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L’antisémitisme de gauche renaît-il en Pologne ?

La gauche n’employait plus un langage antisémite en Pologne depuis la campagne de propagande « antisioniste » (en fait, antisémite) des années 60 inspirée par le général Mieczyslaw Moczar (1) et l’épisode ultérieur de l’Association patriotique Grunwald (2) au début des années 80. Mais les articles récemment parus dans Lewa Noga (littéralement Pied Gauche) et Rewolucja / Révolution (revues publiées par la maison d’édition de gauche Ksiazka i Prasa /Livre et Presse de Varsovie) nous incitent à nous demander si le fantôme de l’antisémitisme ne serait pas en train de réapparaître sous le couvert de l’ « antisionisme » de gauche en Pologne.

Article mis en ligne le 8 mai 2017

Piotr Kendziorek et August Grabski

Apologie de la terreur antijuive

Prenons, par exemple, le troisième numéro de Rewolucja qui consacre 130 pages au conflit israélo-palestinien. Dans les huit articles écrits par des auteurs palestiniens et européens, et également dans l’introduction de Zbigniew M. Kowalewski (3), la même idée revient sans cesse : Israel serait un Etat raciste et colonial, qui ne peut revendiquer le droit à l’existence, quelle qu’en soit la forme. En outre, les différents auteurs affirment que cet Etat serait le plus important instrument de l’impérialisme mondial pour opprimer les masses arabes au Moyen-Orient. Ainsi, James Petras (4) affirme dans ses quelques articles publiés dans Rewolucja et Lewa Noga, que la politique de l’impérialisme américain au Moyen-Orient serait dictée par le lobby juif-sioniste (en lisant ces textes, on ne comprend pas bien si Israël est manipulé par l’impérialisme américain, ou bien si c’est Israël qui manipule l’impérialisme américain, comme semble le suggérer James Petras). L’auteur en déduit que toute négociation avec l’Etat israélien trahit non seulement l’intérêt national palestinien, mais aussi la lutte internationale de tous les peuples et classes opprimés par l’impérialisme. Et dans la mesure où ce combat est absolument vital, toutes les méthodes sont donc justifiées, même les attentats suicides des Palestiniens (y compris les attentats aveugles dirigés contre des civils israéliens innocents). Pour Kowalewski, il s’agit, après tout, de supprimer « un Etat qui représente une partie des remparts défensifs de l’impérialisme occidental, et qui est sa principale base au cœur du monde arabo-musulman ».

En avançant ce type d’arguments, ces auteurs ne cachent pas leur objectif : mettre fin à « la colonisation juive de la Palestine », et non pas reconnaître les intérêts nationaux des nations juive-israélienne et palestinienne.
Il est facile de deviner ce qui arrivera « aux colons juifs » dans la « Palestine historique » libérée et dirigée par le Hamas, le Jihad islamique, les Brigades des martyrs d’al Aqsa, et autres organisations que ces auteurs soutiennent en raison de leur lutte intransigeante contre l’occupation israélienne. « Si les contradictions ne peuvent être résolues autrement que par la force, comme dans le cas de l’occupation juive de la Palestine, alors on peut facilement établir une séparation entre les justifications politiques et les compromis... Et ceux qui se réfugient dans des justifications idéologiques sont aussi ceux qui diffusent des idées comme la "coexistence de deux Etats" ou la "reconnaissance de l’Etat d’Israël", qui "tentent de gagner des appuis dans le camp ennemi" en invoquant l’internationalisme, et qui insistent pour que nous chantions tous ensemble We are the world et disions aux agresseurs juifs qui occupent notre terre que nous "n’avons rien contre eux en tant que Juifs" alors qu’ils tuent les nôtres, les jettent en prison, dynamitent leurs maisons, confisquent leurs terres, et font toutes ces choses que fait un occupant ! Il est donc plus difficile de se guérir rapidement de la syphilis idéologique des compromis avec Israël (5) que de se débarrasser des justifications politiques favorables à des compromis avec "Israël", justifications qui, de toute façon, deviennent de plus en plus faibles et s’effondreront d’elles-mêmes." (Ibrahim N. Allush, Rewolucja n° 3).

