au "CRS avec nous" ou « La police avec nous ! » des Gilets Jaunes : une évolution inquiétante
Article mis en ligne le 12 janvier 2019

Soyons clairs. « CRS=SS » était un slogan démagogique ; la France de Mai 1968 ne correspondait pas du tout à la situation créée par l’Occupation allemande et le régime de Vichy, Pétain, sa Milice, ses lois racistes et antisémites, et sa dictature exercée sur la classe ouvrière et la paysannerie pauvre des années 40. Mais ce slogan erroné avait au moins un avantage : il exprimait la conscience claire que les flics étaient des ennemis et que, s’ils voulaient rejoindre le mouvement social, ils devaient non seulement enlever leur uniforme mais surtout abandonner leur sale « métier ».

Aujourd’hui les slogans et les comportements des gilets jaunes vis-à-vis des bien nommées « forces de l’ordre » sont à l’opposé de ceux des grévistes et de tous ceux qui participèrent au mouvement social et à la « grève générale » de Mai 68.

Est-ce une bonne chose ? A mon humble avis, non !

Cela vient-il d’une meilleure analyse du régime politique qui nous fait face ? Non plus.

En effet, la comparaison du régime gaulliste avec le nazisme a été remplacée par la comparaison du gouvernement Macron-Philippe soit avec la caricature d’une royauté finissante (en oubliant que la Révolution française détrôna la noblesse pour la remplacer par la... bourgeoisie – mais nous reviendrons dans un autre article sur cette comparaison), soit par une vision d’extrême droite et complotiste de l’Etat : aux mains des banques (et surtout d’une seule, la même que celle dénoncée par les antisémites depuis presque deux siècles), aux mains du FMI, aux mains de « Bruxelles », de la Finance, de « l’Oligarchie », etc.

Bref, les patrons (petits, moyens et grands) sont épargnés par la colère des Gilets Jaunes qui prétendent lutter seulement contre « L’Etat ».

Mais il y a plus grave... si l’on peut dire : les Gilets jaunes exonèrent les policiers de toute responsabilité de la violence régnant dans les manifestations. Ils sont fiers de protéger les flics ou les gendarmes contre la violence de certains « casseurs » ou « excités » qui veulent parfois les lyncher ou les laisser pour morts. (Leur respect de l’intégrité corporelle des flics en tant qu’êtres humains est respectable mais leur raisonnement politique ne l’est pas.) Ils n’arrêtent pas de raconter qu’ils ont de bons rapports avec la police, que les flics ou les gendarment les soutiennent, leur expriment discrètement leur sympathie, etc.

Les Gilets jaunes croient, ou veulent croire, que les gendarmes et les CRS (unités spécialisées dans la répression) existent pour maintenir di « lien social » (dixit Jean-François Bernaba, « messager » gilet jaune de l’Indre très présent sur les plateaux de télévision). Ils pensent que les flics sont à plaindre parce qu’on ne leur paie pas leurs heures supplémentaires. Que leur violence individuelle et collective proviendrait uniquement des ordres donnés par un méchant ministre de l’Intérieur ou un président de la République arrogant et sourd aux revendications du « peuple ». Ou alors de quelques brebis galeuses dans des forces de répression globalement saines.

Bref, CRS et gendarmes seraient de doux agneaux, de gentilles assistantes sociales ou de gentils travailleurs sociaux détournés par l’horrible Macron de leur tâche utile à tous et toutes. Ils n’appartiendraient pas à « L’Etat » que les Gilets Jaunes dénoncent en permanence mais dont ils veulent ignorer qu’il dispose des 78 000 « gardiens de la paix » de la DSCP ; de 13 000 CRS ; de 17 000 gendarmes mobiles et de 188 000 soldats répartis entre la marine, l’aviation et l’armée de terre. Soit environ 300 000 personnes armées pour réprimer la population pas pour distribuer des roses ou des bonbons aux manifestants.

Dans la mesure où ce mouvement, sur les réseaux sociaux et dans la rue, est animé par des individus qui se prétendent « apolitiques » (c’est-à-dire, qui ont des sympathies de droite et d’extrême droite, royalistes ; des idées nationalistes, « souverainistes » donc xénophobes), par des partisans des Le Pen, de Dupont-Aignan, Mélenchon et Ruffin, il n’y a rien d’étonnant à ce que ces gens-là aiment profondément la police et l’ordre bourgeois. Leur modèle politique est une société fondée sur la répression des exploités, quelle que soit la démagogie sociale qu’ils propagent pour gagner des électeurs ou des militants.

Sous prétexte qu’une partie des gilets jaunes sont des exploités comme nous, devons-nous nous aussi communier tous et toutes dans ce grand amour de la police et de l’uniforme bleu marine ou kaki, défiler derrière des drapeaux bleu-blanc-rouge et nous émerveiller que « le peuple » chante La Marseillaise car cela nous rappellerait... 1789 ?

Non !

Le populisme franchouillard des Gilets jaunes est (paradoxalement mais seulement en apparence) en parfaite harmonie avec les discours altermondialistes, « indignés », citoyennistes et écologistes populaires à gauche depuis 20 ans. Ces « nouveaux mouvements sociaux » dénient toute centralité au rôle de la classe ouvrière pour se prosterner devant les vertus des « gens » et des « peuples. De même que les individus qui se prétendent « apolitiques » défendent des idées de droite, ceux qui nient l’existence des classes sociales et de la lutte de classe soutiennent les mouvements où se mélangent, dans la plus grande confusion, les revendications des patrons, des cadres, des artisans, des commerçants, des ouvriers et des employés. Confusion qui sert les intérêts des patrons et aspirants patrons.

Et c’est là que l’extrême droite, qui mène la bataille idéologique sur les réseaux sociaux et Internet depuis des années, peut reprendre à son compte des slogans et des idées de cette gauche invertébrée pour leur donner le sens réactionnaire qui s’exprime dans le mouvement des Gilets jaunes, mouvement ardemment soutenu par toute l’extrême droite européenne, du Mouvement des Cinq Etoiles en Italie, à l’English Defence League en Angleterre, des nationalistes flamands et néerlandais aux « Démocrates suédois ». Je n’ai pas le souvenir que, en Mai 68, Cohn Bendit, Geismar ou Krivine aient été acclamés par toute l’extrême droite européenne...

Ne croyez pas qu’il y ait la moindre contradiction entre la participation musclée de l’extrême droite française à des simulacres de barricades ou à des affrontements sérieux avec les flics. Ces brutes peuvent parfaitement admirer la Police ou l’Armée et en même temps aimer se fritter avec eux dans la rue, pour s’entraîner, se prouver leur virilité, monter des provocations politiques ou même préparer un coup d’Etat s’appuyant sur les éléments fascistes de l’armée et de la police. Extrême droite et flics, milices patronales et mercenaires, militaires et ex-militaires, policiers et ex-policiers, bandes du crime organisé, ce petit monde grouille de gens qui aimeraient devenir de petits ou de grands chefs, et ont pour cela absolument besoin de faire leurs preuves sur le terrain... quitte à blesser quelques « collègues ».

A la différence de certains gauchistes radicaux qui aiment casser du flic pour le fun, mais n’ont aucun projet politique, ces cogneurs professionnels et « apolitiques » ont un but clair et précis : s’appuyer sur le mouvement des gilets jaunes, qu’ils ont eux-mêmes suscité sur les réseaux sociaux dès le départ, pour diffuser encore plus largement leurs idées réactionnaires, fascisantes ou fascistes.

Y.C., Ni patrie ni frontières, 12 janvier 2019