Bandeau
Ni patrie ni frontières
Slogan du site
Descriptif du site
Le stalinisme existe-t-il encore ? (2007)

Il peut sembler bizarre, sectaire ou « ringard », de continuer à appeler aujourd’hui les dirigeants ou les militants du Parti communiste français des « staliniens » ou « néostaliniens », alors qu’ils organisent des débats et des meetings communs avec leurs ex-adversaires trotskystes et que le bloc soviétique a aujourd’hui disparu. Suite à la lettre d’un lecteur, voici quelques précisions rapides.

Article mis en ligne le 5 mai 2017

Tout d’abord deux brèves définitions.
Stalinien : personne ou groupe qui identifie le « socialisme » aux sociétés mises en place en URSS, en Europe de l’Est, en Chine, à Cuba, au Vietnam, au Cambodge, en Corée du Nord, qui regrette leur disparition et leur prétendu « rôle positif » à l’échelle nationale comme internationale.

Néostalinien : individu ou groupe qui prétend avoir pris certaines distances avec le modèle précédent, mais se garde bien d’effectuer un bilan complet des responsabilités de son propre parti dans la perpétuation de ce modèle idéologique et pratique, et des responsabilités criminelles des partis communistes au pouvoir dans l’avènement de sociétés totalitaires et de régimes « capitalistes d’Etat » (1).
Dans les pays d’Europe occidentale où il n’a pas pris le pouvoir, le stalinisme se caractérise à la fois par :
 une méthode de contrôle des syndicats : par la violence physique pouvant aller jusqu’à l’assassinat politique (qui fut largement pratiqué contre les trotskystes, les bordiguistes et les anarchistes pendant les années 20 et 30 et durant la Seconde Guerre mondiale, notamment en Espagne, en France, en Italie, en Grèce et au Vietnam), la calomnie, toutes sortes de manipulations financières, psychologiques et matérielles (attribution de postes de permanents, attribution de boulots moins pénibles en accord avec la hiérarchie de l’entreprise, etc.),
– des liens financiers de dépendance avec les pays du bloc soviétique (quand celui-ci existait), à la fois à travers des entreprises qui faisaient du commerce avec les régimes staliniens et à travers des abonnements de masse, des voyages payés et des vacances offertes, etc.,
– une conception du socialisme, considéré comme un étatisme, opposé à l’auto-organisation des travailleurs, aux comités de grève, aux coordinations non chapeautés par les syndicats et les partis, et bien sûr aux conseils ouvriers (ne pas oublier que l’insurrection hongroise de 1956 fut dénoncée par les PC occidentaux, les PCF et PCI en tête, comme un « complot fasciste », et, on le sait aujourd’hui, Togliatti secrétaire général du PCI donna son approbation à l’intervention russe du 23 octobre 1956),
– la cogestion des entreprises nationalisées comme base d’appui de l’extension du secteur d’Etat et base de pouvoir pour les sommets de la bureaucratie syndicale et politique,
– le soutien aux intérêts de la technocratie d’Etat, des ingénieurs et des cadres qui jouent, ou sont susceptibles de jouer un rôle décisif, dans la gestion des entreprises,
– le soutien des intérêts du Capital national contre les Etats « étrangers » et les « multinationales étrangères »,
– le soutien aux PME nationales contre les grandes sociétés capitalistes nationales,
– le soutien des intérêts de l’impérialisme national (critiques très discrètes contre l’envoi de troupes nationales à l’étranger et contre le pillage des ressources du tiers monde par l’impérialisme national ; absence de soutien aux mouvements ouvriers et démocratiques dans les colonies et néo-colonies de l’impérialisme national ; soutien et participation indirecte à la répression : cas des massacres de Sétif et Guelma, le 8 mai 1945 ; soutien à la guerre d’Indochine en 1947, silence sur les massacres à Madagascar en 1947)
– le soutien de l’industrie d’armement et de l’industrie nucléaire, plus généralement le culte de la science et du progrès technique,
– la gestion des municipalités de façon, entre autres, à noyauter les associations pour contrôler les réactions de contestation et encadrer politiquement la population,
– le clientélisme municipal (attribution d’appartements, de boulots, etc.),
– le clientélisme culturel : la manipulation d’intellectuels et d’artistes complaisants qui, en échange d’un soutien dans la Presse du Parti, d’invitations aux fêtes du Parti, de commandes des municipalités et du Parti (statues, tableaux, livres, etc.) défendaient hier les régimes staliniens et aujourd’hui tentent de donner un visage « non sectaire » au Parti,
– le soutien aux associations de travailleurs étrangers qui sont contrôlées par les régimes du tiers monde et infiltrées par les polices politiques de ces pays (ex. l’Algérie),
– le soutien aux régimes populistes du tiers monde contre leur classe ouvrière et leurs paysans pauvres (cf. le Venezuela aujourd’hui, mais aussi précédemment l’Angola et Ceylan, par exemple),
– une rhétorique anti-OTAN et anti-américaine qui ne servait hier qu’à camoufler leur soutien aux entreprises militaires de l’URSS et au pillage de l’Europe de l’Est par la bureaucratie soviétique ; et qui aujourd’hui sert à vanter les mérites de chaque impérialisme national, de l’ONU et éventuellement encore de la Russie.
Les néostaliniens ne sont guère différents des staliniens sur la plupart des points ci-dessus évoqués. A part leur prise de distance prudente vis-à-vis de certains « abus » de ce qu’ils osent appeler le « socialisme réel », pour l’essentiel leurs méthodes et leurs objectifs sont les mêmes. Seule leur phraséologie change et certains n’hésitent plus aujourd’hui à s’immerger dans le mouvement altermondialiste pour mieux le contrôler, ou à faire alliance avec des groupes trotskystes pour gauchir leur image de marque.

