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Comment lutter contre Daech (Alliance for Workers Liberty)
Article mis en ligne le 28 avril 2017

* AWL

Juillet 2015

Éditorial de Solidarity, hebdomadaire de l’AWL

L’assassinat d’au moins 39 personnes à Sousse, en Tunisie, tout comme la destruction d’une mosquée chiite au Koweït, le vendredi 26 juin 2015, signale peut-être un changement de stratégie pour Daech (l’Etat islamique en Irak et au Levant).

Jusqu’à présent, son objectif déclaré était d’établir un califat en Irak et en Syrie. Les derniers attentats pourraient être le début d’un nouveau jihad mondial. Cibler des touristes est une stratégie différente que s’attaquer à des minorités religieuses et à des musulmans qui ne sont pas sunnites.

L’afflux de combattants étrangers à Raqqa, la capitale de Daech en Syrie, constitue une autre tendance alarmante. Les ressortissants tunisiens représentent désormais la plus grande proportion de combattants étrangers. Et Daech bénéficiera de l’intensification des divisions religieuses sectaires et des conflits dans la région où il s’est installé en Irak.

Des photos et des vidéos en ligne montrent des milices chiites irakiennes, dont beaucoup sont financées par l’Iran, qui singent la brutalité de Daech. C’est ainsi que, dans un film, les membres d’une milice pendent par les pieds un homme et le brûlent vivant. Dans un autre, des partisans supposés de Daech sont l’objet d’une décapitation. Et encore dans un autre, un enfant, censé être un partisan des jihadistes sunnites, est abattu.

Les milices chiites nient avoir des unités dans la province d’Anbar, où se déroulent la plupart des combats entre Daech et les forces du gouvernement. Mais plusieurs rapports, y compris ceux de Human Rights Watch, affirment que les groupes chiites harcèlent les sunnites ainsi que toute personne qu’ils soupçonnent de soutenir ou même d’avoir toléré la présence de Daech, longtemps après que ses combattants ont été chassés de la région.

Les deux parties sont désormais engagées dans une concurrence létale à propos de qui, de Daech ou des forces gouvernementales, va se montrer le plus brutal et commettre l’atrocité la plus terrifiante. Bien sûr, Daech utilise les vidéos des milices chiites pour recruter de nouveaux membres. Tout en continuant de combattre les forces kurdes, Daech attaque les membres des groupes islamistes rivaux au sein de la Syrie. Les vidéos en ligne montrent douze hommes en train d’être décapités, dont certains appartenaient à Jaish al-Islam et au Front al-Nusra, qui constituent la plus importante opposition jihadiste à Daech en Syrie.

Au Yémen, où Al-Qaïda prétend avoir sa base la plus forte, Daech a attaqué les chefs rebelles des chiites houthis dans la capitale yéménite. Cette stratégie est peut être destinée à marginaliser Al-Qaïda, qui a utilisé la rébellion des houthis pour consolider son pouvoir dans le sud-est du pays, mais n’a pas eu recours à une violence sectaire religieuse significative.

Dans une interview au Guardian (le 10 juin 2015), les idéologues d’Al-Qaïda, Abu Muhammad al-Maqdisi et Abou Qatada (récemment libéré de prison) ont évoqué la rupture avec Daech qui a conduit à ce que l’Etat islamique supplante Al-Qaïda et incarne le réseau jihadiste le plus en pointe.

Al-Maqdisi, qui reste proche du dirigeant d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri, raconte que Daech était un groupe apparemment loyal quand il opérait sous le nom d’Al-Qaïda en Irak, mais que la nomination d’Abou Bakr al-Bagdadi à sa tête, après la mort du fondateur al-Zarkaoui, a déplu à Al-Qaïda. BFactoren Laden n’était pas favorable à sa nomination. Plus tard, un affrontement entre le groupe d’al-Bagdadi et la filiale syrienne d’al-Qaïda, Jabhat al-Nusra, aurait provoqué la scission finale.
Abu Muhammad al-Adnani, porte-parole de Daech et un de leurs principaux propagandistes, a déclaré que les dirigeants d’Al-Qaïda étaient complices des Occidentaux et que leur connaissance de l’islam était trompeuse. Pour al-Maqdisi, « Ben Laden était une star. Il avait un charisme spécial » alors que Zawahiri ne sait pas se faire écouter et obéir ; il serait donc isolé et ne disposerait plus de l’infrastructure d’affiliation mondiale qui a contribué à soutenir al-Qaïda.

Après le 11 septembre, al-Qaïda a réussi à rassembler des groupes dans une grande partie du monde arabe ainsi qu’en Europe, en Afrique et en Asie du Sud, où l’organisation s’est installée à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. Chaque groupe avait la liberté de fonctionner de façon autonome et cette stratégie était censée permettre de recruter de nouveaux membres et promouvoir l’établissement d’un califat. La direction d’al-Qaïda surveillait attentivement et sélectionnait les commandants des groupes locaux pour s’assurer qu’ils étaient loyaux, mais elle n’intervenait pas dans leur fonctionnement quotidien. En annonçant au monde entier la création d’un califat et le choix d’un calife, en appelant tous les musulmans pieux à le rejoindre et à lui jurer allégeance, Daech a complètement torpillé les méthodes d’al-Qaïda.

