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La « swastika communiste » ? (A propos de Jorg Haider et du FPO, 2000)

En février 2000, Jorg Haider, le dirigeant du FPO, parti d’extrême droite, est arrivé au pouvoir en Autriche. Sa victoire a certainement boosté le moral des fascistes dans toute l’Europe et donc aussi aux Pays-Bas. Des protestations ont été organisées un peu partout contre Haider. Aux Pays-Bas, les JS (les Jeunesses socialistes du parti social-démocrate qui est l’un des membres de la coalition gouvernementale) ont été les premières à réagir. Début janvier, avant même que le FPO de Haider conclue un accord avec l’OVP, les JS ont bloqué l’entrée de la banque néerlandaise ABN/Amro.

Article mis en ligne le 15 juin 2017

Cette banque a donné des conseils à Haider pour l’aider à peaufiner ses plans pour augmenter les allocations familiales en Carinthie, province qu’il gouvernait à l’époque. Les migrantes furent privées de l’augmentation. Haider veut certainement des enfants plus « aryens ». Et pour lui les femmes ne sont que du bétail.
« Hypocrisie »

« Ces mêmes Jeunes socialistes qui se présentent comme des “sauveurs” de la démocratie en critiquant la banque ABN/Amro parce qu’elle fait des affaires avec Jorg Haider, ces jeunes ont eux-mêmes des sympathies communistes », a déclaré, dans un communiqué, la Plateforme nationale d’action des étudiants nationalistes (LANS). Ces derniers ont annoncé une « campagne » (rien de moins !) « contre l’hypocrisie des Jeunesses socialistes ». En fait de campagne, ils se contenté de coller quelques dizaines d’affiches contre les JS à Leiden et dans certaines villes universitaires des Pays-Bas. À Leiden, les affiches ont été immédiatement arrachées par les antifascistes. Et la fameuse « campagne » s’est arrêtée là.

Sur les affiches figuraient des photos de membres des JS avec, en arrière-plan, des corps nus. Selon les étudiants nationalistes, il s’agirait de « victimes de la terreur communiste ». Ils considèrent que « la campagne de calomnies des JS contre Haider est un sommet d’hypocrisie, spécialement à la lumière de leurs propres sympathies pour le communisme totalitaire. Sur les pages Web de JS on peut trouver de nombreuses photos de réunions où l’on exhibe fièrement le marteau et la faucille, la swastika communiste. Sous le règle de la faucille et du marteau plus de 60 millions de personnes sont mortes dans le monde. La faucille et le marteau symbolisent les famines organisées et la terreur d’Etat de Lénine, Staline, Mao et Pol Pot ». Pauvres JS ! Il est difficile de les considérer encore comme de gauche aujourd’hui, et voilà que soudain on les tient pour responsables de la terreur stalinienne.

Tous les mêmes ?
La campagne contre les JS n’a pas représenté grand-chose mais la Nouvelle Droite semble avoir trouvé un nouveau point faible dans l’idéologie de l’extrême gauche. On rencontre aussi dans les milieux révolutionnaires des gens qui tiennent ce discours, et affirment que le fascisme et le communisme seraient identiques. Ils ont tous deux causé des millions de victimes. Mais l’histoire des systèmes politiques et leur signification ne peuvent bien sûr pas être compris seulement en comptant le nombre de victimes. Pas plus qu’on ne peut affirmer, à partir d’une simple condamnation morale, que tout système qui n’est pas complètement libertaire doit être jeté dans les poubelles de l’histoire. Quand on essaie de comprendre le passé, il est important de distinguer au moins entre l’idéologie et la pratique des mouvements, des partis et des régimes, et aussi entre les dirigeants et la base.
Beaucoup de militants communistes de base agissaient à partir d’idées humanitaires et antifascistes. D’un autre côté, les militants de base fascistes étaient des bourreaux le plus souvent volontaires. L’idée que les deux systèmes étaient fondamentalement les mêmes conduit indirectement à l’affirmation absurde que la résistance communiste durant la Seconde guerre mondiale était aussi immorale que la Gestapo qui essayait de l’exterminer.
Bien sûr, la gauche révolutionnaire devait critiquer sévèrement l’idéologie et la pratique du fascisme et du « communisme réellement existant ». Et les militants des courants les plus libertaires du communisme et du socialisme l’ont presque toujours fait correctement. Mais on ne peut pas adresser les mêmes critiques ahistoriques à la politique d’extermination fasciste et à la « dictature du prolétariat » communiste. De même que le système politique extrêmement répressif de la Russie stalinienne peut difficilement être comparé à celui d’autres régimes communistes comme, par exemple, la République démocratique allemande et le Nicaragua d’hier ou le régime cubain d’aujourd’hui.