Les arguments de Kowalewski pointent dans la même direction que ceux du nationalisme palestinien antijuif radical. Il critique l’appel d’un groupe d’intellectuels palestiniens qui préconisent « la démilitarisation de l’Intifada et, en particulier, la fin des attaques contre les civils ». Kowalewski s’inquiète donc que l’extrême droite palestinienne risque d’organiser moins d’attaques contre des Juifs qu’auparavant ! Il pense que cet appel « creuse le fossé existant entre une grande partie de l’intelligentsia universitaire, active dans les ONG et qui est apparue dans les milieux "laïques et nationalistes-démocratiques", d’un côté, et, de l’autre, une grande partie des masses ». Dans son introduction au n° 3 de Rewolucja, Kowalewski cite avec approbation les « organisations qui participent à la lutte armée » comme le FPLP (6) qui affirme : « Nous nous réservons le droit d’attaquer tout qui est sioniste dans les territoires occupés depuis 1967", et également « le droit d’écraser le sionisme dans les territoires occupés depuis 1948 (7) ». Pour justifier cette attitude Kowalewski ajoute que de telles conceptions reflètent le climat social et la dynamique de la lutte des classes en Palestine.

En ce qui concerne les auteurs de cet appel et d’autres personnes qui reconnaissent l’existence de la nation juive et son droit à un Etat, ils seraient tous, comme l’énonce clairement l’article d’Ibrahim N. Allusz précédemment cité, des marionnettes entre les mains des sionistes et des impérialistes (ce qui revient au même dans ce type de discours, car ces deux concepts sont mutuellement interchangeables) : « il s’agit d’un nouveau genre d’intermédiaires entre d’un côté, l’impérialisme et le sionisme, et de l’autre les peuples arabes. Ces intermédiaires exercent des fonctions non économiques. Ce groupe inclut tous les Palestiniens et les Arabes qui jouent, dans leurs sociétés respectives, un rôle politique et intellectuel favorable à l’impérialisme et au sionisme... Dans ce groupe on trouve pratiquement tous les intellectuels palestiniens qui se sont prostitués en signant l’appel pour à la démilitarisation de l’Intifada. » (Ibrahim N. Allush)

Selon ces auteurs, il s’agit, donc, d’un groupe parasite d’intellectuels coupés des masses, et qui ont été séduits par le sionisme et ses agents internationaux. D’après les articles publiés dans les revues précitées, il faudrait également ajouter à ce groupe la gauche radicale antisioniste en Israel et « presque tout le mouvement international de solidarité [avec la Palestine] qui, en soutenant la perspective de la création d’un Etat palestinien indépendant, trouve un alibi pour renoncer à la lutte contre l’Etat sioniste raciste » (Aisha Handal, Julien et Pierre-Yves Salingue). Face à ces « éléments compradors (8) » (Allush) se dresse un authentique mouvement national de résistance, avec le Hamas, le Jihad islamique, etc., en première ligne : « le fait qu’ils insistent sur la nécessité de mener jusqu’au bout la lutte armée contre l’occupation juive de la Palestine transforme ce large courant en un bloc de résistance authentique... Les masses palestiniennes s’identifient avec ce bloc parce qu’il représente le mieux leurs intérêts à long terme, c’est-à-dire la libération totale de la Palestine de l’occupation juive. » (Ibrahim N. Allush)
Pour ce courant antisioniste, il ne faut pas oublier que, dans la lutte pour l’élimination de l’Etat juif, des questions d’importance mondiale sont en jeu, parce que « la question palestinienne est au centre des problèmes du monde » (Ahmad Saadat [9]). « La lutte des Palestiniens exprime, de façon concentrée, l’affrontement entre les nations arabes du Moyen-Orient et l’impérialisme », et elle peut donc « servir de lien entre les mobilisations dans les pays arabes et le mouvement international de résistance à la mondialisation » (A. Handal, P.Y. Salingue). Le sionisme, expression idéologique de l’impérialisme israélien, est donc un problème clé pour toutes les nations parce que - comme Michel Warschawski l’explique dans le dernier numéro de Lewa Noga - « la politique antipalestinienne d’Israël est l’application locale de la stratégie des néoconservateurs américains au niveau mondial. La base de cette stratégie repose sur la recolonisation du monde... et, par conséquent, l’établissement d’un système mondial d’apartheid social et racial... Au début du XXIe siècle il n’y a plus de conflits locaux » mais seulement « une guerre néo-coloniale entre l’impérialisme des Etats-Unis et les nations ».

