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Comment les Pays-Bas font trimer les migrants d’Europe de l’Est
Article mis en ligne le 2 juin 2017

Cet article concerne la situation des travailleurs d’Europe de l’Est vivant aux Pays-Bas. Nous devons préciser que nos contacts avec eux se sont jusqu’ici limités à quelques réunions avec des personnes de l’éphémère Syndicat des sans-papiers, fondé par et au nom des travailleurs bulgares à La Haye, et à différentes visites individuelles d’immigrés de l’Est à notre permanence quotidienne à Leiden, qui est surtout médicale et juridique. C’est pourquoi nous ne pouvons pas parler beaucoup de leurs luttes quotidiennes pour survivre dans l’environnement plutôt hostile que sont devenus les Pays-Bas. La majeure partie du texte ci-dessous traite donc de l’organisation des contrôles migratoires, de l’exploitation, de la répression et de l’encadrement idéologique des immigrés d’Europe de l’Est mis en place par le gouvernement, les partis politiques et même certains syndicats.

L’organisation antiraciste De Fabel van de illegaal
soutient les sans-papiers aux Pays-Bas

Depuis que dix pays de l’Est ont rejoint l’Union européenne, la migration de leurs ressortissants vers les Pays-Bas s’est développée rapidement. Ils émigrent parce qu’ils recherchent un emploi, ou qu’ils désirent se marier et avoir un avenir meilleur, et jouir d’un peu plus de bonheur et de liberté. Le gouvernement néerlandais essaye de contrôler autant que possible cette immigration. Les politiciens, toutes sortes de spécialistes des sciences sociales et de leaders d’opinion, et même des syndicats luttent violemment contre l’immigration illégale. Les migrants, en situation légale et illégale doivent accepter des travaux précaires, des bas salaires et de longues journées de boulot. Certains d’entre eux essaient d’organiser la résistance contre cette exploitation, même si c’est très difficile.

Les Pays-Bas comptent 16,3 millions d’habitants, dont 1,7 millions d’« allochtones non occidentaux » et 1,4 million d’ « allochtones occidentaux ». Le gouvernement considère que toute personne née à l’étranger – ou née aux Pays-Bas, mais dont les deux parents, ou même un seul, sont nés à l’étranger – est un « allochtone ». Environ 200 000 sans-papiers vivraient dans le pays, selon les évaluations gouvernementales. Tous les jours, quelque 250 immigrés légaux entrent aux Pays-Bas. Et chaque jour environ 300 personnes quittent le pays. Officiellement, il y a donc plus d’émigration que d’immigration. Dans les années 70, 80 et 90 du XXe siècle, la plupart des immigrés venaient de Turquie, du Maroc, du Surinam et des Antilles néerlandaises. Récemment l’immigration en provenance de ces pays a diminué. Par contre, le nombre des immigrés polonais s’est développé rapidement.
La plupart des Européens de l’Est qui émigrent aux Pays-Bas, temporairement ou pas, viennent de Pologne, de Roumanie et de Bulgarie. La Pologne et 7 autres pays de l’Est sont membres de l’Union européenne depuis 2004 ; quant à la Bulgarie et la Roumanie, elles l’ont rejointe en 2007. Mais les Européens de l’Est ne sont « bienvenus » que s’ils sont utiles à l’économie néerlandaise, si leur immigration est contrôlée et s’ils ont la permission du gouvernement.

