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Athéisme et religion

Un des échecs les plus patents de la lutte antireligieuse est celui du parti bolchevik russe et des partis communistes en général dans tous les pays où ils ont été au pouvoir. Pour ne pas parler des anarchistes espagnols… L’emploi de la coercition de l’État, ou de la violence, pour imposer l’athéisme aux populations n’a abouti qu’à faire passer les religieux et religieuses persécutés pour des martyrs.

Dans le cas de l’islam en France, on entend souvent dire : « Oui, eux ils profitent que nous on est tolérants, alors que regarde en Iran, en Arabie saoudite, les Occidentaux sont obligés de se conformer à la loi islamique. Pourquoi serions-nous plus tolérants qu’eux ? »

Article mis en ligne le 1er mai 2017

En termes plus sophistiqués, Alain Bauer, ex-dirigeant d’une des branches de la franc-maçonnerie et désormais « consultant en matière de sécurité » (en clair conseilleur de flics), se demandait lors d’un débat à la télévision : « Où est la réciprocité ? »

La réponse est assez évidente. Nous devons être plus tolérants tout simplement parce que nous n’avons pas les mêmes objectifs que les partisans de la Charia ! Et même si demain des groupes islamistes envisageaient d’« islamiser » l’Occident « chrétien », de le conquérir avec leurs imams (dixit le FN), pourquoi les révolutionnaires se transformeraient-ils tout à coup en défenseurs de cet Occident-là, de sa prétendue neutralité vis-à-vis des religions ou de sa prétendue supériorité civilisationnelle ?

Les idées religieuses, comme toutes les idées, doivent être combattues avec des arguments sérieux. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui suppose notamment de connaître un minimum les religions que l’on veut critiquer. Or, la plupart des militants révolutionnaires n’ont aucune culture religieuse, et une culture scientifique très légère, du moins si l’on en juge d’après le contenu de leurs publications qui n’abordent pratiquement jamais ces questions. Mais combattre les convictions religieuses des musulmans, des catholiques, des juifs, des bouddhistes ou des protestants est-il une priorité aujourd’hui dans la lutte des classes ? Est-ce que ce sont leurs convictions religieuses qui, en France, empêchent les travailleurs de se battre contre le chômage, les licenciements, l’augmentation de la misère ? Si l’on avait des embryons de milices islamistes patrouillant dans les quartiers comme c’est le cas en Iran, le problème ne serait plus alors un problème « pédagogique », cela deviendrait une question quasiment militaire. Mais on en est très loin.

« Pas si sûr, expliquent nos islamophobes. Finalement, les barbus qui patrouillent dans les cités, les tournantes, c’est-y pas un embryon de milices, ça ? »

Les médias mélangent tout :

– les viols collectifs (qui ont toujours existé en dehors de tout contexte spécifiquement religieux ou ethnique),

– les statistiques plus ou moins manipulées des arrestations et des condamnations chez les petits ou grands délinquants d’origine maghrébine (délinquance qui n’a rien à voir ni avec l’origine ethnique ni avec la religion),

– les pratiques religieuses (réelles ou supposées) des travailleurs immigrés et de leurs enfants,

– les efforts de ré-islamisation des communautés musulmanes en Occident,

– et enfin les manœuvres politico-religieuses des groupuscules islamistes.

En mélangeant malhonnêtement ces différents phénomènes, on aboutit à une criminalisation non seulement d’une partie de la population étrangère et de tous ses descendants, mais aussi à la criminalisation de leurs convictions religieuses. Tout prolétaire arabe devient un pashdaran, un taliban, un fanatique en puissance.

Face à de tels fantasmes, partagés à droite comme à gauche, il faut rappeler que la répression de l’État « laïc » ne fera pas progresser d’un poil la lutte antireligieuse. Elle favorisera certaines religions au détriment d’autres, elle jouera des divisions entre différents courants au sein d’une même religion, elle utilisera les querelles sur la laïcité pour à la fois occuper l’opinion, maintenir le statut quo, et renforcer l’illusion qu’il n’existe qu’une seule solution la « laïcité à la française » qui, comme toutes les choses « à la française », serait supérieure aux autres.

Et pendant ce temps-là la prise de conscience de l’aliénation religieuse ne progressera pas d’un pouce.

Les athées qui se gargarisent du statut quo français font preuve d’un manque total d’imagination par rapport à une situation nouvelle à propos de laquelle ils refusent même de réfléchir : la présence de millions de personnes venant de pays musulmans en France (et en Europe) dont on ne peut exiger en quelques années qu’ils abandonnent une des composantes essentielles de leur identité alors que, pendant des décennies, leur pays d’origine, leur religion et leur culture ont été méprisés dans ce pays qui se prétend si tolérant et démocratique. Alors qu’on les a parqués dans des bidonvilles hier, dans des cités ghettos aujourd’hui.

Le fait que, dans les collèges aujourd’hui, on enseigne de façon détaillée ce qu’est l’islam n’est, en soi, pas une mauvaise chose. Aux enseignants de montrer dans leur travail quotidien que la religion ne descend pas du ciel et de stimuler l’esprit critique de leurs élèves sans tomber dans la provocation.

Aux révolutionnaires de souligner les implications politiques de l’islam et des autres religions. Et de montrer que les religions ne sont qu’une des nombreuses formes prises par l’obscurantisme à travers l’histoire.

Sur la question de la construction de lieux de culte décents, il est effectivement scandaleux que les musulmans se voient refuser des permis de construire des mosquées et soient obligés de prier dans des locaux insalubres, mais en même temps on voit difficilement comment des athées pourraient accepter que l’État en finance la construction en puisant dans les poches des contribuables. Aux musulmans de trouver les fonds eux-mêmes et de choisir leurs alliés. Les choix qu’ils feront montreront effectivement sur le terrain politique quelles sont leurs positions : s’ils acceptent les subsides d’États comme l’Arabie saoudite ou le Pakistan, la situation ne sera pas la même que s’ils préservent leur indépendance financière. Sur ces questions, un discours antireligieux ne peut être cohérent (et éventuellement compréhensible) qu’à condition de rappeler que l’on est tout autant hostile aux privilèges accordés aux autres religions, tel le statut particulier de l’Église catholique en Alsace par exemple.

Si un jour les idées féministes et révolutionnaires sont massivement répandues dans l’immigration, comme dans l’ensemble de la population, le combat pour l’athéisme et contre l’obscurantisme pourra peut-être passer à une vitesse supérieure. Mais pour cela, il ne faudra pas compter sur l’Etat.

(Y.C., Ni patrie ni frontières n° 6-7, décembre 2003)