L’extrême droite radicale islamiste serait donc la représentante des nations opprimées et des masses arabes ; l’impérialisme des Etats-Unis et Israël constitueraient l’obstacle principal pour mettre fin au mode de production capitaliste à l’échelle mondiale ; et en Israël le génocide des Palestiniens serait en train d’avoir lieu. [Cf. Shulamit Aloni (10) et James Petras, qui défend la thèse qu’Auschwitz se trouve aujourd’hui en Palestine (11).] Le droit des Palestiniens de retourner en Israel dans les frontières d’avant 1948 devrait être reconnu. En ce qui concerne cette dernière revendication, il s’agit encore d’une question - et ce n’est ni la première ni la dernière fois - à propos de laquelle les rédacteurs en chef de Lewa Noga et de Rewolucja emploient des critères différents pour les Juifs et pour les non-Juifs. Bien qu’ils se présentent comme de fervents internationalistes, ils ne soutiennent pas des revendications comme le droit au retour des Allemands dans les territoires qui faisaient partie de l’Etat allemand en 1937.

L’auteur le plus curieux dont les articles ont été édités dans Lewa Noga est un certain Israel Shamir - un Juif russe qui a habité en Israël et vit maintenant en Suède. Dès le début de sa croisade anti-israélienne, une partie de la gauche antisioniste a détecté, dans ses articles, une certaine similitude avec le fondamentalisme chrétien antijuif. Ses articles anti-israéliens, cependant, furent publiés avec un sentiment de satisfaction par une partie de la presse révolutionnaire internationale. Mais quand il s’avéra que Shamir, récente recrue de l’Eglise orthodoxe grecque, croyait aux meurtres rituels, collaborait avec des négationnistes, employait l’ expression antisioniste « ZOG » (12) (« gouvernement d’occupation sioniste ») pour désigner le gouvernement américain, approuvait les thèses des « Protocoles des sages de Sion », etc., alors même les rédacteurs américains de la revue Socialist Viewpoint (13), ultra-radicaux dans leurs attaques contre le sionisme, décidèrent de s’excuser publiquement d’avoir flirté avec Shamir. Mais les rédacteurs de Lewa Noga ne sont pas prêts à se livrer à une telle autocritique.

Les racines de l’« anti-impérialisme des imbéciles » (14) Mais nous avons assez cité le discours monotone de cet « anti-impérialisme des imbéciles » qui s’exprime dans les colonnes de Rewolucja et de Lewa Noga. Nous préférons nous intéresser maintenant aux problèmes généraux posés par la notion d’ « antisémitisme de gauche ». Il est facile d’identifier la similitude entre ce discours et l’antisionisme propagé par le mouvement communiste contrôlé par Moscou (particulièrement après 1967). Non seulement ce discours s’identifie totalement au nationalisme palestinien, mais il adopte toute une série d’idées semblables à celles de l’antisémitisme. Divers auteurs de gauche ont étudié ce discours en détail depuis de nombreuses années. À cet égard, il faut signaler le travail important de Thomas Haury (15) sur l’antisionisme en République démocratique allemande et les articles écrits par les auteurs liés au Forum d’initiative socialiste (ISF), groupe allemand qui prolonge la tradition de la théorie critique de l’Ecole de Francfort.

Selon ces auteurs, le facteur décisif qui a permis de greffer des notions antisémites sur des catégories marxistes a été surtout un « embougeoisement » (Verbürgerlichung) unique de l’idéologie communiste sous sa forme stalinienne (16). Ce processus a mis en avant deux sujets révolutionnaires qui doivent être liés entre eux par l’activité du Parti communiste : les classes exploitées et les nations opprimées. Ainsi, la conception du « socialisme dans un pays » (l’expression bien connue de Staline) découle du lien établi entre socialisme et nation, socialisme national et socialisme d’Etat.

En acceptant de telles idées, les (post)staliniens, et ensuite une grande partie de la Nouvelle Gauche (qui, à beaucoup d’autres égards, rejetait le communisme officiel - que nous appelons le stalinisme) ont adopté une série de conceptions bourgeoises-idéalistes concernant la nature sociale de l’Etat et de la nation. Ainsi, par exemple, ces gens considèrent que l’Etat serait l’émanation d’une nation homogène. Le rôle de l’Etat dans la constitution des nations (question étudiée par plusieurs éminents intellectuels de gauche, tels qu’Etienne Balibar et Eric Hobsbawm, pour ne mentionner que ces deux noms) est en grande partie passé sous silence.
L’apparition des Etats nationaux peut alors être conceptualisée comme étant le résultat d’un « contrat national » unique. Ces courants négligent le rôle de la force politique-économique comme facteur constitutif dans le développement des institutions de l’Etat (qui offrent la base pour la création de marchés nationaux, argument traditionnel du marxisme orthodoxe). D’un point de vue idéologique, ces courants sont donc amenés à établir une distinction entre de « mauvais » et de « bons » Etats-nations. Les mauvais Etats-nations se trouvent dans les métropoles capitalistes, alors que les bons Etats-nations se trouvent dans le « tiers monde », et les défenseurs de l’« anti-impérialisme des imbéciles » s’identifient aveuglément à une partie de ces Etats.