Les citoyens des 15 premiers Etats de l’Union européenne n’ont nul besoin d’une autorisation du gouvernement néerlandais pour travailler aux Pays-Bas. Jusqu’en 2007, ce n’était pas le cas des Polonais et des ressortissants de sept autres nouveaux Etats membres d’Europe orientale. Leurs permis de travail devaient être sollicités par leurs employeurs. Dans quelques secteurs qui manquaient de main-d’œuvre les Polonais pouvaient rapidement obtenir de tels documents. Dans d’autres branches, les employeurs devaient d’abord prouver qu’ils ne pouvaient pas trouver de Néerlandais pour faire le boulot. Depuis mai 2007, les permis de travail pour les huit nouveaux Etats membres ne sont plus nécessaires, mais les ressortissants des deux derniers adhérents à l’Union européenne (la Bulgarie et la Roumanie) ont encore besoin de permis de travail. Les pays de l’UE ont décidé qu’ils pourraient exiger des permis de travail jusqu’en 2011. Cependant, on permet aux ressortissants d’Europe orientale, membres de l’UE, de créer leurs propres entreprises individuelles aux Pays-Bas. Beaucoup de travailleurs polonais saisissent cette occasion de travailler en devenant leur propre patron.

La discussion politique au Parlement :
union nationale contre les sans-papiers

Avant que la Pologne ne devienne membre de l’Union européenne, environ 10 000 travailleurs polonais obtenaient tous les ans un permis de travail. Au printemps 2004, une discussion se déroula au sein du gouvernement et du parlement néerlandais à propos de l’augmentation éventuelle du nombre de permis de travail après l’adhésion de la Pologne. En mai 2004, une majorité parlementaire constituée par les libéraux conservateurs du VVD, les chrétiens démocrates du CDA, les fondamentalistes chrétiens du SGP, les populistes de droite du LPF et l’ex-parti maoïste, le SP(1), s’opposèrent à l’émigration de davantage de travailleurs polonais. Les Pays-Bas risquaient d’en être « inondés », prétendirent-ils. Le syndicat chrétien CNV soutint cette position. Seule une minorité parlementaire composée des députés de GroenLinks (la gauche verte) et du PvdA (les sociaux démocrates) voulait permettre aux travailleurs polonais de venir, car de toute façon ils entreraient dans le pays, mais sans-papiers, et seraient donc plus facilement exploitables.

L’organisation patronale VNO/NCW souhaitait également laisser entrer plus de travailleurs polonais, parce que, expliqua-t-elle, aucun Néerlandais n’était plus désormais prêt à effectuer certains travaux, par exemple dans la construction.
Selon les statistiques gouvernementales, en 2004, environ 16 000 travailleurs polonais ont obtenu des permis de travail. Soit seulement 6000 de plus que l’année précédant l’adhésion. Tout cela malgré que l’Union européenne prétende défendre la « libre circulation des personnes » et qu’officiellement ce principe s’applique aussi aux Polonais. En 2004, plus de 25 000 travailleurs d’Europe orientale ont obtenu des permis de travail, particulièrement pour se faire exploiter dans l’agriculture et l’horticulture, les abattoirs et l’industrie de la viande. Ces travaux durs et souvent ennuyeux sont mal payés, raisons pour lesquelles les travailleurs néerlandais ne veulent pas les accepter. Aujourd’hui, le nombre de Polonais aux Pays-Bas dépasse largement les 16 000, cependant. Les entreprises individuelles et les Polonais ayant des passeports allemands n’avaient déjà pas besoin de permis de travail à l’époque. En 2004, entre 34 000 et 53 000 Polonais travaillaient légalement aux Pays-Bas, et un nombre inconnu d’entre eux, de façon illégale. Selon des évaluations du Service néerlandais de l’immigration en 2003, entre 25 000 et 33 000 Européens de l’Est vivaient aux Pays-Bas. La plupart des Bulgares sans-papiers habitent à la Haye, et ils sont plusieurs milliers.

