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Soutien collectif et soutien individuel aux sans-papiers
Article mis en ligne le 19 mai 2017

Depuis des années un petit nombre d’organisations, dont la nôtre, soutiennent les réfugiés et les migrants sans-papiers. Quelle est la situation, maintenant que le gouvernement pousse de plus en plus de gens dans la clandestinité et, de ce fait, force les associations de soutien à prendre soin d’eux, tâche qui incombe, en principe, à l’Etat ? Et combien de temps et d’énergie nous reste-t-il pour lutter pour des méthodes et des actions de soutien plus collectives ?

Ces dernières années, le gouvernement néerlandais plonge de plus en plus de migrants dans l’illégalité, en les privant complètement de leurs droits. Suite à l’introduction, parmi d’autres mesures répressives, de la Koppelingswet (loi qui permet aux services de l’immigration d’avoir accès à toutes les données informatiques publiques pour faire la chasse aux « clandestins »), en 1998, et de la dernière « loi sur les étrangers » de 2001, le nombre de sans-papiers qui s’adressent aux associations comme la nôtre augmente constamment. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le gouvernement qui mène cette politique impitoyable contre les immigrés est plutôt satisfait de l’existence de ces organisations. « Il est normal et souhaitable que les étrangers sans-papiers puissent bénéficier d’un certain appui », a déclaré le Conseil consultatif pour la gouvernance publique en avril 1998. Une misère trop visible ne favoriserait pas l’application d’une politique dure d’exclusion. Le Conseil consultatif considère donc que « les associations de solidarité privées » constituent un chaînon indispensable dans la politique d’exclusion du gouvernement.

À la fin du mois de mars 2001, l’Autonoom Centrum, une association basée à Amsterdam, en a eu assez. Après une discussion interne très intense, l’organisation a décidé d’arrêter de tenir sa permanence d’accueil pour les réfugiés et les migrants sans-papiers. « Dans la plupart des cas, nous sommes incapables de leur fournir l’appui dont ils ont besoin. Nous ne pouvons pas leur offrir l’aide légale appropriée et nous manquons d’argent. Mais surtout, depuis un certain temps, nous nous demandons sérieusement si nous voulons continuer à les soutenir et devenir les collaborateurs de la politique inhumaine et néfaste du gouvernement. La réponse est non, nous ne voulons plus être confrontés aux problèmes créés par la politique dure et restrictive du ministère de la Justice, et que nous devons ensuite gérer. Nous ne voulons plus arrondir les angles, et refusons de faire le sale boulot des gouvernements. »

Les dangers du paternalisme
Nous nous interrogeons, nous aussi, sur les idées et les pratiques des associations de solidarité. Nos permanences d’accueil pour les étrangers sans-papiers sont importantes à la fois pour notre groupe et pour les migrants. Elles nous permettent d’avoir un contact direct avec eux, de bien connaître leurs problèmes spécifiques, et d’apprendre comment la politique gouvernementale d’exclusion s’applique concrètement. Et, quelle que soit la faiblesse de notre soutien, nous croyons que cet appui signifie beaucoup pour les travailleurs que nous rencontrons.En apportant ce soutien individuel nous pouvons dérégler le fonctionnement de la machine à exclure, même si c’est à une petite échelle. Ce blocage limité peut constituer un exemple motivant pour la population, et prouver que la résistance est pratiquement possible. Naturellement le soutien individuel que nous apportons aux sans-papiers contribue à la crédibilité de notre groupe et des organisations qui effectuent un travail similaire. Et si nous arrivons à organiser la protestation avec d’autres associations, cela contribue à une coopération politique meilleure avec les organisations traditionnelles comme les ONG.

Les petites organisations comme la nôtre ne peuvent guère aider les sans-papiers. Nous ne disposons ni d’argent ni de logements. Nos membres n’ont pas reçu de formation médicale ou juridique. C’est pourquoi nos permanences d’accueil peuvent être particulièrement frustrantes. Et l’on peut aussi se demander quel sens cela a, pour une organisation politique comme la nôtre, d’apporter un soutien individuel à des gens. Cette activité consomme beaucoup de notre temps, et, dans la mesure où nous manquons toujours de bras, nos permanences occupent des militants qui pourraient investir davantage d’efforts pour essayer de changer la société dans son ensemble.

Dans le cadre du soutien individuel, il existe également toujours le risque que la personne qui offre de l’aide et le sans-papiers nouent une relation apolitique et inégale, et se retrouvent coincés dans une relation que les travailleurs sociaux connaissent bien. Certaines assistantes sociales, pleines de bonnes intentions mais inexpérimentées, promettent parfois à leurs « clients », pour les rassurer, qu’elles résoudront leurs problèmes. Cela rend leurs « clients » dépendants et passifs. Ces travailleurs sociaux se sentent souvent personnellement responsables du sort de leurs « clients », ils ont du mal mettre des limites à leur soutien et ils finissent généralement par se mettre dans des situations inextricables. Ces schémas peuvent également surgir lorsqu’un groupe politique militant travaille avec des sans-papiers.
Offrir un soutien individuel peut ainsi devenir paralysant et inefficace. Donner de l’argent à un sans-papiers risque également de créer une relation inégale comparable à celle qui se noue entre les chômeurs et les employés des ASSEDIC ou de l’ANPE. Ces fonctionnaires choisissent ceux qui obtiendront des aides sociales et ceux qui n’en obtiendront pas. Ceux qui subissent ce type de sélection essayent d’augmenter leurs chances en suscitant chez leurs interlocuteurs la meilleure impression possible. La sincérité, l’humanité et l’égalité disparaissent dans ce type de circonstances.