Ces positions aboutissent à des paradoxes récurrents décelés par de nombreux chercheurs : par exemple ceux qui rejettent l’antisémitisme des nationalistes polonais de droite soutiennent en même temps un nationalisme palestinien teinté d’antisémitisme. Stefan Zgliczynski, rédacteur-en-chef de Lewa Noga et directeur de la maison d’édition Ksiazka i Prasa, peut donc à la fois écrire que « Jedwabne (17) se trouve partout [en Pologne] » et en même temps publier des textes qui font l’apologie du mouvement national palestinien sans, par exemple, mentionner une seule fois que l’article 32 de la Charte du Hamas cite les Protocoles des Sages de Sion comme la preuve d’une conspiration sioniste mondiale. Zgliczynski ne voit apparemment aucune contradiction entre le fait d’éditer des revues contenant des textes de facto antijuifs et son rôle d’expert et d’auteur d’articles pour le Centre européen de recherche et d’action sur le racisme et l’antisémitisme.

De l’anti-impérialisme frelaté au racisme

Le discours antisioniste de gauche établit fréquemment un lien entre l’existence de l’Etat juif et de la diaspora juive, d’un côté, et le vieux thème antisémite de l’exploitation parasitaire des autres nations par les Juifs. L’utilisation de formules telles que l’impérialisme, le colonialisme ou le racisme « sionistes » permet d’établir un pont avec la pensée idéologique de gauche. Mais ces liens avec des catégories de la pensée progressiste n’empêchent pas que « l’orientation et les effets » de cette « conception anti-impérialiste du monde (18) soient structurellement antisémites. Cette conception repose sur le manichéisme, la personnalisation (19), les théories du complot, et l’opposition entre de bons peuples et de méchants financiers capitalistes » (Thomas Haury). Isaac Deutscher a identifié, de façon percutante, le raccourci qui mène de cet « anti-impérialisme des imbéciles » à l’antisémitisme. Il devient évident quand on se rend compte que ce type de conceptualisation politique ne reconnaît pas le statut de nation au peuple juif (déni lié, en partie, au fait que ces courants partagent la même conception de la nation que Staline) et réduit les Juifs à des colons blancs racistes. Ce discours ignore complètement les questions de l’antisémitisme, de l’Holocauste, leur rôle dans l’apparition du sionisme comme mouvement politique et, plus tard, dans la création de l’Etat d’Israël suite à ses efforts et ses luttes.

Ce regard sur la réalité permet de placer toujours les Juifs en Palestine du côté des forces du mal : en tant que colonisateurs, racistes, impérialistes et capitalistes. Comme l’a noté subtilement noté Shulamit Volkov (20), les Juifs, dans le monde arabe, commencent à remplir une fonction symbolique redoutable : celle d’incarner leur pire expérience des sociétés post-coloniales dans le cadre de leurs contacts avec le monde occidental. Il n’est donc pas surprenant que l’adoption acritique d’un tel point de vue effraye et éloigne la plupart des Juifs de la gauche radicale. De plus, cette démarche acritique renforce le consensus sioniste dans la société israélienne (consensus fondé sur la peur, comme l’a bien expliqué Moshe Zuckermann [21]), mais aussi le potentiel antisémite des idéologies nationalistes dans les pays occidentaux et européens. Il n’est pas nécessaire d’éprouver beaucoup d’empathie envers les expériences historiques des Juifs pour pouvoir être d’accord avec le militant trotskyste israélien Jacob Taut (auteur du livre Le sionisme et la question juive, paru en allemand en 1969), qui a vécu en Palestine à partir des années 30 : « Cet Etat, dont nous avons critiqué la création (...) est maintenant, après vingt ans d’existence, un fait. Et son élimination, par n’importe quelle force arabe, mènerait seulement à de nouveaux malheurs, de nouveaux meurtres et de nouveaux massacres. Israël est un pays riche qui, comme tous les pays capitalistes, est divisé en classes sociales. Le rôle du sionisme est réactionnaire, mais la population juive d’Israël ne pourra être attirée vers la lutte contre l’impérialisme et pour le socialisme que lorsque son existence physique et nationale sera garantie. »