Diviser pour régner

Les politiciens et les « leaders d’opinion » essayent continuellement de transformer l’immigration « non contrôlée » en un problème, au lieu de considérer qu’il s’agit d’une façon pour les êtres humains d’obtenir un peu de bonheur et une meilleure vie dans un autre pays. Le gouvernement exclut les sans-papiers du reste de la société, il les traque, les enferme dans des prisons spéciales et les expulse vers des pays marqués par la pauvreté, le chômage ou la violence. La police des étrangers et l’inspection du Travail organisent des raids dans les entreprises pour en chasser les sans-papiers. Et le gouvernement fait de plus en plus pression sur les chômeurs néerlandais pour qu’ils acceptent les travaux saisonniers et sous-payés qu’effectuaient auparavant les sans-papiers. C’est également pourquoi le gouvernement ne veut pas que trop de travailleurs d’Europe orientale entrent aux Pays-Bas. « Nous devons construire une digue contre l’inondation polonaise qui menace les Pays-Bas », a déclaré le gouvernement néerlandais. En 2005, l’Etat a testé des projets pour forcer les chômeurs « autochtones » à travailler dans les serres dans trois secteurs agricoles et horticoles importants : La Haye et la région voisine du Westland ; Eindhoven et la ville voisine de Venlo ; et la région d’Alkmaar. Selon le gouvernement, il y aurait beaucoup trop d’« allochtones » parmi ces chômeurs peu formés qui font ce type de travaux précaires.

De cette façon les gens au pouvoir utilisent la stratégie du « diviser pour régner » en vue de garder la classe ouvrière sous leur contrôle. Les migrants, en situation « légale » ou pas, sont embauchés pour effectuer des tâches salissantes, pénibles et sous-estimées qui sont essentielles pour le fonctionnement de l’économie néerlandaise. Le gouvernement et les employeurs se servent aussi de la main d’œuvre « illégale » comme d’une sorte de pied-de-biche pour ouvrir la porte aux baisses de salaire et à la diminution des droits des salariés. Ils arrivent ainsi à supprimer des droits qui ont été gagnés par la lutte des travailleurs. En s’attaquant d’abord aux sans-papiers – prolétaires les plus faibles et les plus isolés –, puis aux immigrés en situation légale, et enfin aux travailleurs « autochtones » qui touchent les plus bas salaires, le gouvernement essaye de maintenir la division au sein de la classe ouvrière et de limiter la solidarité entre les travailleurs.

Les serres du Westland et les « brigades d’intervention »

La plupart des sans-papiers vivent dans quatre grandes villes : Utrecht, Rotterdam, Amsterdam et La Haye. La région du Westland, près de La Haye, est l’une des plus grandes zones d’horticulture. Le gouvernement y teste de nouvelles stratégies pour réprimer encore davantage les sans-papiers. 70 000 migrants en situation légale et environ 17 000 sans-papiers travaillent dans l’horticulture. De plus en plus de Bulgares, de Polonais et d’Ukrainiens cherchent à se faire embaucher dans les serres, et ils sont forcés d’entrer en concurrence avec les Marocains et les Turcs qui travaillent dans ce secteur depuis des décennies. Les Européens de l’Est doivent accepter des salaires d’environ 3 ou 4 € par heure, tandis que les Turcs et les Marocains touchaient 6 ou 7 € de l’heure.

Les saisonniers sans-papiers dans le Westland travaillent de mars à octobre habituellement 7 jours par semaine et 12 heures par jour. Leurs patrons gagnent beaucoup d’argent sur leur dos. Chaque sans-papiers leur fait économiser environ 10 000 € de salaire. Il y a dix ans, la plupart des sans-papiers travaillaient directement pour les paysans. Maintenant ils sont tous embauchés par des agences d’intérim. Le nombre d’agences a augmenté énormément depuis 1998, depuis qu’une loi dite « d’interconnexion » a été introduite pour exclure complètement les sans-papiers de la société et les empêcher d’avoir accès au moindre service public. Pendant toute une période, les sans-papiers, tant qu’ils n’étaient pas repérés par l’administration en tant que « clandestins », pouvaient travailler « légalement » et même payer des impôts. Désormais, les patrons ne veulent plus embaucher de sans-papiers ni fermer les yeux. Ils comptent maintenant sur les agences d’intérim pour leur fournir la main-d’œuvre « illégale ». Le gouvernement a même simplifié la procédure pour ouvrir une société d’intérim. Dans le Westland, leur nombre est passé de quelques dizaines à plus de 2 000 en quelques années. Ces boîtes de travail temporaire gagnent environ 5 € par heure sur le dos de chaque sans-papiers qu’elles font travailler.

