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Pierre Milza : Un prof bien mal inspiré
Article mis en ligne le 8 mai 2017

« Soyons clair. L’existence d’un " révisionnisme " anarcho-trotskyste (Jean-Gabriel Cohn-Bendit, qui a participé à l’édition du livre de Serge Thion, ne se présente-t-i1 pas comme "juif d’extrême gauche, libertaire pour tout dire ? ") organisé autour de La Vieille Taupe, et le rôle que celle-ci a joué dans la diffusion en France et à l’étranger des thèses négationnistes, n’autorisent personne à renvoyer purement et simplement dos à dos les deux franges extrêmes du spectre politique français. Les Pierre Guillaume, Serge Thion et autres Jacob Assous ne représentent en effet qu’une fraction extrêmement minoritaire de l’ultra-gauche, celle des intégristes du marxisme antistalinien. » (Pierre Milza, « Le négationnisme en France », Relations internationales, n°65, printemps 1991. On trouve cet article sur Internet. Y.C.).

Pierre Milza s’est illustré entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002 par un bon article dans Libération où il rappelait, fort justement, que la situation politique française n’avait rien à voir avec celle de 1933 en Allemagne, contrairement à ce que beaucoup de « penseurs » et de plumitifs stipendiés par la droite et la gauche parlementaires essayaient de nous faire croire à l’époque. De la part d’un homme qui n’a pas peur d’aller à contre-courant dans un tel climat d’hystérie collective, on attendait mieux que le catalogue d’accusations absurdes, d’amalgames et de contre-vérités ci-dessus.

Jean-Gabriel Cohn-Bendit y est qualifié d’« anarcho-trotskyste ». Outre que ce terme n’a absolument aucun sens, JGCB n’a jamais été trotskyste, du moins à ma connaissance. Pourquoi embarquer les trotskystes dans cette galère ? Pourquoi dénoncer « les tenants d’un trotskyme tiers-mondiste et pro-arabe qui se meuvent dans l’orbite de la Vieille Taupe » alors que Pierre Guillaume, bien avant qu’il affiche son antisémitisme, a toujours été un antitrotskyste et un antiléniniste ? On peut parfaitement critiquer les positions des trotskystes sur le sionisme et la Palestine mais pourquoi les mettre dans le même camp que les révisionnistes, les négationnistes, les antisémites et — disons-le clairement — les fascistes ?

Sous prétexte de ne pas effectuer d’amalgame entre extrême droite et extrême gauche (« n’autorisent personne à renvoyer purement et simplement dos à dos », écrit-il), Pierre Milza amalgame les négationnistes antisémites (Guillaume, Thion and Co) avec ce qu’il appelle des « intégristes du marxisme antistalinien ».
Pierre Guillaume et Serge Thion ne sont pas des « marxistes antistaliniens », n’en déplaise au si rigoureux professeur Milza (1). Ou alors Pinochet est un excellent interprète de l’Évangile et un théologien de référence. George W. Bush un fin exégète de la Bible. Et la Star Academy une école de chanteurs d’opéra…

C’est le droit le plus absolu de P. Milza de détester le marxisme, le gauchisme, le trotskysme, le tiers-mondisme, etc. Il paraît que l’on a trouvé un nom pour cette attitude assez répandue : la « sinistrophobie ». C’est son droit le plus absolu d’avancer des arguments historiques solides pour justifier ses positions politiques. Par contre, il est inadmissible de calomnier les trotskystes.

Pas plus qu’il ne peut se servir de son aura d’historien sérieux pour diffamer, sans le nommer, un autre courant politique ( celui visé par l’expression « intégristes du marxisme antistalinien ») : la Gauche communiste dite italienne ou le courant bordiguiste (du nom de son inspirateur Amadeo Bordiga, à l’origine du premier PC italien), représenté en France aujourd’hui par deux publications Le Prolétaire et Programme communiste, et le minuscule Parti communiste international qui prétend défendre effectivement intégralement, à la lettre, le marxisme. Ce groupe ne s’est jamais compromis avec les antisémites ou les négationnistes., comme l’insinue Milza sans le nommer.

Pourquoi ce tour de passe-passe peu reluisant ?
Des antisémites (dont Pierre Guillaume) se sont indûment approprié un texte écrit par le Parti communiste international : Auschwitz ou le Grand Alibi, article écrit VINGT ans avant que n’éclate le scandale monté de toutes pièces par la presse, Le Monde en tête, alors qu’il aurait suffi que ce journal mette à la poubelle la lettre de Faurisson et fasse le silence sur cet individu, ses écrits et son microscopique cercle de charlatans.

Auschwitz ou le Grand Alibi repose sur une analyse erronée, mécanique, de la question juive et contient de nombreuses formulations qui ont effectivement été reprises par des antisémites. Ce texte ne nie absolument pas l’existence des chambres à gaz, par contre il en dénonce, de façon en grande partie fausse et en tout cas extrêmement maladroite, l’utilisation politique qui en a été faite par le camp des démocraties. Mais le fait que ce texte ait été utilisé par des antisémites ne prouve pas que son ou ses auteurs soient antisémites. Est-ce parce que La Question juive de Marx se trouve sur des sites Internet antisémites que Marx était antisémite ? Le dirigeant du groupe néo-nazi Unité radicale utilise la détestable expression « Shoah Business » ; cela fait-il de l’auteur du livre homonyme, Norman Finkelstein, un nazi ? Ces procédés de « discussion » ne sont pas sérieux.
Mais surtout que cela ne vous empêche surtout pas de lire le livre de Pierre Milza sur Le fascisme en Europe. Vous y apprendrez plein de choses utiles ! (Y. C.)

1. Pierre Vidal-Naquet commet d’ailleurs le même type d’erreur ou d’amalgame que Milza puisqu’il écrit dans un article à propos du révisionniste Paul Rassinier : « Ses héritiers spirituels sont une secte “marxiste“, La Vieille Taupe, elle-même issue, par plusieurs intermédiaires d’un groupe dissident du trotskisme, Socialisme ou Barbarie. »
La Vieille Taupe N°1 n’était pas une secte mais un groupe assez informel de copains et une librairie où l’on trouvait autant de propagande marxiste qu’antimarxiste, voire « anticommuniste de droite » (anciens collabos passés à la SFIO, écrivains de droite ou d’extrême droite, transfuges anticommunistes de l’Est, etc.).
Pierre Guillaume, dans sa période publiquement antisémite (dite période de la Vieille Taupe N° 2), ne peut être qualifié de marxiste, même en y ajoutant des guillemets.
Quant à Socialisme ou Barbarie, le qualifier de « groupe dissident du trotskysme » ne peut qu’induire le lecteur non averti en erreur, quand on sait la fulgurante trajectoire qu’ont parcouru ses dirigeants — Lyotard, Mothé, Lefort et Castoriadis — en une vingtaine d’années, de la critique radicale du capitalisme à l’abandon de toute perspective révolutionnaire, pour des raisons diverses qu’il serait trop long de détailler ici.