De même, il est évident que l’antisionisme de la gauche juive antisioniste (par exemple, le Matzpen (22) ou le Bund (23) qui défendent le droit des Juifs à l’autodétermination) n’a rien de commun avec l’« anti-impérialisme des imbéciles ». De toute façon, le droit d’Israël à exister n’est pas contesté par la Quatrième Internationale, organisation internationale la plus importante de la gauche radicale dont les activités sont souvent citées par les rédacteurs de Lewa Noga et de Rewolucja. Mais, par rapport au conflit israélo-palestinien, les rédacteurs de ces revues dissimulent constamment le fait que la Quatrième Internationale a abandonné l’idée d’un Etat binational sur le territoire de la Palestine et d’Israël (cf. les résolutions du XIIIe congrès mondial en 1991). Quelle conclusion tirer de tout ceci ?

A notre avis, toute personne qui écrit à propos de l’antisionisme et de la gauche radicale devrait toujours préciser de quel « antisionisme » et quelle « gauche radicale » elle parle. Autrement, comme cela arrive souvent, les discussions ne s’engagent pas à partir d’un thème clairement défini, et sont donc fréquemment stériles. Il est dommage que les rédacteurs des revues Lewa Noga et Rewolucja essaient systématiquement de propager les idées moralement et politiquement les plus douteuses (directement influencées par Les questions du léninisme de Staline et par la tradition stalinienne) que l’on trouve dans l’héritage politique et théorique de la Nouvelle Gauche, héritage riche et important. Heureusement pour les Juifs et pour la gauche, il existe également des militants de gauche qui critiquent cet antisémitisme de gauche, comme en témoignent les auteurs et organisations cités dans notre article.

Cet article est une version raccourcie et légèrement retouchée d’un texte paru dans la revue juive polonaise Midrasz en juillet-août 2006 (dans le cadre d’une discussion sur les liens entre l’antisionisme de gauche et l’antisémitisme). Piotr Kendziorek est l’auteur de Antisémitisme et société bourgeoise : interprétations néo-marxistes (Varsovie 2005).
August Grabski travaille à l’Institut d’histoire juive de Varsovie et est co-auteur du livre : Le trotskysme : Doctrine et mouvement politique (Varsovie, 2003).

NOTES des auteurs (P.K et A.G.). et du traducteur (Y.C.)