Dans les années 90, le gouvernement a créé des « brigades d’intervention » pour trouver et arrêter les sans-papiers sur leurs lieux de travail. Le Westland possède une telle brigade depuis 1999, l’Equipe d’Intervention du Westland ou WIT. La WIT combat « le travail illégal » et la « fraude fiscale ». Elle s’intéresse à toute la chaîne qui va des agences d’intérim aux patrons qui emploient des sans-papiers. La WIT se compose de fonctionnaires de l’inspection du Travail, du fisc, du ministère de l’Intérieur, de plusieurs services sociaux, d’organismes semi-publics de prestations sociales et de la police des étrangers. La WIT veut que les patrons contrôlent plus soigneusement les papiers de leurs salariés. Les exploiteurs sont censés s’assurer que tous leurs employés ont des documents valables. Mais les patrons et les agences d’intérim, naturellement, n’ont aucune envie d’être obligés de contrôler les pièces d’identité de leur personnel. Ces mesures sont contraires à leurs objectifs, qui est d’essayer d’obtenir une armée de réserve, flexible et toujours prête à trimer, sans l’intervention d’aucune « bureaucratie ». Depuis le début de 2002, l’Etat a aussi créé une nouvelle « police des chômeurs » : la Sociale Inlichtingen en Opsporingsdienst, ou SIOD (Service d’enquêtes et de renseignements sociaux). Le SIOD traque les fraudes et les réseaux à grande échelle qui utilisent des sans-papiers, mais aussi tous ceux qui travaillent « au noir » en touchant les allocations chômage.

Répression contre les immigrés bulgares

Selon les sans-papiers eux-mêmes, les interventions de ces services dans les entreprises sont liées à la situation sur le marché du travail et aux intérêts des patrons. « Quand il y a beaucoup de boulot, on ne subit pratiquement jamais de descentes de police. Elles augmentent quand nous avons moins de travail », nous a confié un ouvrier bulgare. La plupart des interventions ont lieu à la fin de la saison : en septembre et octobre. On soupçonne que ce sont les patrons eux-mêmes qui appellent l’inspection du Travail pour se débarrasser des travailleurs « en surplus ». « Quand tu exiges ta paie, le patron porte plainte auprès des flics. Il leur raconte que des sans-papiers bossent dans son entreprise, et alors ton argent reste dans sa poche et nous sommes expulsés », nous explique un autre ouvrier bulgare.

Selon des statistiques officielles, environ 750 000 Bulgares ont émigré depuis la chute du mur de Berlin. En réalité, ce chiffre est probablement plus élevé. Il y a beaucoup de pauvreté en Bulgarie et le chômage frôle les 35% chez les jeunes. A La Haye, de nombreux Bulgares parlent turc et sont musulmans. Ils appartiennent à la minorité turque de Bulgarie, qui représente environ 10% de la population. Pour survivre aux Pays-Bas, ils se servent des réseaux turcs et musulmans traditionnels qui peuvent les aider à trouver du travail, un logement et bénéficier d’une solidarité mutuelle. Les Bulgares non turcs à La Haye, cependant, tombent la plupart du temps entre les mains des circuits mafieux où règne l’exploitation la plus brutale. Les femmes sont parfois obligées de coucher avec les intermédiaires pour obtenir un emploi. Parmi les Bulgares non turcs beaucoup de couples ont une formation universitaire : les deux membres cherchent du travail et sont venus avec leurs enfants qui sont fréquemment refusés dans les écoles. (Aux Pays-Bas, en effet, tous les enfants, qu’ils soient en situation légale ou « illégale », ont le droit et l’obligation d’aller à l’école. Mais, en pratique, certaines écoles refusent de les admettre, et les parents n’osent pas protester, par peur d’être expulsés s’ils portent plainte à la police ou se plaignent aux autorités.) Pour ces familles, les soins médicaux sont très coûteux parce qu’elles ne connaissent pas l’existence du fonds gouvernemental censé payer « les soins médicalement exigés » pour les sans-papiers.

