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Ni patrie ni frontières
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Le vote FN. Pour une sociologie localisée des électorats frontistes, de Christèle Marchand-Lagier, DeBoek, 2017

Ce livre est écrit par une universitaire qui tient à démontrer la scientificité de ses méthodes et hypothèses. Elle veut absolument démontrer qu’elle n’a pas de préjugés contre les électeurs et électrices qu’elle a rencontrés voire suivis pendant plusieurs années. Elle tient à se démarquer d’idées courantes du type « les électeurs du FN sont tous racistes » ou du slogan « F comme fasciste N comme nazi ». Curieusement, la plupart des conclusions de cette étude menée sur une quinzaine d’années, à partir de deux départements (les Bouches-du-Rhône mais surtout le Var) sont très proches de celles qu’en tire le journaliste Antoine Baltier dans Comment devient-on électeur du Front national ? Ces conclusions communes (du moins de mon point de vue pas celui de l’auteure dont la prudence et les circonvolutions s’apparentent parfois à la naïveté) peuvent se ramener à 6 points :

Article mis en ligne le 10 juillet 2017

1. Les électeurs du FN (comme d’ailleurs les électeurs de tous les partis) ne connaissent pas le programme des formations pour lesquelles ils votent. Cette méconnaissance les conduit à voter pour un parti dont ils ne partagent pas les positions sur des sujets très divers (de l’avortement à la peine de mort en passant par la sortie de l’euro), voire à voter tour à tour et sans grande cohérence (1) pour la gauche, la droite et l’extrême droite .

2. Les électeurs du FN sont majoritairement issus et membres eux-mêmes de la petite bourgeoisie, qu’il s’agisse de la petite bourgeoisie traditionnelle (artisans, commerçants et petits entrepreneurs) ou de la « nouvelle petite bourgeoisie » ou de la « petite bourgeoisie salariée » (cadres, ingénieurs, agents de maîtrise, enseignants, etc.). Ils ne sont ni issus de la classe ouvrière ni des catégories les plus pauvres de la population, comme en témoignent les statistiques dans les bureaux des ZUS du Var. Cela contredit radicalement la thèse avancée par le FN, par les médias et certains spécialistes des sciences sociales selon laquelle le FN serait devenu le « premier parti ouvrier » de France.

3. L’hostilité à l’immigration et/ou à l’islam est une constante chez les électeurs et électrices du FN. Cette hostilité est de type raciste même si l’auteure se livre à beaucoup d’acrobaties pour expliquer que ce racisme serait en fait issu de stratégies très diverses qui n’auraient rien à voir avec la haine et l’hostilité contre les étrangers : de la femme qui vote FN pour séduire son futur mari à celle qui vote FN pour s’affirmer face à son mari ; de celui qui vote FN pour se trouver des copains à la permanence locale, à celui qui espère en tirer un boulot ou un piston pour un logement. Mais l’auteure peine à nous démontrer en quoi les propos violents contre les « Arabes », les « gris », les « immigrés-fellaghas » (traduire les ennemis de la France) ne seraient pas des propos racistes. Visiblement elle ne connaît pas, ou n’a pas voulu utiliser, le livre de Michèle Lamont qui explique parfaitement tous les bénéfices symboliques que procure le racisme aux exploités . Si elle avait utilisé ces hypothèses, cela lui aurait permis de ne pas se perdre dans une multitude d’explications biographiques qui contribuent de fait à gommer la centralité du racisme chez ses interviewés.

4. Les électeurs du FN sont insérés dans des « réseaux de sociabilité », en clair leurs amis, leurs voisins, leurs parents proches ou éloignés votent ou militent pour le FN. Dans le Var, département étudié par l’auteure, c’est encore plus évident dans la mesure où le travail d’implantation de l’extrême droite date des années 80 (Orange, Vitrolles, Toulon). Dans cette région, il existe aussi une forte proportion de « pieds noirs » nostalgiques de l’Algérie française, ou en tout cas convaincus qu’ils (eux et désormais leurs descendants) ont été à la fois victimes du FLN, de l’indifférence des Français métropolitains et du général de Gaulle. C’est aussi dans le Var qu’on trouve une forte proportion de main-d’œuvre saisonnière maghrébine qui se retrouve sous les ordres de contremaîtres et de propriétaires franco-français qui évidemment justifient leur position sociale par des opinions racistes et discriminatoires.

