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Nelly Roussel Discours à la séance de clôture du Congrès international de la Libre-pensée (1905)
Article mis en ligne le 18 juin 2017

Citoyens, Citoyennes,
Nous voici donc arrivés au dernier chapitre du livre magnifique que nous venons d’écrire ensemble, dans toutes les langues de l’Europe civilisée, durant ces derniers jours inoubliables. Nous y avons tous mis le meilleur de nous-mêmes, de notre cœur, de notre cerveau. Nous sommes fiers de l’œuvre commune. Si elle n’est point définitive…( rien ne saurait l’être en un monde où tout évolue et se transforme sans cesse)…elle nous apparaît du moins comme un résumé synthétique de toutes les aspirations humaines, à notre époque de transition, douteuse et incertaine peut-être, mais grosse d’espoirs infinis et de lumineux réveils.
Nous n’avons pas voulu – et c’est là notre honneur – enfermer la Libre-pensée dans le domaine étroit de l’anticléricalisme, ni même de l’irréligion. Nous avons voulu que nos assemblées fussent autre chose qu’une protestation, légitime sans doute, mais très insuffisante, contre les exploiteurs sans vergogne qui vivent de la crédulité et de l’ignorance des foules.

Nous avons abordé toutes les faces du grand et passionnant problème.
Nous y avons parlé de pacifisme, parce que nous savons que la Science et la Raison ne fleurissent pas sur les champs de carnage, et que chaque victoire de la Force est une défaite du Progrès.
Nous y avons parlé de socialisme, parce que nous avons compris que le bien-être est, comme la paix, nécessaire à notre idéal et que le peuple, écrasé par la fatigue et la misère, absorbant toutes les forces vives de son corps et de son esprit dans l’âpre lutte pour la vie, n’a ni le temps, ni le désir d’entrevoir les hautes sphères où nous voudrions l’emporter ! …
Nous y avons parlé, enfin, de féminisme, parce que, ayant pris en main la cause de tous les opprimés contre tous les oppresseurs, la cause de toutes les victimes du fanatisme et du mensonge, nous savons que la femme – hélas ! – a le triste privilège de figurer, depuis des siècles, au premier rang parmi ceux-là !…
Nul plus que nous, citoyennes, mes sœurs, nul plus que nous, les femmes, ne peut se réjouir des travaux et des victoires de la pensée libératrice ; parce que nul, plus que nous, n’a souffert et ne souffre encore des erreurs et des injustices qu’ont engendrées les fondateurs des dogmes.

Ne l’oublions jamais, mes sœurs : si la femme, aujourd’hui encore, dans les pays les plus civilisés, est traitée, par les divers Codes, en mineure et en incapable, c’est parce que toutes les religions, inventées exclusivement par des mâles, désireux de justifier la suprématie que leur sexe avait conquise à l’aide de la force brutale, ont méconnu et insulté le nôtre.
Si, partout, les lois civiles, les institutions sociales, nous oppriment et nous enchaînent, nous humilient et nous torturent, c’est parce qu’elles sont restées, à travers les révolutions, profondément imprégnées du vieil esprit dogmatique qui, aux époques d’ignorance et de foi, inspira leurs auteurs et présida à leur formation.
Si, enfin, au milieu de nous, jusque dans nos rangs d’avant-garde – parmi ceux-là qui, les premiers, en vertu des principes mêmes et dans leur intérêt comme dans le nôtre, nous devraient tendre une main fraternelle –, nous rencontrons encore, nous féministes, tant d’adversaires et tant d’indifférents ; si nous voyons tant d’hommes encore limiter le genre humain au sexe dont ils font partie – comme tant d’autres le limitent à leur couleur, à leur race ou à leur patrie – et refuser de voir dans l’homme et dans la femme deux êtres de même espèce et d’égale importance, ayant le même droit à la vie intégrale, à la liberté, au bonheur, c’est parce que l’atavisme chrétien n’est pas tout à fait mort en eux ; c’est parce que, à leur insu, les préjugés de leurs ancêtres pèsent encore sur leur cerveau ; c’est parce que la légende biblique, qui fait de la première femme l’auteur de tous les maux humains et l’instrument de la damnation de l’homme, n’a pas encore, quoi qu’on en dise, perdu toute son influence auprès des « Libres-penseurs » !…