Il y a quelques années, la police de La Haye organisait régulièrement des descentes dans les quartiers où vivaient les Bulgares « clandestins », et dont beaucoup triment dans le Westland. À La Haye, en moyenne, les Bulgares dorment à 3 ou 4 par chambre, pour laquelle chacun d’eux paie un loyer mensuel d’environ 140 €. Pendant ces interventions policières, les rues sont fermées, les portes défoncées à coups de pied, et des dizaines de gens, y compris des enfants en bas âge, sont chassés de leurs logements et expulsés en Bulgarie le soir même. Souvent les migrants n’obtiennent pas le droit de voir un avocat et n’ont pas la possibilité d’arranger leur situation ou de prendre leurs affaires avant de partir. Les Bulgares arrêtés, mais qui ont sollicité un permis de travail et attendent toujours la réponse de l’administration, sont forcés de signer une déclaration selon laquelle ils retirent leur demande. Celui qui refuse est gardé plus longtemps en garde à vue. Pendant ces rafles, la police saisit les passeports et ne les rend pas, ce qui oblige l’ambassade bulgare à leur donner des passeports provisoires.

Avant 2007, grâce à ces opérations coups de poing, le gouvernement voulait dissuader d’autres Bulgares de venir aux Pays-Bas en leur faisant peur. L’IND, le Service néerlandais de l’immigration, se servait activement des médias bulgares pour faire savoir que les Bulgares sans-papiers n’étaient pas les bienvenus aux Pays-Bas. Quant aux médias néerlandais, ils décrivaient habituellement les Bulgares et les Roumains sans-papiers comme des « criminels », des « tsiganes » et des « prostituées ». Poussé par les Pays-Bas, le gouvernement bulgare présenta, il y a quelques années, une nouvelle loi déclarant que les passeports des Bulgares expulsés devraient leur être retirés pour une période plus longue afin de les empêcher de revenir. Dans la pratique, les fonctionnaires ne respectaient pas toujours rigoureusement cette loi. Parfois les policiers ne prenaient pas les passeports, et parfois les expulsés parvenaient à suborner la police des frontières à l’aéroport afin de pouvoir le conserver. Depuis que les pays de la zone Schengen et la Bulgarie ont décidé de supprimer les visas pour leurs ressortissants respectifs, des milliers de Bulgares ont été expulsés.

Pendant les rafles à Amsterdam, beaucoup de prostituées sans-papiers sont régulièrement arrêtées, y compris des Bulgares et des Roumaines. La police refuse de vérifier si elles sont victimes de trafiquants et les criminalise en prétendant qu’elles représentent « une nuisance ». Ces femmes sont ainsi transformées en un problème, alors que celui-ci provient de l’existence des trafiquants, des souteneurs et des clients. Pour des raisons racistes les hommes néerlandais réclament des prostituées blanches d’Europe orientale. (Rappelons qu’au total, environ 500 000 femmes sont vendues tous les ans comme esclaves en Europe.)
Désormais les Bulgares et les Roumains ont officiellement le droit de séjourner aux Pays-Bas. Mais ils ont encore besoin d’un permis de travail. C’est pourquoi les autorités néerlandaises continuent à organiser des descentes de police dans les maisons privées et les entreprises.

