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Devons-nous baisser la garde face aux religions ?
Article mis en ligne le 13 juillet 2017

Dans une « Note inédite sur l’agnosticisme » que l’on trouve sur le site italien http://www.socialismolibertario.it Camillo Berneri écrit : « Un athée n’est pas obligatoirement un fanatique, mais il le devient chaque fois qu’il veut démontrer, avec de prétendues preuves, l’inexistence d’une entité dont l’existence ou la non-existence n’est soutenable que dans le domaine de la pure métaphysique ».
Cette citation éclaire sans doute un peu plus la position défendue par Berneri dans le texte reproduit ci-dessus, du moins sur le plan philosophique.

L’auteur défend quatre principes importants selon lui :
– il est préférable de bien connaître la religion avant de la dénoncer (nous ajouterions : aujourd’hui, il est préférable de bien connaître la religion – catholique ou musulmane – avant de vanter les vertus d’une « théologie de la libération » ou un « féminisme islamique » imaginaires…) ;
– il faut critiquer la religion en respectant les individus qui croient en Dieu ;
– on doit établir une différence entre les institutions religieuses réactionnaires qui exercent un pouvoir politique ou financier et les croyants voire les prêtres qui s’engagent dans les luttes sociales du côté des travailleurs ;
– il faut respecter la liberté des cultes et la liberté d’expression des croyants.
Et pour illustrer sa position il cite un certain nombre d’actes criminels ou de propos imbéciles de certains anticléricaux – anarchistes, ou pas.
Dans l’ensemble, on ne peut qu’être d’accord avec la prudence que prône Camillo Berneri en matière de critique antireligieuse et d’anticléricalisme.
Mais si l’on prend quelques exemples actuels, on voit que la question est plus complexe.

Il est évident, et on peut le constater tous les jours en France depuis qu’ont commencé les débats sur le port du hijab, qu’être partisan de la laïcité, ou être anticlérical n’a pas grande signification en soi. Un certain nombre de gens très virulents contre le port du « voile islamique » à l’Ecole sont en fait des individus d’extrême droite, des racistes qui s’ignorent, ou simplement des individus intolérants – ce que Berneri appelle des « non libéraux » ou des « antilibéraux », ce qui signifie pour lui des adversaires de la liberté – et non des adversaires du libéralisme économique !
De même, parmi les partisans de la laïcité en France, on sait qu’il existe des alliances douteuses entre des anarchistes, des trotskystes et des francs-maçons au sein d’associations qui prétendent défendre la « Libre-pensée » – tout comme en Italie au début du XXe siècle.

Mais toutes ces mauvaises raisons d’être antireligieux ou anticlérical annulent-elles les excellentes raisons de défendre une philosophie matérialiste athée ?
Certes l’anticléricalisme peut être une arme de la bourgeoisie pour faire diversion par rapport aux questions sociales. Mais le cléricalisme et l’obscurantisme religieux aussi. Certes il existe des croyants, voire des prêtres qui prennent des positions politiques justes, voire participent à la lutte de classe du bon côté, mais ce n’est jamais le cas des autorités religieuses qui font toujours corps avec l’ordre établi.
Berneri écrit qu’il faut « avoir foi dans la liberté ». Il a raison. C’est pourquoi les révolutionnaires doivent défendre la liberté d’expression et la liberté de culte même de ceux qui considèrent que les athées pourriront tous en Enfer et qui ne défendent jamais les révolutionnaires quand ces derniers sont victimes de la répression étatique.

Mais on pourrait lui rétorquer que défendre la « liberté » dans l’absolu, pour ne pas faire le jeu du fascisme (décidément l’argument aura une belle postérité !) ou, plus simplement, pour ne pas avoir un comportement intolérant qui renforcera l’obscurantisme religieux, une telle attitude peut aussi amener un « libertaire » à se trouver en très mauvaise compagnie. Et c’est malheureusement inévitable.
On a pu voir, lors du procès de l’UOIF et de la Mosquée de Paris contre Charlie Hebdo, que les défenseurs de la liberté d’expression ont reçu en dernière minute des soutiens fort encombrants. Auraient-ils dû se laisser museler ou changer de position parce que Sarkozy ou Bayrou manifestaient leur soutien ? Besancenot aurait-il dû renoncer à se présenter aux élections présidentielles de 2007 parce que le président de l’UMP a démagogiquement fait savoir qu’il était prêt à l’aider à obtenir ses 500 signatures ?

Ou, situation plus complexe et délicate encore, devons-nous éviter toute critique des implications politiques et sociales réactionnaires de la religion musulmane, sous prétexte que Le Pen et de Villiers, ou les grands médias, font de la « critique » de l’islam un fonds de commerce juteux ?

Dernier point contestable dans l’argumentation de Berneri, et que l’on retrouve chez toutes sortes de courants radicaux. Les discours mous ou « agnostiques » des révolutionnaires, anarchistes ou trotskystes, vis-à-vis de la religion, reposent toujours sur l’illusion que l’éducation (publique et militante), d’abord la révolution ensuite, rendront les Eglises et les croyances religieuses magiquement obsolètes, comme en témoignent les dernières lignes lyriques de l’article reproduit ci-dessus.
Malheureusement, la révolution mondiale n’a pas encore eu lieu. Donc il nous est difficile de savoir ce qui se produira après.

Quant au pouvoir miraculeux de l’instruction publique et de l’activité culturelle et politique du mouvement ouvrier sur la conscience des masses, on n’a malheureusement pas constaté, du moins dans les zones les plus développées et riches de l’humanité où une fraction non négligeable de la population bénéficie de la possibilité d’étudier jusqu’à au moins 18 ans, un rapport de cause à effet entre hausse du niveau de l’instruction, baisse radicale du niveau de fréquentation des Eglises et surtout baisse des pratiques superstitieuses de tous ordres. Si la France est le pays d’Europe (et même du monde industriel développé) qui compte le plus d’athées au kilomètre carré, le moins qu’on puisse dire est que l’influence sociale, politique et intellectuelle des Eglises et des sectes continue à y prospérer.

Une raison de plus pour que les athées matérialistes ne baissent pas la garde…

Y.C.