Les propos de Maqdissi et de Qatada montrent l’existence d’une scission générationnelle entre Daech et ses commandants, d’un côté, et, de l’autre, les personnalités plus âgées et plus établies d’al-Qaïda. Al-Maqdisi affirme qu’il souhaiterait une organisation plus « modérée », qui ressemble plus au Hamas à Gaza qu’à Daech à Raqqa. Un tel changement de position peut séduire ceux qui sont horrifiés par la brutalité de Daech. Mais le Hamas et al-Qaïda ne sont pas des versions « acceptables » de Daech ; leur idéologie et leurs perspectives sont très similaires, seules des divergences tactiques les séparent.

Certaines des causes profondes de cette vague réactionnaire qu’il est apparemment impossible de stopper sont liées aux décisions prises par les Etats-Unis après avoir envahi l’Irak en 2003, notamment au fait qu’ils démantelèrent une grande partie de l’appareil d’Etat irakien et promurent la « débaassification ». Dans le chaos et la destruction qui ont suivi, l’administration et les services publics n’ont plus assuré leurs fonctions quotidiennes. Ils ont été lentement remplacés par un système politique fragile fondé sur la représentation des identités ethniques, système qui, sur le long terme, a complètement échoué. Bien que les conflits religieux sectaires aient diminué depuis quelques années, les forces regroupées autour des mosquées et des factions islamistes ont réussi à occuper le devant de la scène. Et depuis déjà quelques années maintenant, ce sont des courants chiites sectaires et corrompus qui dominent les affaires publiques.

Tous ces facteurs ont permis à Daech de gagner une base parmi les Arabes sunnites mécontents dans les régions du nord et de l’ouest de l’Irak arabe. L’Etat islamique a recruté des anciens officiers de renseignement baasistes et des commandants militaires et mis très rapidement sur pied une armée de soldats et de commandants militaires expérimentés.

Haji Bakr, qui affirme avoir été l’architecte de la prise de contrôle de Daech sur le nord de la Syrie baasiste a amené avec lui une unité entière de soldats baasistes quand il a rejoint l’Etat islamique.
Pour nous, militants de l’Alliance for Workers Liberty, les terribles événements en Tunisie et l’expansion continue de l’influence de Daech dans la région soulignent la nécessité d’augmenter encore la solidarité. Mais qu’avons-nous à dire sur le plan politique ?

Nous sommes opposés au projet gouvernemental, peu sérieux et potentiellement dangereux et contre-productif, de lancer une campagne de propagande dans les écoles. Les événements en Tunisie ont poussé certains politiciens à préconiser d’espionner la façon dont les élèves utilisent Internet dans les établissements scolaires, mais le gouvernement envisageait déjà cette mesure depuis un certain temps. Selon nous, les jeunes qui étudient doivent être autorisés à disposer d’un espace démocratique pour débattre des questions concernant la religion et le racisme, un espace où l’on puisse contester la vision du monde déformée par Daech.
La campagne proposée par le gouvernement montre qu’il est dangereusement à côté de la plaque, mais malheureusement ce n’est pas nouveau. On retrouve la même cécité dans les actions du gouvernement tunisien qui, après l’attentat contre le musée du Bardo à Tunis, a pris des mesures contre des groupes islamistes radicaux et fermé des mosquées. Ces mesures n’affecteront absolument pas l’emprise idéologique qu’exerce le salafisme sur des fractions de la population, principalement des jeunes et des chômeurs dans le pays. Et la gauche et le mouvement ouvrier tunisiens sont malheureusement trop faibles pour s’attaquer avec succès aux problèmes sociaux.

Nous n’avons aucune confiance dans l’efficacité politique de bombardements aériens britanniques contre Daech en Syrie. S’ils se produisent, ce qui n’est pas encore très clair, nous nous réjouirons s’ils font reculer l’Etat islamique, mais ce n’est pas notre démarche de base.

Ce qu’il faut c’est renforcer notre solidarité avec les organisations de femmes, de travailleurs et les organisations démocratiques de la région qui sont assiégées par Daech. Soutenir les forces kurdes, s’assurer qu’elles soient armées. La façon dont les Kurdes se défendent offre un contraste positif avec toutes les autres formes de confrontation physique avec Daech.

Nous n’avons aucune illusion sur la volonté des forces kurdes traditionnelles de lutter pour le socialisme, mais elles se battent pour préserver les libertés humaines fondamentales et c’est un combat qu’elles doivent gagner.

* Alliance for Workers Liberty