Précarité des immigrés polonais

Dans le nord de la province néerlandaise du Limburg, beaucoup de Polonais travaillent dans l’horticulture. Leurs conditions de logement sont désastreuses : ils vivent la plupart du temps dans des caravanes sur des terrains de camping. Leurs conditions de travail sont également lamentables. Ces migrants sont très importants pour l’économie locale, mais cela ne semble pas être une raison suffisante pour améliorer leur situation. Désormais, le gouvernement local veut même les chasser des campings en ne distribuant plus de permis spéciaux aux propriétaires des terrains. Le gouvernement prétend que les Polonais effrayeraient les touristes, et que leur présence nuirait à l’industrie du tourisme. Les Polonais sont censés être souvent ivres, uriner dans les buissons, jeter leurs déchets n’importe où, bref, ils constitueraient « une nuisance ». Les mêmes « arguments » qui ont été employés pendant des années contre les sans-papiers sont maintenant utilisés contre les Européens de l’Est.

En juin 2005, des dizaines de travailleurs polonais ont été licenciés d’une entreprise néerlandaise, parce qu’ils étaient en grève contre leur réduction en esclavage et leur exploitation par leur patron. Pour obtenir un contrat de travail, ils devaient commencer par lui payer 100 €. Ils devaient récolter des laitues, et touchaient 3 centimes d’euro par laitue. Leur revenu horaire net oscillait entre 4 et 5 € et ils ne recevaient aucun salaire quand ils tombaient malades. Ils devaient bosser 12 heures par jour, en alternant entre deux équipes, celle de jour et celle de nuit.
Un jour, après 12 heures de boulot, le patron leur a demandé de bosser 3 heures de plus. Alors ils se sont mis en grève. Puis des dissensions se sont installées entre les travailleurs eux-mêmes : les grévistes se sont mis en colère contre ceux qui voulaient travailler. Après avoir été licenciés, les grévistes ont perdu leur « logement ». Avant la grève, ils campaient généralement sur un terrain de leur employeur, mais ils en ont été chassés. Un responsable du syndicat en a hébergé dix chez lui pour qu’ils ne dorment pas dehors. Puis un juge a décidé que le patron avait agi illégalement en licenciant les grévistes, et il lui a ordonné de les réembaucher. Mais le patron a ensuite porté plainte contre les ex-grévistes et a demandé à la justice le droit de les licencier une seconde fois car ils entretenaient une « atmosphère désagréable » dans l’entreprise. Pour ces travailleurs, le fait que la Pologne ait adhéré à l’Union européenne ne leur a été d’aucun secours.

La plus grande agence d’intérim pour les travailleurs étrangers aux Pays-Bas s’appelle Otto : cette société a fait un bénéfice de 50 millions d’euros par an. Elle embauche beaucoup de Polonais. Son directeur considère que c’est une bonne chose qu’ils viennent travailler aux Pays-Bas, mais seulement temporairement. Quand on n’a plus besoin d’eux, ils devraient, selon lui, quitter rapidement le pays. Les patrons, comme le gouvernement, veulent empêcher les migrants de s’installer durablement aux Pays-Bas, et de faire venir leurs familles, parce que cela les rendrait moins exploitables en tant que saisonniers ayant un emploi précaire. Le directeur d’Otto défend le principe d’un séjour temporaire en arguant que les Polonais seraient très fidèles à leur pays. Selon lui, ils veulent toujours retourner chez eux, car, étant catholiques, ils désireraient toujours vivre avec leur famille.

Entreprises individuelles, discriminations et amendes

Il y a quelques années, de nombreux travailleurs polonais créaient des entreprises individuelles parce qu’à l’époque ils n’avaient pas besoin d’obtenir un permis de travail, [contrairement à ceux qui avaient le statut de salariés, NdT]. Depuis mai 2004, les Polonais ont l’autorisation de vivre aux Pays-Bas, mais il ne leur est pas facile de trouver un patron et d’obtenir un permis de travail. Il est plus simple de devenir son propre patron, par exemple dans le secteur du nettoyage ou comme sous-traitant dans la construction. Mais ces immigrés, et également les entreprises des Etats de l’Est européen membres de l’UE, doivent encore subir toutes sortes de mesures prises contre eux par le gouvernement néerlandais.

