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Entre antisionisme et antisémitisme

Depuis quelques semaines l’antisémitisme croît en Europe. Lors de la dernière manifestation en faveur de la Palestine on a pu entendre des slogans antisémites. Les médias tiennent les fondamentalistes islamistes pour responsables. Cette accusation n’est que partiellement justifiée parce qu’une fraction non négligeable de la population néerlandaise agit et pense de façon antisémite. Et il en est de même dans la gauche radicale.

Article mis en ligne le 8 mai 2017
dernière modification le 22 mai 2017

De Fabel van de illegaal n° 42, novembre décembre 2000

Des combats très durs se déroulent entre les Palestiniens et l’armée israélienne. Du côté palestinien, 100 personnes ont été tuées et 3 000 blessés. Parmi eux, de nombreux enfants sur lesquels les soldats israéliens ont fait feu lorsque les jeunes leur lançaient des pierres. Les deux parties se sont livrées à des actes de violence horribles.

Au cours des dernières années des fondamentalistes religieux ont pris l’initiative des deux côtés : le Hamas du côté palestinien, les Juifs orthodoxes du côté des Israéliens. L’influence des courants fondamentalistes s’accroît parce que la gauche de l’OLP et le mouvement israélien de La Paix Maintenant1 se sont effondrés. La question de savoir qui sera propriétaire des « Lieux saints » devient de plus en plus centrale dans la lutte. Comme la plupart des Palestiniens, les femmes, des deux côtés, sont victimes de cette évolution. Le fondamentalisme religieux sert avant tout à renforcer le patriarcat. A cause de ces courants la position des femmes empire rapidement des deux côtés.

Il faut donc s’opposer au fondamentalisme. La solidarité de l’extrême gauche ne devrait se porter ni vers « les Palestiniens », ni vers les « Israéliens », ni vers l’OLP qui est dominée par le Fatah, organisation ultranationaliste, ni bien sûr vers l’État israélien. La gauche radicale devrait plutôt soutenir des initiatives qui essaient de ne pas suivre une ligne nationaliste ou religieuse mais qui organisent les gens sur une base politique de gauche et féministe. Dans ces certains cas, nous pouvons même soutenir des courants libéraux démocratiques qui luttent pour l’égalité des droits civiques pour tous les citoyens. Leur conception d’une démocratie laïque et capitaliste est, en dépit de toutes ses injustices, toujours plus positive que les régimes barbares du fondamentalisme et du nationalisme d’extrême droite.

Des slogans antisémites
Le vendredi 6 octobre 2000, près de 400 personnes ont manifesté à La Haye contre la violence israélienne. La manifestation était organisée par l’Union palestinienne et le Comité (néerlandais) de solidarité avec la Palestine. Encore une fois on a pu entendre des slogans antisémites et certaines banderoles arboraient aussi des textes antisémites. Au moins un drapeau israélien était recouvert d’une svastika. A la fin du rassemblement, une partie des manifestants musulmans sont allés prier à la gare centrale2.

Une semaine plus tard, le samedi 14 octobre, entre 1 000 et 1 500 Marocains ont manifesté à Amsterdam « en solidarité avec leurs frères musulmans de Palestine ». La marche a été organisée par le Comité des travailleurs marocains aux Pays-Bas, le KMAN, et par l’Union marocaine des mosquées. La manifestation a commencé place Waterloo, centre du quartier juif pendant la Seconde Guerre mondiale. Certains manifestants ont crié « Hamas, Hamas, tous les Juifs au gas ! » et « Hitler, Hitler, Hitler »3. Le même soir, vingt Marocains ont attaqué David Serphos, secrétaire de la communauté juive à Amsterdam, en lançant sur lui des pièces de bicyclettes. Le lendemain, des personnes qui visitaient la synagogue de Lekstrat ont reçu des pierres. D’autres synagogues ont rapporté des événements similaires.

