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Rib Riemer : L’éternel retour du fascisme

Une lutte qui nous concerne tous,pas seulement les intellectuels
C’est dans un grand tintamarre médiatique que le théologien et essayiste Rib Riemer a présenté la semaine dernière son livre L’éternel retour du fascisme.

Article mis en ligne le 4 mai 2017
dernière modification le 18 juin 2017

Une lutte qui nous concerne tous,pas seulement les intellectuels
C’est dans un grand tintamarre médiatique que le théologien et essayiste Rib Riemer a présenté la semaine dernière son livre L’éternel retour du fascisme. Riemer était déjà intervenu dans le débat public en établissant un parallèle explicite entre la montée du fascisme au siècle dernier et le soutien politique croissant dont jouissent le Parti de la Liberté (PVV) et ses idées racistes. Avec ce livre, il veut que le public prenne conscience de ce qui se déroule actuellement au sein de la société néerlandaise. « Nous avons besoin que davantage de gens se réveillent », a-t-il expliqué à la télévision. Mais qui, exactement, veut-il réveiller ? Et par qui et par quoi faudrait-il commencer ? L’essai philosophique de Riemer est présenté en grande pompe comme une polémique politique, mais le résultat final correspond-t-il vraiment aux prétentions de l’auteur ? Quel est le but de ce manifeste politique élitiste ? Et qui est exactement l’auteur ?

Différents médias ont cité un extrait du livre de Riemer qui figure également sur la quatrième de couverture, et résume brièvement son argument central : « Geert Wilders et son mouvement incarnent le prototype du fascisme contemporain. Ils ne sont donc que la conséquence politique logique d’une société où nous sommes tous responsables. Ce fascisme contemporain est à son tour le résultat de partis politiques qui renient leurs propres idées, d’intellectuels qui cultivent un nihilisme paresseux, d’universités qui ne méritent pas leur nom, d’entreprises cupides et de médias qui sont des ventriloques et non des miroirs critiques pour les citoyens. Ces élites corrompues cultivent un vide spirituel au sein duquel le fascisme peut croître de nouveau. » (P. 59.)

Son principal argument est d’une portée très restreinte. Puisant dans les écrits de penseurs et de romanciers du XIXe siècle et XXe siècles (Thomas Mann, Albert Camus, Primo Levi, Theodor Adorno, Max Scheler, Friedrich Nietzsche, Johann Wolfgang von Goethe et Alexis de Tocqueville) Riemer en arrive à une conclusion quelque peu déconcertante : une « crise de civilisation » se serait produite dans les années 1930, et aurait permis au fascisme de se développer pleinement ; l’élite culturelle, à ce moment-là, n’aurait pas su résister et réagir à cette destruction de la culture et de la civilisation et aurait ainsi créé un terrain fertile pour le fascisme. Aujourd’hui, nous vivrions une crise de même importance dont l’élite culturelle serait donc en partie coresponsable.

Pour Riemer, le fascisme n’est pas tant la cause de cette pauvreté culturelle, qu’un phénomène politique qui prospère à partir de cette pauvreté. Il emprunte à divers penseurs un patchwork de concepts culturels et philosophiques, qu’il utilise de manière souvent acritique pour décrire la crise de civilisation que traverse notre société : les « masses » seraient mues par la « peur » et le « ressentiment » ; le caractère « superficiel » et « kitsch » de la société contemporaine conduirait à l’abîme l’ « homme de la rue » en alimentant son ressentiment, ce qui le pousserait à épouser les enseignements du fascisme. La « présomption, la lâcheté et la trahison des élites sociales, qui, au vingtième siècle, n’auraient pas fait obstacle au fascisme, les conduiraient à un nouvel échec. Alors que c’est précisément dans ce type de période qu’ils devraient accomplir leur tâche : restaurer et défendre les valeurs « absolues », « propres » susceptibles d’élever les masses ». Riemer conclut son argumentation avec des considérations particulièrement éthérées : « N’aimez pas la vie. Tel est l’horrible secret de la politique fasciste et de la société kitsch et nihiliste où les fascistes peuvent toujours s’épanouir. Ce n’est que lorsque nous aimerons de nouveau la vie que nous pourrons consacrer notre existence à tout ce qui donne véritablement la vie – la vérité, la bonté, la beauté, l’amitié, la justice, la compassion et la sagesse – c’est seulement à ce moment, et pas avant, que nous pourrons résister au bacille mortel qui s’appelle le fascisme. » (P. 61-62)