Il y a deux ans, la Commission européenne a critiqué le gouvernement néerlandais parce qu’il avait instauré des conditions « discriminatoires » pour les salariés des entreprises d’Europe orientale qui venaient travailler temporairement aux Pays-Bas. Ils devaient obtenir un permis de travail, alors que les travailleurs originaires des autres pays de l’Union européenne dans la même situation n’en avaient pas besoin. A cause de cette discrimination, les entreprises d’Europe orientale ne peuvent pas être concurrentielles, a fait remarquer la Commission européenne. Mais cette même Commission ne s’est pas indignée contre l’obligation d’obtenir un permis de travail pour les citoyens d’Europe orientale qui viennent aux Pays-Bas de leur propre initiative, sans être déjà embauchés par une société d’Europe de l’Est. La Commission européenne ne semble pas considérer cette forme de contrôle de l’immigration comme « discriminatoire ».

Pour limiter l’immigration de tous les sans-papiers, le gouvernement fait payer aux patrons qui les emploient une amende de 8 000 € par personne arrêtée. Le gouvernement souhaite également commencer à infliger des amendes aux entreprises qui ne veulent pas coopérer avec la police dans sa traque aux sans-papiers. Et jusqu’à récemment les entreprises individuelles des Polonais étaient, elles aussi, visées par l’administration. Le gouvernement voulait que les Polonais aient plus de mal à démarrer leur entreprise, en les obligeant à prouver d’abord qu’ils créaient vraiment une société indépendante. Sinon, on leur collait également une amende.

Les agences d’intérim paient aussi des amendes. Il y a deux ans, une agence polonaise a versé à l’Etat une amende de 240 000 € pour avoir employé de la main-d’œuvre illégale. 30 Polonais travaillaient sans permis pour cette société. Ils touchaient 200 € par mois alors que le salaire minimum tourne autour de 1 000 €.
Les femmes d’Europe orientale : trafics et surexploitation
Il existe une énorme demande aux Pays-Bas pour des infirmières étrangères, notamment polonaises. Traditionnellement, beaucoup de femmes travaillent dans le secteur de la santé. La plupart des Néerlandais n’apprécient guère ces emplois mal payés, précaires, stressants et sous-estimés. Randstad, l’une des plus grosses sociétés d’intérim néerlandaises, déploie tous ses efforts pour que des Polonaises, entre autres, remplissent ces tâches.

Aux Pays-Bas, il existe également un trafic des femmes originaires d’Europe orientale. Des Bulgares et des Roumaines sont attirées avec de fausses promesses : on leur fait miroiter la perspective d’un bon travail ou d’un mariage, mais on les oblige ensuite à travailler dans le secteur de la prostitution illégale. Il leur est souvent très difficile de sortir de cette situation.

Il existe également pas mal de trafics autour des mariages. Si les hommes d’Europe orientale viennent chercher un meilleur avenir aux Pays-Bas en dénichant un travail, les femmes espèrent améliorer leur vie en épousant un Néerlandais, souvent par l’intermédiaire d’une agence matrimoniale qui propose un « catalogue » de jeunes candidates au mariage. La frontière entre la traite des femmes et le libre choix d’un mariage arrangé à distance est souvent ténue. Beaucoup de paysans néerlandais épousent des Polonaises, parce que les Néerlandaises, selon eux, ne voudraient plus trimer dans les fermes. Les paysans recherchent donc des Polonaises originaires de la campagne, qui sont habituées à une existence dure et disposées à marner pour la ferme et pour leur futur mari. Les agences matrimoniales gagnent beaucoup d’argent dans ce commerce. Les femmes ont souvent peu de choix, en raison de la mauvaise situation économique de la Pologne, particulièrement dans les campagnes. Une fois aux Pays-Bas, elles risquent de perdre leur indépendance et de tomber totalement sous la domination de leur mari.