1. Mieczyslaw Moczar (1913-1986), membre du Comité central du Parti communiste polonais de 1965 à 1981. Général de l’Armée du peuple, ministre de l’Intérieur (1964-1968). Il joua un rôle déterminant dans les événements de mars 1968 en Pologne durant lesquels il fut un des “durs” du Parti stalinien (Y.C.). 2. « L’Association patriotique Grunwald fut créée en 1981 par un certain nombre de staliniens du Parti communiste. Grunwald est un village où se déroula en 1410 l’une des plus grandes batailles du Moyen Age, souvent appelée la bataille de Tannenberg. Au cours de cette bataille, des troupes polonaises, lituaniennes et ruthènes battirent l’Ordre allemand des chevaliers teutoniques. Néanmoins les slogans antisémites diffusés par l’Association Grunwald furent rejetés unanimement par les militans de Solidarnosc. » (Note tirée d’un article d’August Grabski intitulé « Le mémorial d’Auschwitz, la Pologne et l’Holocauste » cf. le site de mondialisme.org Ni patrie ni frontières n° 18-19.)
3. Rédacteur en chef de cette revue, il est récemment devenu le rédacteur en chef adjoint de l’édition polonaise du Monde Diplomatique. Il se présente en Pologne comme un membre de la Quatrième Internationale. (P.K et A.G.).
4. Cf. annexe.
5. Souligné par nous (P.K et A.G.).
6. Fondé en 1967 sous la direction de Georges Habache et Ahmed Jibril, le Front populaire de libération de la Palestine combine nationalisme arabe et une phraséologie marxisante. Ce groupe a rejoint l’Organisation de Libération de la Palestine en 1968 et était dans les années 70, au sein de l’OLP, le deuxième groupe le plus important après le Fatah. Il défend l’idée d’une Palestine où vivraient Juifs et Arabes avec les mêmes droits mais qui serait intégrée dans la « nation arabe », concept qui joue pour le FPLP un rôle essentiel et permet de satisfaire à la fois les gauchistes naïfs et les nationalistes arabes.
7. C’est-à-dire depuis la création de l’Etat d’Israël (P.K et A.G.).
8. Compradors : ce terme désigne traditionnellement les éléments (intermédiaires, hauts fonctionnaires, commerçants, voire même entrepreneurs) de la bourgeoisie d’un pays dépendant qui se mettent au service d’une bourgeoisie « étrangère » (coloniale ou impérialiste). Ils sont généralement accusés de jouer un rôle « parasitaire » par rapport à un « bon » développement capitaliste qui pourrait favoriser une « saine » accumulation primitive permettant l’émergence d’une bourgeoisie « nationale ». Ce concept a connu une grande fortune dans la propagande des mouvements nationalistes, staliniens ou pas. Son principal inconvénient : il permet de faire croire aux exploités qu’il y aurait deux bourgeoisies, une bonne (la bourgeoisie nationale) et une mauvaise (la bourgeoisie compradore). Cette opposition factice ressemble comme deux gouttes d’eau à celle entre capitalisme éthique (ou économie durable) et néolibéralisme, ou petite industrie et multinationales, coopératives et capitalisme, entreprises privées et entreprises nationalisées, etc. Bref les lieux communs de l’altermondialisme actuel. (Y.C.).
9. Secrétaire général du FPLP, Saadat fut arrêté par l’Autorité palestinienne après le meurtre du ministre israélinen du Tourisme, Rehavam Zevi en 2001, emprisonné à Jéricho en Palestine puis emmené en Israël en mars 2006, après l’intervention d’un commando israélien (Y.C.)
10. Cf. Shulamit Aloni “L’assassinat d’une population sous des airs de vertu, republié en polonais dans Rewolucja n° 3, et traduit en français : http://www.fairelejour.org/article.php3 ?id_article=590 ). Cet article est en fait très ambigu car il semble suggérer qu’un génocide pourrait se produire, car cette ex-secrétaire générale du Parti travailliste, ex-ministre de l’Education sous Rabin et membre actuelle de la direction du parti Meretz, conclut : „ce n’est pas encore un génocide sous la forme terrible et unique dont nous avons été les victimes”. Son article constitue plutôt un rappel à l’ordre des principes de la morale juive et un avertissement puisqu’un rabbin cinglé (Israël Hess) a écrit que les Israéliens „avaient tous l’obligation d’exécuter un génocide, parce ses recherches lui auraient fait découvrir quue les Palestiniens étaient Amalech”. (Les Amalécites sont une tribu nomade qui barra le passage aux Hébreux venus d’Egypte, mais qui fut battue ensuite par Saül et David.) On voit bien quelle utilisation des antisionistes antisémites peuvent faire de tels propos pour „prouver” les intentions génocidaires supposées des gouvernements israéliens. (Y.C.)
11. Cf. Annexe.
12. Cette expression est une des expressions favorites du Ku Klux Klan et des milices d’extrême droite aux Etats-Unis qui mélangent un antisémitisme débridé, des théories conspirationnistes et une idéologie hostile aux fonctionnaires et à l’administration de l’Etat central (le gouvernement fédéral aujourd’hui) - idéologie aux relents anti-étatiques qui est celle des premiers pionniers et imprègne encore la Constitution américaine actuelle qui reconnaît au peuple le droit de porter des armes et de se révolter en cas d’abus du pouvoir (Y.C.).