Pour ne pas tomber dans de telles relations paternalistes, nous adoptons une attitude solidaire et égale vis-à-vis de tous ceux qui viennent à nos permanences d’accueil. Nous ne procédons à aucune sélection, jamais. Tous les sans-papiers peuvent venir solliciter notre soutien et nous ne distribuons pas d’argent, sauf peut-être pour financer un déplacement ou pour payer quelques nuitées dans un hôtel pour sans-abri(1).

Exercer des pressions sur les institutions
pour qu’elles fassent leur travail

Nous ne nous considérons pas comme une association chargée de faire du travail social, mais comme un groupe politique de soutien aux sans-papiers : notre objectif est de les mettre en contact avec les institutions appropriées. Il ne nous est pas possible de créer nos propres structures médicales et juridiques. Nous ne possédons ni maisons ni appartements, nous ne fournissons pas de prestations sociales, nous ne sommes ni médecins ni avocats. Et même si nous l’étions, nous ne pourrions aider qu’une infime proportion des sans-papiers parce que nous manquons de ressources financières. De plus, un système alternatif de soins, créé spécialement pour les sans-papiers, n’est absolument pas souhaitable sur le plan politique. En effet, un tel système créerait une forme de ségrégation, et c’est exactement ce que veut le gouvernement. L’isolement est la plus grande menace qui pèse sur les sans-papiers dans cette société. Il les rend encore plus vulnérables face aux nouvelles mesures répressives de l’Etat. Les associations de soutien doivent donc aider les sans-papiers à participer au maximum à la vie sociale afin d’empêcher le gouvernement de les arrêter, de les mettre en prison et de les expulser sans que les gens puissent en être informés et aient la possibilité de protester. Toutes les couches de la société doivent être en contact avec les sans-papiers. C’est probablement leur meilleure protection.

À notre avis, il faut mieux envoyer un sans-papiers consulter un médecin de son quartier qu’un établissement médical créé spécialement pour les personnes dites en « situation illégale ». Les associations de soutien ou les groupes comme le nôtre, tout comme les sans-papiers eux-mêmes, doivent exiger que toutes les institutions(2), sans exception, qui les ont exclues les reprennent en charge. Ces institutions doivent assurer leurs responsabilités envers toutes les personnes, malgré la loi sur le couplage des données informatiques qui veut criminaliser les sans-papiers. C’est pourquoi nous avons pris l’initiative en 1994 de créer une fondation : Gezondheidszorg Illegalen Leiden, l’Association pour la santé et les soins aux sans-papiers de Leiden. En dehors de nos membres, plusieurs médecins, un pharmacien, une assistante sociale, un médecin travaillant dans le secteur hospitalier, un chirurgien, une sage-femme et un pasteur participent à cette fondation. Il est important d’obliger les professionnels de santé et les institutions à prendre leurs responsabilités et à offrir la même aide et les mêmes services aux sans-papiers qu’à tous les autres habitants en situation légale. Et cela ne concerne pas seulement les soins médicaux, mais aussi l’aide juridique, le logement, les prestations sociales, les assurances santé, maladie et chômage, etc.

Si les organisations traditionnelles (Eglises, ONG, etc.) ne cèdent pas, nous essayons de mobiliser les forces progressistes. Par exemple, nous demandons à des squats et des « communes » s’ils ont des chambres disponibles. Et nous sollicitons des fondations privées (par exemple les Eglises) pour qu’elles soutiennent financièrement les sans-papiers. Nous voulons seulement être un moyen d’accès à tous ces systèmes de soutien publics ou semi-publics. Quand les sans-papiers nous posent des problèmes que nous ne pouvons pas résoudre, nous essayons de faire pression sur les institutions qui sont en mesure de le faire.

Le soutien collectif
Nous organisons également des formes collectives de soutien aux associations de migrants et de réfugiés, ou aux sans-papiers qui essayent de s’organiser. Habituellement ces groupes s’intéressent moins aux questions d’aide médicale ou légale qu’à leur régularisation ; ils veulent obtenir des cartes de séjour pour tous ceux qui se trouvent dans la même situation ou viennent du même pays qu’eux. Nous avons soutenu des groupes de réfugiés iraniens, éthiopiens et kurdes-irakiens. En ce moment, nous soutenons surtout des travailleurs immigrés sans-papiers et des objecteurs de consciences kurdes de Turquie. Le premier contact avec ces groupes se déroule parfois dans le cadre de nos permanences d’accueil, mais la plupart du temps il se fait par l’intermédiaire des organisations de migrants originaires du même pays. C’est d’une certaine manière logique, parce que ce sont ces associations qui soutiennent habituellement les sans-papiers, sur le plan à la fois individuel et collectif. Cependant, l’appui de groupes comme le nôtre peut également être très utile. Les associations de soutien ont souvent plus facilement accès aux institutions et aux partis politiques, savent mieux obtenir de l’aide financière et possèdent parfois plus d’expérience en matière d’organisation de manifestations ou de fabrication d’un journal. (…)

Eric Krebbers,
De Fabel van de illegaal n° 50/51, printemps 2002

Notes

1. Dans ces hôtels il faut payer environ 5 euros la nuit, mais aujourd’hui les SDF doivent montrer leur passeport, donc les sans-papiers n’y vont plus (note d’Eric Krebbers).
2. Aux Pays-Bas, les associations privées qui reçoivent des subventions et les institutions de l’Etat ne peuvent aider les sans-papiers. Donc, par exemple les maisons qui abritent des femmes battues refusent d’accueillir celles qui sont en « situation illégale » (note d’Eric Krebbers).