L’argumentation de Riemer pose problème notamment parce que, sans s’en rendre compte, elle reproduit en grande partie le raisonnement de gens comme Geert Wilders. Tous deux déplorent la disparition de la civilisation et la culture, la disparition de « ce qu’étaient autrefois les valeurs humanistes judéo-chrétiennes », et la façon dont elles ont été gaspillées. Tous deux prétendent faire partie des rares héritiers de cette tradition, et croient pouvoir l’utiliser contre les autres. Tous deux mentionnent seulement de façon occasionnelle les inégalités socio-économiques comme étant la source des problèmes sociaux. Selon Wilders et Riemer, la crise ne provient pas principalement d’un problème économique, mais serait d’ordre culturel. Tous deux considèrent le capitalisme comme un phénomène culturel, une sorte de « culture de la cupidité » : « Dans notre démocratie capitaliste, les gens sont abandonnés par le pouvoir le plus influent, l’élite des dirigeants des grandes entreprises multinationales. Cette élite a empoisonné la société avec l’idée qu’avoir beaucoup d’argent serait le plus important dans la vie. » (P. 53.)

Pour Riemer, le problème ne réside donc pas dans la « démocratie capitaliste » elle-même, mais dans l’influence de cette élite au sein de cet ordre social, dans la façon dont elle utilise – ou n’utilise pas – son pouvoir. Cette analyse pourrait parfaitement être rapprochée des critiques de Wilders contre les primes exorbitantes que touchent les grands dirigeants d’entreprises ; une telle démarche ne se focalise que sur les symptômes du système économique afin de le préserver. Dénoncer en théorie les frustrations que génère l’exploitation, tout en laissant de côté le cœur du problème, pour finalement consolider davantage le capitalisme dans la pratique, telle est une des caractéristiques du fascisme que Riemer n’évoque même pas.
Le fait qu’il manque une analyse de fond dans ce livre ne signifie pas, bien sûr, que les efforts de Riemer pour dévoiler les positions fascistes du Parti de la liberté ne sont pas les bienvenus et ne touchent pas juste, de temps en temps. Le programme du PVV se prête à de telles comparaisons, et elles pourraient même enrichir un débat sérieux sur la situation politique et la société néerlandaise actuelles. Mais si Riemer prétend démontrer que le PVV et Wilders sont « fascistes », son analyse est beaucoup trop vague. Il évoque quelques caractéristiques générales du fascisme, mais la comparaison qu’il établit avec le PVV est trop succincte. Le lecteur ne peut comprendre quelle est exactement la nature fondamentale du fascisme, pourquoi un tel terme, aussi chargé, devrait définir Wilders, et dans quelle mesure une telle comparaison pourrait être politiquement utile. Il souligne plusieurs fois des convergences entre la politique pratique de Wilders et le fascisme, mais ses conclusions sont affaiblies par le fait que ses arguments dépassent rarement le niveau des clichés et des stéréotypes.

Riemer ne semble pas savoir clairement à quel public il souhaite adresser son message. Son livre ne peut intéresser que des personnes possédant une certaine connaissance de la littérature et la philosophie du XXe siècle, et il n’est manifestement pas écrit pour un large public. Riemer présente son projet dans les médias comme une tentative d’aider les partisans (potentiels) de Wilders à ouvrir les yeux. S’il souhaite atteindre ce dernier objectif, le livre de Riemer n’est pas du tout approprié. « Mais pensez-vous pouvoir toucher des électeurs de Wilders en leur disant qu’ils ont voté pour un fasciste ? », lui a demandé un ancien député du Parti de la liberté. « Oui, parce que je veux expliquer ce qu’est le fascisme, où il se trouve aujourd’hui, et je tiens à dire aux gens : “Ce type est le dernier politicien capable de résoudre quoi que ce soit” », a répondu Riemer. Toute personne comprenant un peu la situation actuelle sait qu’aucun électeur de Wilders ne sera ébranlé par une référence à Thomas Mann ou à des représentants de l’élite intellectuelle qu’il déteste. Ces propos montrent que le philosophe n’ose pas sortir de sa tour d’ivoire académique.

Mais le raisonnement de Riemer n’est pas erroné seulement parce qu’il accorde un rôle déterminant à l’élite culturelle. Le philosophe ne semble pas se rendre compte que cette même élite (notamment des idéologues de droite comme Afshin Ellian, Leon de Winter, Paul Cliteur, Frits Bolkestein et beaucoup d’autres) ne s’est guère élevé au-dessus des réalités politiques et a au contraire contribué au cours des dernières décennies à préparer le terrain à l’émergence du fascisme moderne.
L’analyse de Riemer reste un exercice théorique qui rate sa cible. Il serait pourtant très utile que des intellectuels s’engagent dans le débat politique pour nous aider à comprendre le fascisme contemporain, à déterminer à qui il faut s’adresser en priorité et surtout comment le combattre efficacement.

Mathijs van de Sande

(Ce texte a été traduit du néerlandais avec l’aide de deux logiciels de traduction automatique et risque donc de comporter quelques erreurs.)