5. Une partie significative des personnes interviewées sont passées par l’enseignement privé catholique. L’auteur souligne que le plus important dans ce parcours n’est pas tellement leurs convictions religieuses (la majorité sont athées ou non pratiquants même s’ils considèrent que la France est un pays chrétien) mais le fait que l’enseignement privé est celui qui pratique le moins la « mixité sociale » dans le Var. En clair, les élèves de l’enseignement catholique ne fréquentent pas les jeunes Franco-Maghrébins ou Maghrébins, voire ont été envoyés dans le privé pour justement éviter de les côtoyer quotidiennement. Cette ségrégation scolaire se reproduit dans l’enseignement supérieur comme à Aix, où les élèves n’occupent pas les mêmes places dans les amphis en fonction de leur origine ethnico-nationale. Conséquence : les enseignants ont toutes les peines du monde à faire travailler en binôme ou dans les mêmes groupes de travail les élèves d’origine dite européenne avec ceux d’origine maghrébine ; et, en fin de compte, en licence et en master la proportion d’élèves d’origine maghrébine diminue radicalement. Ce type de situation ne fait que renforcer les préjugés des jeunes étudiants franco-français et constitue, selon l’auteure, l’une des causes de la montée du vote pour le Front national chez les jeunes diplômés. Mais là encore, ces mécanismes d’exclusion scolaire n’induisent pas automatiquement un vote FN. Ce qu’elle tient absolument à appeler des « préférences » FN (et non des choix, concept considéré comme trop figé et idéologique) sont aussi des préférences racistes et antimusulmanes.

6. Seule une infime minorité des personnes interviewées viennent de la gauche, tant au niveau des habitudes de vote, que des choix électoraux de leur milieu familial. Ce qui contredit la thèse selon laquelle les électeurs du FN seraient d’ex-électeurs de gauche, thèse véhiculée dans les médias. L’auteure a raison de souligner, à la suite d’autres spécialistes des sciences sociales, que cette accusation souvent portée contre les ex-militants de gauche (donc aussi les ouvriers, suivant l’équation partis de gauche = partis ouvriers) de constituer les principaux responsables de la montée du FN est une explication élitiste portée par des journalistes ou des politistes qui identifient classe ouvrière avec l’ignorance et la bêtise.

Y.C., Ni patrie ni frontières, 18/06/2017

1. Cette conclusion s’applique évidemment à l’électorat dit « d’extrême gauche » qui est aussi volatil que les autres (il suffit de rapprocher les 2 millions de voix obtenus par les trois sœurs du trotskisme (LO, LCR, PT), aux présidentielles de 2002 des résultats obtenus aux présidentielles de 2017 : 632 000. En 15 ans l’extrême gauche est passée de 4,87% des inscrits à 1,33% des inscrits, divisant donc son score par trois. Incidemment cela remet en question, à mon avis, les raisons invoquées par l’extrême gauche pour participer aux scrutins. Quel sens cela peut-il avoir de se présenter pour « faire connaître notre programme et nos idées » alors que les électeurs ne s’y intéressent pas et même s’en moquent royalement ? Seule une partie des membres des catégories les plus privilégiées socialement et ayant le plus haut niveau d’instruction lisent les programmes (ou au moins les professions de foi) et sont capables de répondre à des questions détaillées sur leur contenu. Quant aux catégories dites populaires (notamment les ouvriers et les employés), elles votent de moins en moins (50 % d’abstention dans ce segment de l’électorat) et n’accordent en majorité leurs suffrages ni à la gauche ni à l’extrême gauche, ce qui rend les campagnes de LO ou du NPA d’autant plus ridicules... si l’on tient compte de leurs motivations avouées. S’il s’agit de toucher des subventions et des salaires de l’Etat (en cas de victoires électorales), alors la motivation est plus claire mais relève de l’opportunisme le plus grossier.