Depuis le début des années 70, les institutions juives sont protégées par la police à cause de l’antisémitisme. Serphos a raconté récemment que lui et ses élèves de l’école juive d’Amsterdam sont continuellement protégés par la police. « Même lorsque nous effectuons de petits déplacements, un représentant de l’ordre nous accompagne. Aussi j’ai pris l’habitude de vivre dans un climat de menace. » Mais la récente poussée d’antisémitisme l’effraie. Les coups de téléphone menaçants sont devenus « normaux » dans les institutions juives.

VandalismeAu cours de la dernière décennie, environ dix cimetières juifs ont été victimes d’actes de vandalisme chaque année et on y a peint des slogans antisémites5 et 6. À la fin de 1999, le cimetière de La Haye a été couvert de swastikas5. Et, au début de l’année 2000, le monument de l’ancien camp de déportation d’Amersfoort7 puis le cimetière juif dans la même ville ont été vandalisés. Durant ces dernières semaines, les attaques ont augmenté d’un point de vue quantitatif et qualitatif, particulièrement contre les synagogues. Récemment la synagogue de Groningen a été attaquée5. A Emmen, des gens ont tenté de mettre le feu à la synagogue9. A Oss, les fenêtres de la synagogue ont été brisées par des skinheads aux cris de Sieg Heil10. Et à La Haye la synagogue a été barbouillée du slogan « Israël=tueur d’enfants »11. A Amsterdam, une pile d’ordures a été déversée devant l’entrée de la synagogue12.

Dans les rues, les Juifs sont plus souvent attaqués par des Néerlandais ou des Marocains, voire par les deux ensemble. Certains Juifs ont peur de porter la kippa. Le rabin Evers a déclaré qu’aujourd’hui il se faisait souvent insulter dans la rue, par des cris du genre « Heil Hitler ! »13. Des groupes d’enfants reprennent à leur compte quotidiennement les slogans antisémites du KMAN dans les écoles comme dans la rue14. Et une recherche récente montre que l’antisémitisme augmente aussi sur Internet, particulièrement chez les Néerlandais15.

En Europe et en Amérique du Nord, l’antisémitisme reprend du poil de la bête. Non seulement en réaction à la violence qui sévit au Moyen-Orient mais aussi en dehors de ces événements. En Allemagne souiller des cimetières juifs est presque devenu un sport national. Non seulement des nazis, mais toutes sortes de gens prennent pour cibles des cimetières juifs, à raison de cinq par semaine en moyenne16. Des synagogues, des magasins juifs et des monuments sont aussi visés.
En Allemagne et en France on distribue des brochures, au cours des manifestations, appelant à tuer tous les Juifs. Maintenant on déplore aussi des blessés ; en Angleterre, un Juif a été poignardé. En France, on a recensé plus de 20 agressions contre des synagogues ainsi que plus de 100 « incidents » antisémites durant les dernières semaines17. Le terme d’ « incidents » est-il vraiment adéquat après deux mille ans d’antisémitisme ?

Dans le monde arabe, l’antisémitisme fleurit également, d’autant plus qu’il n’y est pas officiellement interdit. Par exemple, les manuels scolaires syriens nient l’existence de la Shoah. En Syrie, les journaux appellent les sionistes les « vrais nazis » et des livres sur les prétendus « meurtres rituels juifs » sont des best-sellers18. En Égypte, le révisionniste français Roger Garaudy a reçu un prix accordé par l’État il y a deux ans19.
Et dans les territoires occupés palestiniens, Mein Kampf est n° 6 sur la liste des best-sellers18.

L’antisionisme
L’antisémitisme n’est pas le privilège de l’extrême droite. Les idées antisémites s’expriment dans tous les milieux. Dans certains cercles de la gauche radicale, l’antisémitisme se cache derrière l’antisionisme, l’une des doctrines centrales du mouvement anti-impérialiste. L’anti-impérialisme, au départ une idéologie marxiste-léniniste, considère que la lutte des mouvements de libération nationale dans les pays de la « périphérie » contre les dirigeants des « métropoles » est absolument vitale. Pour les anti-impérialistes, il importe peu que ces mouvements de libération nationale soient orientés à gauche ou à droite. Leurs victoires affaibliront « objectivement » l’impérialisme, et le socialisme sera une tâche postérieure.