En vain, à toutes les époques, d’immortelles gloires féminines se levèrent au firmament de la Science et de la Pensée ; en vain, nulle révolution, nulle marche en avant du peuple vers la lumière et la liberté ne se fit-elle sans que des héroïnes lui aient sacrifié leur sang ; en vain, dans la vie familiale, chaque jour, apporte-t-il une preuve nouvelle de la sagesse, de l’énergie, de l’intelligence féminines : la femme reste, aux yeux de l’homme, la créature « impure » et « inférieure », qu’ont flétrie tous les prophètes misogynes et forcenés.
L’atavisme religieux est plus fort que la raison, plus fort que l’amour lui-même ! C’est l’atavisme religieux qui entretient la lutte exécrable des sexes. C’est l’atavisme religieux qui dresse contre nous, en maîtres, ceux qui devraient être nos frères, nos compagnons et nos amis. C’est l’atavisme religieux qui met entre eux et nous une barrière, et leur fait si souvent – hélas ! – refuser la main que nous leur tendons ! …
Mais nous, les femmes affranchies, les militantes, les révoltées, nous le poursuivrons sans relâche, cet « atavisme » maudit !. Nous le traquerons de toutes parts, sous toutes ses formes, dans toutes ses manifestations. Nous l’arracherons des consciences et nous ferons surgir en elles l’esprit nouveau de justice et d’amour qui régénérera le monde !

Nous dirons aux « libres-penseurs » qu’ils doivent avoir le bon sens et le courage de l’être jusqu’au bout ; que rien ne sert de démolir les temples, si leurs débris amoncelés projettent autour d’eux la même ombre triste et froide ; que rien ne sert d’anéantir les dieux, si les iniquités commises en leur nom doivent leur survivre et se perpétuer !

Et puis, nous dirons à nos sœurs, à nos pauvres sœurs ignorantes, qui vont, plaintives et meurtries, chercher au pied des autels d’illusoires consolations, nous leur dirons tout ce que cachent derrière le voile perfide et joli des symboles, ces doctrines qu’elles ne révèrent que parce qu’elles ne les connaissent pas. Nous ferons cabrer sous l’injure leur dignité de femmes, réveillée ; et ce ne seront plus des prières qui monteront de leurs lèvres vers les idoles ainsi démasquées !
Et comme leurs regards, détournés du mirage, chercheront autour d’eux des horizons nouveaux, nous dresserons, debout dans le soleil – en face de l’Eglise insultante, génératrice de servitude – la libre-pensée justicière, brisant les chaînes et secouant les jougs !
Et toutes, en longue théorie, par le sentier rude d’abord – dont les ronces arracheront au passage leur livrée d’esclaves – et qui, peu à peu, sous l’effort, s’élargit en voie triomphale, elles monteront, rayonnantes d’espoir – tendant leurs bras liés, leurs fronts meurtris d’épines – vers la grande, vers la seule, vers l’éternelle libératrice !

07/09/1905

Nelly Roussel, Paroles de Combat et d’espoir. Discours choisis. Préface de Madeleine Vernet. Éditions de l’Avenir Social. 1919.

(Texte reproduit sur le site de l’historienne féministe Marie-Victoire Louis http://www.marievictoirelouis.net/index.php)

Biographie extraite du dite Ephéméride Anarchiste

Nelly Roussel (1878-1922). Libre penseuse, anarchiste, féministe. Elle fut la compagne du sculpteur Henri Godet. Elle milita avec Paul Rovin pour la diffusion des idées néo-malthusiennes, contre l’idéologie nataliste du pouvoir et la loi de 1920 qui réprimait la contraception et sa propagande. Belle oratrice de talent, elle donnait des conférences, à travers la France, exaltant la maternité consciente, pourfendant le machisme des hommes (militants compris). Elle réclamait l’indépendance complète pour les femmes, fondée sur de nouveaux rapports entre les sexes. Parmi ses écrits : Paroles de combat et d’espoir (1919), Quelques lances rompues pour vos libertés, Trois conférences, etc.