Plus généralement, le stalinisme est une des expressions de la tendance du Capital à intégrer brutalement la classe ouvrière et ses organisations comme le fascisme, le nazisme ou le péronisme, contrairement aux méthodes en apparence plus « douces » comme le New Deal ou le Front Populaire qui, à la même époque, ont tenté d’accorder quelques « avantages » aux travailleurs, sans pour autant détruire les syndicats et partis prétendant défendre les intérêts des prolétaires. Ce qui distingue le stalinisme de la social-démocratie, c’est d’une part son origine, puisqu’il est issu de la défaite de la première révolution ouvrière du XXe siècle et, d’autre part, son efficacité redoutable : en contrôlant militairement et économiquement une partie de la planète, en lançant un formidable processus d’accumulation primitive, en déportant des centaines de millions de paysans, le stalinisme a instauré un régime de terreur contre-révolutionnaire fondé sur une gigantesque entreprise de mystification idéologique. Ce régime a non seulement assassiné des millions d’exploités dans ses camps de travail, ses prisons et devant ses pelotons d’exécution, mais il a servi de repoussoir pour des dizaines de millions de travailleurs, notamment dans les pays occidentaux où ces partis n’ont pas instauré leur dictature sur le prolétariat. Il les a jetés dans les bras de la social-démocratie ou des partis de droite, voire d’extrême droite, pour une très longue période, renforçant l’idée fausse que communisme égale dictature policière, et que toute révolution mène à une catastrophe pour l’humanité. Nous payons encore aujourd’hui le prix de cet amalgame.

Y.C.
24.2.2007

(1). On remarquera à ce propos que, face à la démagogie de Sarkozy voulant manipuler la lettre de Guy Môquet au service de l’unité nationale gauloise, certains ont voulu diffuser un contre-mythe en s’appuyant sur une lettre du même Guy Môquet où celui-ci parle très vaguement du « socialisme », de la « révolution » et du « communisme », comme si les Partis communistes avaient, dans le moindre pays de cette planète, contribué à poser les premières pierres du socialisme ou le communisme (octobre 2007).