Les anti-impérialistes considèrent habituellement le nationalisme comme une bonne chose - sauf bien sûr dans le cas des Juifs. Le nationalisme juif, le sionisme, est dénoncé comme l’un des pires maux. L’État sioniste est pour eux la « tête de pont » de l’impérialisme au Moyen-Orient, et les sionistes, ces individus riches et brutaux, sont censés conspirer avec le capital américain. Contrairement aux Palestiniens, les Juifs ne formeraient pas une « nation » et n’auraient donc pas droit à leur propre État. Formant une classe cosmopolite, ils n’auraient pas de racines, contrairement aux Palestiniens qui ont vécu en Palestine pendant des siècles. Les anti-impérialistes jugent donc que Israël représente un État artificiel. Bien sûr, tous les antisionistes ne partagent pas ce genre de raisonnements, mais ces arguments sont très répandus dans le mouvement. Et ces militants nient généralement que les idées antisionistes soient souvent étroitement liées à l’antisémitisme. Pour la plupart des antisionistes, l’antisémitisme serait en voie de disparition. Et les sionistes abuseraient de l’antisémitisme en accusant systématiquement leurs ennemis acharnés, les antisionistes, de partager ces préjugés racistes. Selon les antisionistes, les sionistes n’ont pas le droit de justifier l’existence de l’État israélien en s’appuyant sur le fait que l’antisémitisme a connu pendant des siècles des flambées successives. Mais cela n’empêche pas de nombreux Juifs de voir en Israël leur dernier recours, si demain la situation devient de nouveau dangereuse pour eux.

Et certains antisionistes franchissent encore un pas supplémentaire. Ils prétendent que la violence de l’armée israélienne contre les Palestiniens serait semblable à celle de la Shoah. Certains d’entre eux appellent même les sionistes les « nouveaux nazis ». Pour étayer leur accusation, ils rappellent que certains sionistes d’extrême droite ont négocié avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale pour sauver des Juifs et mériteraient l’étiquette de « collabos ».

L’antisionisme a commencé à se répandre en Europe peu après la Guerre des Six Jours, en 1967, lorsque Israël écrasa les armées de ses voisins arabes. Des comités de solidarité avec la Palestine surgirent un peu partout. Les châles palestiniens devinrent à la mode et, dans les démonstrations aux Pays, les militants criaient d’une seule traite : « Racisme, fascisme, apartheid, sionisme ! Assassins, assassins, assassins ! » 21. Un mouvement de solidarité plutôt partial s’est formé, parfois teinté d’antisémitisme. Partout dans le monde des militants se sont attaqués à des Juifs ou à des institutions juives qui n’avaient rien à voir avec Israël. En 1969, cet antisémitisme atteignit des sommets lorsqu’un groupe révolutionnaire, les Tuparamos de Berlin, lança une bombe incendiaire dans une synagogue ; en souvenir des pogromes de la Nuit de Cristal de 1938.

Les sionistes « veulent exterminer le peuple palestinien avec l’aide des capitalistes américains », déclarèrent-ils dans un communiqué de presse. Les Tupamaros de Berlin précédèrent le Mouvement du 2 Juin et la Fraction Armée rouge. Heureusement, depuis la chute du mur de Berlin, ce type d’antisionisme ne représente qu’un courant marginal.

Une « conspiration sioniste » ?
A la fin des années 60, le comité Palestine fut fondé aux Pays-bas par des politiciens modérés et des étudiants révolutionnaires anti-impérialistes22.A ma connaissance, ce comité n’a jamais tenu des propos antisémites. Il lutte contre « le racisme, l’antisémitisme et toutes les formes de discrimination ». Et il défend toujours « l’égalité des droits civiques pour la population juive israélienne et pour les Palestiniens23 ».