Certaines Polonaises viennent aussi aux Pays-Bas pour échapper à l’atmosphère conservatrice et catholique qui les opprime en Pologne. Parfois elles sont enceintes et viennent interrompre leur grossesse aux Pays-Bas, car cette intervention est interdite en Pologne. Parfois, elles recherchent davantage de liberté pour elles-mêmes. Certaines ont eu des relations sexuelles sans s’être mariées, raison pour laquelle leurs parents les ont chassées de leur maison. Ou alors elles ont eu une relation avec un homme qui n’était pas le bienvenu dans leur communauté. Récemment, il faut signaler également que de nombreux gays et les lesbiennes se réfugient aux Pays-Bas en raison de la répression dont ils sont victimes en Pologne.

Syndicats et sciences sociales
mobilisés contre les sans-papiers

Il y a quelques années, des Bulgares turcs ont demandé de l’aide à la SHIP (la « Plate-forme musulmane de La Haye »). La plupart de leurs problèmes étant liés à leurs mauvaises conditions de travail, la SHIP a contacté le FNV, le plus grand syndicat national. Bien que le FNV ait prononcé quelques belles paroles sur la nécessaire solidarité entre tous les travailleurs, il n’a jamais vraiment fait quoi que ce soit pour les sans-papiers. La demande exprimée par la SHIP n’a provoqué qu’une réaction très vague. Alors la SHIP a décidé de fonder son propre syndicat de travailleurs sans-papiers qui a été immédiatement attaqué violemment par le gouvernement. Cela a momentanément attiré l’attention de quelques médias sur la situation difficile des Bulgares sans-papiers. La répression s’est intensifiée contre eux. Et le nouveau syndicat n’a pas vraiment réussi à fonctionner en raison de l’absence d’appui des syndicats officiels.

Non seulement ceux-ci ne soutiennent pas les sans-papiers, mais ils les combattent ouvertement de plus en plus. Depuis 2005, plusieurs syndicats ont ouvert une ligne téléphonique spéciale (2) où les salariés peuvent dénoncer leurs collègues « en situation illégale ». Les syndicats transmettent alors cette information à l’inspection du Travail. Ils ont ainsi aidé à chasser des milliers de sans-papiers, dont beaucoup de Polonais – du moins avant 2007. Au lieu de lutter pour l’égalité des droits, les syndicats collaborent avec la police lors des descentes organisées par le gouvernement dans les entreprises pour attraper les sans-papiers et les expulser vers leurs pays d’origine. « Les travailleurs néerlandais d’abord » semble être le slogan des syndicats qui divisent les travailleurs et aident les patrons et le gouvernement.
Les sciences sociales apportent, elles aussi, leur contribution à la répression contre les sans-papiers. A travers leurs recherches sur le monde semi-légal dans lequel ceux-ci sont obligés de vivre, toutes sortes de sociologues, de spécialistes des sciences politiques et d’anthropologues rendent de plus en plus difficile la survie des sans-papiers aux Pays-Bas. De plus en plus souvent, des scientifiques sont payés, par exemple, par le ministère de la Justice pour découvrir comment les sans-papiers parviennent à vivre et travailler. A partir des résultats de leurs recherches, le gouvernement introduit de nouvelles lois répressives contre les « clandestins ». L’institut RISBO de l’université Erasmus à Rotterdam, par exemple, a étudié le quartier de Schilderswijk à La Haye, où vivent beaucoup de sans-papiers, y compris de nombreux Bulgares. Dans leurs publications, les scientifiques ont étudié de façon séparée les sans-papiers, en les isolant du reste de la population, et ils ont décidé qu’il s’agissait d’une « population à problèmes ». Ils les stigmatisent et les criminalisent en reliant continuellement leur situation aux « nuisances » et à la « criminalité » supposées.

Harry Westerink,
De Fabel van de illegaal.
(Septembre 2007)

Notes

1. Cf. « Pays-Bas : Votez pour des expulsions civilisées, votez pour le SP », p. 62-65 de ce livre.
2. Cf. « Pays-Bas : Les syndicats appellent à dénoncer les travailleurs clandestins », p. 99-101 de ce livre.