Totalitarisme
Les étudiants nationalistes de LANS se servent de la théorie sociologique du totalitarisme. Celle-ci considère que le communisme et le fascisme sont identiques. Cette hypothèse a été développée par les sociologues du début du XXe siècle, mais elle n’est pas devenue populaire avant la chute du mur de Berlin en 1989. Aux Pays-Bas le libéral nationaliste Frits Bolkestein a grandement contribué à ce phénomène. Le Livre noir du communisme, publié sous la direction de Stéphane Courtois en 1997, a également joué un rôle décisif dans la popularité de cette théorie. Courtois a pris sa calculette. Le fascisme a fait 25 millions de victimes, le communisme 100. Puis il demanda à ses lecteurs si le communisme n’avait pas été pire. Et c’est exactement l’objectif de la plupart des partisans de cette théorie.
Parmi les partisans de la théorie du totalitarisme on trouve surtout des hommes politiques et des historiens d’extrême droite. Mais pourquoi y attachent-ils de l’importance ? Le communisme n’avait-il pas été déclaré moribond il y a longtemps ? Oui, mais la théorie du totalitarisme est une arme puissante contre tout projet militant ou activité révolutionnaire. Il suffit de dire que des militants sont en fait des communistes pour dégoûter d’eux les gens. Le même dégoût que la plupart de ces mêmes individus ressentent encore – heureusement – pour le fascisme.

Le débat des historiens
L’objectif final des théoriciens du totalitarisme peut être comparé à celui de leurs prédécesseurs, les négationnistes des années 1970 et 1980. Ils veulent tous libérer la voie pour le nationalisme et finalement pour le fascisme. Les débats internationaux entre les historiens au cours des dix dernières années le montrent très clairement.
D’abord, ils ont « prouvé » que le totalitarisme était un phénomène de la première moitié du XXe siècle et que donc nous ne devions pas craindre son retour. Après cela, ils ont essayé de démontrer que le fascisme et le national-socialisme étaient en fait des réactions logiques défensives contre l’essor du communisme, et que donc ces deux régimes ont été causés par le communisme. Les deux systèmes sont donc, dans cette explication, étroitement liés, du moins selon les historiens. La prochaine étape fut d’avancer la thèse que les camps de l’archipel du Goulag étaient identiques aux camps d’extermination nazis comme Auschwitz. Cela a transformé la Shoah en un événement comme un autre, un des nombreux crimes de l’époque.
Puis arriva Courtois. Il calcula que le communisme avait été beaucoup plus meurtrier que le fascisme. Il déclara publiquement qu’en réalité le fascisme était « semi-totalitaire » et que les nazis n’étaient pas aussi moralement corrompus que le pensaient la plupart des gens.
« La véritable opposition »
Quand le nouveau gouvernement autrichien est arrivé au pouvoir, les autres gouvernements européens ont pris plusieurs mesures symboliques. Les étudiants nationalistes ont été impressionnés. « L’élite dirigeante craint la véritable opposition », déclarait leur seconde affiche en faveur de Haider en février. Cette affiche fut immédiatement enlevée par les antifascistes « L’Union européenne est une institution antidémocratique, a écrit LANS, qui ne veille que sur les intérêts des multinationales capitalistes et l’élite politique corrompue ». Les étudiants s’inquiètent pour le sort de tous les « Etats souverains », maintenant que « l’élite européenne néolibérale » attaque même le droit à l’autodétermination du peuple autrichien ».

Les étudiants nationalistes ont raison sur un point : l’Union européenne n’est pas « démocratique ». Mais si l’on considère le reste de leurs écrits, ils ne semblent guère avoir l’habitude de manier le concept de « démocratie ». Pour eux, la démocratie n’est rien de plus qu’une procédure. Elle correspond sans doute pour eux à une situation où la majorité des Autrichiens votent pour un parti qui leur promet d’expulser les migrants. Mais cette promesse est en elle-même complètement antidémocratique. Selon ce type de logique, l’Etat de l’Afrique du Sud sous l’apartheid était lui aussi démocratique.

C’est une absurdité nationaliste totale que de présenter l’Etat autrichien comme incarnant une opposition démocratique face à une Union européenne antidémocratique. Les propositions de Haider contre les migrants et les réfugiés ne sont pas fondamentalement différentes des politiques d’autres pays de l’Union européenne. Et les propositions les plus extrêmes pour une nouvelle politique migratoire de l’Union européenne ont été, il y a deux ans, formulées par le précédent gouvernement autrichien. Après que les autres membres de l’Union européenne les eurent rejetées comme des idées d’extrême droite, ils sont maintenant en train de les appliquer par petits morceaux.

Eté 2000
Eric Krebbers

Sources

Le livre noir du communisme, 1997
Roter Holocaust ? Mecklenburg & Wipperman, 1998
Geschichtsrevisionismus, Roth, 1999