Ce comité n’a jamais attiré des sympathisants qui établissaient un parallèle entre le comportement de l’armée israélienne et la Shoah. De telles comparaisons aboutissent uniquement à minimiser les horreurs de l’Holocauste. En 1990 les comités Palestine écrivirent : « Il devrait être interdit de comparer le sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale avec celui d’autres nations. Certains parallèles historiques ne peuvent être établis. L’idéologie (nazie, NdT) et ses conséquences pratiques n’ont, heureusement, pas eu d’équivalent dans le monde. Si la nation palestinienne avait connu le même sort que les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, cela fait longtemps qu’elle aurait complètement disparu24 ».
Le comité Palestine a vigoureusement condamné les slogans antisémites criés lors de sa propre manifestation le 6 octobre dernier, et a même présenté ses excuses au maire de La Haye. Comme il craignait que le même type de débordements antisémites se reproduise, le comité Palestine a refusé d’aider le KMAN à organiser une manifestation la semaine suivante3. Au cours de la protestation pacifique organisée le 24 octobre, à notre connaissance, aucune manifestation d’antisémitisme n’a été notée.

Le KMAN, par contre, a pris beaucoup moins clairement ses distances avec l’antisémitisme. Mejatti, l’un des organisateurs, a certes condamné les slogans antisémites durant la manifestation25 mais le KMAN ne l’a pas fait. Mejatti considère que ce type de publicité est négatif parce que l’antisémitisme fait partie d’une « vaste conspiration sioniste26 ». L’Union de la jeunesse juive des Pays-Bas a invité le KMAN à venir discuter et débattre avec ses membres des problèmes, mais le KMAN a refusé4. Le KMAN, formé au départ par des militants de gauche, a toujours été antisioniste. Mais ces dernières années l’influence de l’islam n’a fait que croître au sein de cette organisation.

Eric Krebbers

Notes :

1. Pour une analyse récente de la gauche palestinienne voir : « Zwischen Õlzweig und Kalaschnikow, Geschichte und Politik der Palästinensischen Linken », Gerrit Hoekmann.
2. Plusieurs quotidiens néerlandais le 7.10.2000.
3. Trouw, 16.10.2000.
4. Comme cela a été rapporté lors d’un meeting organisé par l’Union de la jeunesse juive aux Pays-Bas à Amsterdam au De Rode Hoed le19.10.2000. Nous avons interviewé David Serphos ce jour-là.
5. Trouw, 27.11.1999.
6. Trouw, 10.8.1999.
7. Leidsch Dagblad, 24.2.2000.
8. Algemeen Dagblad, 28.2.2000.
9. Drentse Courant, 10.10.2000.
10. Trouw, 25.10.2000.
11. NOS-teletext, 24.10.2000.
 12. E-mail de la Fondation Magenta, 24.10.2000.
13. Parool, 19.10.2000.
14. E-mail de la Fondation Magenta, 23.10.2000. Dans certaines écoles les professeurs n’osent plus évoquer la Shoah par crainte de provoquer des réactions antisémites chez leurs élèves. De nombreux parents juifs conseillent à leurs enfants de ne plus sortir avec leur kippa sur la tête pour éviter qu’ils se fassent agresser verbalement ou physiquement. Le CIDI a récemment publié une liste de tels « incidents ». Dans les rues on entend fréquemment des gens crier des slogans antisémités lorsqu’ils aperçoivent des Juifs - y compris le 4 mai 2003, lors des cérémonies officielles en souvenir des victimes de la Seconde Guerre mondiale.
15. Recherche menée par Meldpunt Discriminatie Internet, octobre 2000.
16. Jungle World, 3.11.1999.
17. BBC World Service, messages entre le 17 et le 23 octobre 2000.
18. Jungle World, 17.5.2000.
19. Parool, 17.5.1999.
20. Cette partie de l’article s’inspire surtout de « Zur Logik der bundesdeutschen Antizionismus » de Thomas Haury, article paru dans Vom Antizionismus zum Antisemitismus, sous la direction de Leon Poliakov.
21. J’ai moi-même crié ce slogan à la fin des années 80 et au début des années 90.
22. Soemoed 2, April 1999.
23. Soemoed, idem.
24. Soemoed, 3, 1990.
25. De Volkskrant, 16.10.2000.
26. Trouw, 18.10.2000.