13. Socialist Viewpoint. Petit groupe trotskyste américain dirigé par des anciens du SWP, l’ex „grand” parti trotskyste aux Etats-Unis qui a explosé en plusieurs chapelles de quelques dizaines de membres chacune. (Y.C.).
14. L’expression est de l’historien Isaac Deutscher, auteur notamment d’une célèbre biographie de Trotsky en trois volumes et d’un ouvrage intitulé Essais sur le problème juif (Y.C.).
15. Ceux qui s’intéressent à l’analyse de Thomas Haury et ne lisent pas l’allemand peuvent se reporter à lire l’article de Stephen Grigat („L’antisémitisme, l’antisionisme et la gauche”) republié en français dans Ni patrie ni frontières n° 8-9, mais surtout au résumé en anglais d’une conférence de Thomas Haury sur le site http://www.workersliberty.org/node/6705, suivie de quelques critiques utiles. (Y.C.).
16. Cette question est en fait bien antérieure au stalinisme (censé, pour les trotskystes, régner à partir de 1924 et être l’antithèse de la période rose „léniniste”) : elle se posa au sein de l’Union soviétique (dans les rapports entre le gouvernement central et les républiques musulmanes, par exemple) ; au sein du gouvernement soviétique (dans ses innombrables compromis diplomatiques avec les puissances impérialistes comme avec la République de Kemal Ataturk, ce qui coûta la vie aux communistes turcs qui s’opposaient aux kémalistes et permit au dictateur turc de massacrer les Kurdes en 1921 grâce aux bons conseils du bolchevik Frounzé) ; et dans l’Internationale communiste (cf. par exemple les tentatives des communistes allemands de récupérer des thèmes nationalistes voire de s’allier avec des groupes nationalistes, comme l’illustre la „ligne Schlageter” du KPD prônée par le bolchevik Karl Radek en 1923), tout cela entre 1917 et 1924. (Y.C.).
17. Ville où une partie de la population polonaise participa à un pogrom antijuif par les nazis en 1941 (P.K. et A.G.).
18. Celle que nous critiquons ici (P.K. et A.G.).
19. Dans sa conférence, Thomas Haury définit ainsi la „personnalisation” : „tous les processus sociaux et les relations sociales sont expliqués par l’œuvre consciente de gens foncièrement mauvais. Le corrolaire nécessaire d’une telle personnalisation est la théorie du complot”. (Y.C.).
20. Cette historienne a écrit plusieurs ouvrages qui ont été traduits en anglais et en allemand mais pas en français : Germans, Jews, And Antisemites : Trials in Emancipation (Allemands, Juifs et antémites : tentatives d’émancipation) ; Das jüdische Projekt der Moderne (Le projet juif de la modernité) ; Antisemitismus als kultureller Code (L’antisémitisme, un code culturel) ; Germany : The Urban Master Artisans, 1873-1896 (Les maîtres artisans urbains en Allemagne, 1873-1896). (Y.C.).
21. Moshe Zuckerman, professeur d’histoire allemande à l’université de Tel Aviv. Intellectuel de gauche critique par rapport au sionisme. On peut trouver un court article de lui en anglais sur Internet : „ On landscapes and human beings’” http://kremerphoto.com/infectedlandscape/zukermann.htm
22. Matzpen (La Boussole) organisation d’extrême gauche antisioniste israélienne créée en 1962 qui comprenait notamment des anarchistes, des maoistes, des communistes dissidents, des trotskystes et n’existe plus depuis les années 80. Elle publiait une revue en hébreu et en arabe et avait des contacts avec le FDLP. On peut trouver quelques textes en anglais sur les sites http://www.matzpen.org/index.asp, http://libcom.org/library/matzpen et aussi en français notamment de Moishe Machover. http://agircontrelaguerre.free.fr/article.php3 ?id_article=340 ou http://www.marxsite.com/AkivaOrrMosheMach.htm qui a été publié en français dans la revue Socialisme international (Y.C.).
23. Bund : parti ouvrier socialiste juif en 1897 en Pologne, en Lituanie et en Russie. Opposé au sionisme, il se bat pour l’émancipation des travailleurs juifs dans le cadre d’un combat plus général pour le socialisme. Le Bund sut développer un véritable mouvement culturel autour de la langue yiddish. Ses militants participèrent à la guerre civile aux côtés des bolcheviks, malgré leurs désaccords. Une partie des militants bundistes se rallièrent au parti communiste. Les autres organisations bundistes furent interdites en Union soviétique dès la fin de la guerre civile, en 1921. Le Bund lutta contre l’oppression russe, polonaise et nazie. L’influence de cette tendance politique est aujourd’hui minuscule au sein des « communautés juives », les nazis ayant exterminé la plus grande partie des militants et sympathisants de ce Parti, tandis que Staline les emprisonnait ou les envoyait dans les camps. Après-guerre, le Bund dut se dissoudre en Pologne, et il ne resta plus que quelques noyaux isolés aux Etats-Unis, en Argentine ou en France. Voir le site Internet : www.geocities.com/bundistvoice (Y.C.).